Monsieur Jacques Berlioz Monsieur Jacques Le Goff Madame Anita Guerreau- Jalabe
Monsieur Jacques Berlioz Monsieur Jacques Le Goff Madame Anita Guerreau- Jalabert Anthropologie et histoire In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 20e congrès, Paris, 1989. pp. 269-304. Citer ce document / Cite this document : Berlioz Jacques, Le Goff Jacques, Guerreau-Jalabert Anita. Anthropologie et histoire. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 20e congrès, Paris, 1989. pp. 269-304. doi : 10.3406/shmes.1989.1513 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_1991_act_20_1_1513 Anthropologie et histoire Jacques Berlioz et Jacques Le Goff avec la collaboration de Anita Guerreau-Jalabert II est incontestable que s'est nouée entre l'histoire et l'anthro pologie, pour la période qui nous préoccupe, disons de 1968 à nos jours, une relation privilégiée. G. Duby, dans la préface qu'il a donnée en 1985 à la traduction française de l'ouvrage de J. Goody, L'Evolution de la famille et du mariage en Europe, l'a bien noté : « Depuis une vingtaine d'années, les historiens, de plus en plus nombreux, à commencer par ceux de l'époque médiévale, du xvie et du xvne siècle, se sont mis à lire assidûment les ethnologues. Cette lecture vivifiante, entre autres effets, détermina le renouvellement de leur questionnaire, les porta à étudier dans la longue durée les mythes, la mort et le sexe, les relations de parenté *. » Tout est dit, ou presque. Le phénomène n'est d'ailleurs pas propre à la France. Il est européen, sinon mondial. En Italie notamment, certains médiév istes ont été également inspirés par les recherches des anthropol ogues. La revue Quaderni storici a accueilli un grand nombre de leurs travaux. En Allemagne fédérale et aux Etats-Unis, c'est aussi le cas pour les revues Mediàvistik et Exemplaria, et pour A Journal of Theory in Medieval and Renaissance Studies (Bing- hamton, New York). Il reste qu'en France cette relation a pris un tour particulier, avec l'apparition notable, il y a une quinzaine d'années environ, d'une expression enregistrant une volonté d'interdisciplinarité, celle d'« anthropologie historique ». L'historien faisant l'histoire de sa discipline pourra repérer et replacer dans son contexte 269 L'HISTOIRE MÉDIÉVALE EN FRANCE l'apparition de cette rubrique. Citons seulement quelques points de repère. C'est en 1976 que le séminaire de J. Le Goff, à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), perd son intitulé « Histoire et sociologie de l'Occident médiéval » pour celui d'« Anthropologie historique de l'Occident médiéval ». L'article de J. Le Goff « L'historien et l'homme quotidien », consacré à ce que le regard ethnologique a fait découvrir à l'historien, et publié dans les Mélanges Fernand Braudel en 1972, est repris dans le volume Pour un autre Moyen Age, paru en 1977, dans la partie placée sous le titre programmatique : « Vers une anthropologie historique » ; l'accompagne son intervention à la semaine de Spolète de 1975 sur le symbolisme dans les rites vassaliques. A. Burguière (EHESS) consacre à l'anthropologie historique un important essai dans le recueil collectif La Nouvelle Histoire, publié en 1978 2. La revue les Annales ESC, qui avait placé en 1974 un numéro spécial sous le titre Pour une histoire anthropo logique et en 1976 un autre sous l'intitulé Anthropologique de la France, consacre en 1978 un numéro à Y Anthropologie historique des sociétés andines. Mais ce n'est qu'en 1986 qu'A. Burguière fournit une — large — définition de l'« anthropologie histor ique » en la décrivant comme « une histoire des comportements et des habitudes »3. Tout ce qui se présente comme un bilan historiographique, même sommaire, doit rendre compte des lieux et des instruments qui ont rendu possible ou privilégié un certain type de recherche. Dans le cas de la rencontre entre ethnologie et histoire durant ces vingt dernières années, la VIe section de l'Ecole pratique des hautes études (EPHE), créée en 1947 et devenue en 1975 l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a joué un rôle essentiel, ne serait-ce que dans la rencontre journalière, dans cette bien nommée Maison des sciences de l'homme, des historiens et des anthropologues4. Il faudrait citer ici d'autres lieux de rencontre, comme le Collège de France et le Laboratoire d'anthropologie sociale, et sa revue L'Homme, où des médiév istes ont d'ailleurs parfois publié. Parmi les universités, il est certain que l'université de Paris-VIII-Vincennes — pour ne citer qu'elle — a joué un rôle important : la revue Médiévales de création récente s'inspire largement des travaux des anthropolo- 270 ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE gues5. A propos des revues, les Annales ESC ont été et restent un lieu privilégié pour ce type d'approche. Pour ce qui est de l'ethnologie des sociétés traditionnelles françaises, qui a été également pour les historiens une référence importante — pensons aux travaux d'A. Van Gennep ou de L. Dumont6 — , les contacts ont été fructueux avec le Musée des arts et traditions populaires et la Société d'ethnologie française (et sa revue Ethnologie française, où la place de l'histoire et le rôle des historiens sont dès l'origine — 1971, dans sa forme actuelle — très importants)7. De même, le Centre alpin et rhodanien d'ethnologie de Grenoble, fondé par Ch. Joisten, a été un lieu de rencontre entre historiens et ethnologues : la revue du Centre, Le Monde alpin et rhodanien, a accueilli de nombreux articles d'histoire médiévale. Et ne parlons pas des contacts privilégiés avec les ethnologues du Sud-Ouest de la France, comme D. Fabre, et les différents groupes de recherches langue dociens. La question se pose alors de savoir si de cette rencontre a surgi un nouveau mode d'approche de la réalité historique dans son ensemble ou un nouveau territoire de l'historien. Dans le premier cas, pour reprendre les termes vibrants d'un article récent d'A. Burguière, « il s'agirait d'une nouvelle étape sur le parcours prédateur de la pensée historique qui puise dans les autres sciences sociales depuis près d'un siècle, les concepts, les méthodes utiles à sa régénération. Après la géographie, la sociologie, l'économie, la démographie..., l'anthropologie8». Dans le second cas, il s'agirait de domaines particuliers couverts par cette histoire doublée de l'anthropologie, et appelée par commodité et dans une intention programmatique « anthropolog ie historique ». Laissons la question posée, pour revenir sur la rencontre entre l'histoire et l'anthropologie. Les historiens n'ont certes pas découvert brusquement les travaux des ethnologues sur les « sociétés traditionnelles » voilà une vingtaine d'années. M. Bloch et L. Febvre n'y avaient pas été insensibles. Mais cette attention s'est accrue quand s'est opéré en France, après la Seconde Guerre mondiale, un import ant renouvellement théorique de l'ethnologie, en particulier sous l'influence de C. Lévi-Strauss. Cela a certainement favorisé 271 L'HISTOIRE MÉDIÉVALE EN FRANCE une relecture des initiateurs, comme M. Mauss9. Il faut souligner également le rôle important de l'anthropologie anglo-saxonne, de la social anthropology 10. Un mot au passage sur les termes : pour les Anglo-Saxons, l'anthropologie sociale et culturelle correspondait à ce qu'en France l'on appelait ethnologie. Le terme d'anthropologie, employé par C. Lévi-Strauss — ses deux volumes d'Anthropologie structurale sont célèbres — , a quas iment maintenant remplacé en France celui d'ethnologie, entaché il est vrai d'une certaine forme de colonialisme intellectuel. Cela n'est d'ailleurs pas sans causer parfois quelques troubles car en France, traditionnellement, le terme d'anthropologie était réservé à l'anthropologie physique, qui désigne l'étude des variations des caractères physiques de l'homme dans les diver ses sociétés. Pour résumer, l'« anthropologie historique » à laquelle il sera fait référence renvoie donc plus à l'anthropologie selon C. Lévi-Strauss qu'à l'anthropologie physique, même si l'influence de cette dernière est loin d'être négligeable. Cette relation privilégiée ne fut pas d'ailleurs à sens unique : E.E. Evans-Pritchard, par exemple, appelle à la connaissance du passé des sociétés décrites par l'ethnologue11. De même, on oublie trop souvent que C. Lévi-Strauss n'a cessé d'appeler à une collaboration entre les deux disciplines. Dans l'introduction de son Anthropologie structurale, intitulée « Histoire et ethnolo gie » (datée de 1949), il se plaît à déclarer : « Aussi tout bon livre d'histoire [...] est-il imprégné d'ethnologie12. » La rencontre entre deux sciences humaines est toujours de nature dialectique. Un certain rapprochement pressenti entre l'objet de sa science propre et celui d'une autre pousse à la confrontation. De celle-ci jaillissent alors des modifications de perspectives, des mises en valeur de certaines structures, ou la réévaluation de certains objets 13. Cette confrontation a eu lieu dans quatre champs de recherche principaux : I. les systèmes de parenté ; II. l'histoire du corps ; III. les systèmes de représenta tion ; IV. l'histoire politique. 272 I. Les systèmes de parenté L'étude de la parenté représente pour les ethnologues le fil conducteur de leur discipline. Les modes d'organisation sociale qui prévalent dans les sociétés qu'ils étudient les ont contraints en effet, dès la naissance de leur discipline, à placer la parenté au centre de leurs préoccupations. C. Lévi-Strauss ne fut-il pas d'abord l'homme des Structures élémentaires de la parenté, ouvrage paru en 1949, avant d'être celui des Mythologiques™ ? Et c'est pourquoi nous insisterons particulièrement dans notre bilan sur cet aspect. Les historiens de l'Europe médiévale n'ont jamais été total uploads/Histoire/ berliozlegoff-anthropologie-histoire.pdf
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- Publié le Dec 30, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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