Clovis. Dix questions sur un mythe français LIBÉRATION- GÉRARD DUPUY 18 SEPTEMB

Clovis. Dix questions sur un mythe français LIBÉRATION- GÉRARD DUPUY 18 SEPTEMBRE 1996 À 22:55 A propos de Clovis, dont se fait grand rumeur, il convient pour commencer de rappeler ce dont on est scientifiquement certain... qu'il n'était pas. D'abord, il ne s'est jamais appelé Clovis, mais Chlodweig, ou quelque chose comme ça (1); ce Franc païen, né en Belgique, n'a pas été baptisé catholique romain en 496, contrairement à ce qu'essaie de faire croire le 1500e anniversaire qu'on en célèbre; et Clovis n'a pas plus «inventé la France» que, disons, Jean-Louis Debré n'a inventé l'eau tiède. Voilà pour la science. D'où vient Clovis? Les Francs sont un «peuple» germain tardivement apparu sur la scène romaine et sans doute issu d'un rassemblement de diverses peuplades disjointes par l'avancée impériale des deux premiers siècles. Moins nombreux que d'autres ethnies germaniques mais au moins aussi féroces qu'elles, les Francs fournissaient des troupes d'élite aux armées «romaines» tout en montant la «garde sur le Rhin». D'ailleurs, quasi tous les «barbares» (2) fournissaient des mercenaires à l'Empire, du moins quand ils ne se battaient pas contre ces mêmes armées (le plus célèbre exemple en est le Hun Attila, dûment gradé de l'armée romaine). Le père de Clovis, dont on a retrouvé la tombe, était d'ailleurs si fier de son uniforme de général romain qu'il s'est fait enterrer avec. A la fin du Ve siècle, les Francs étaient établis soit dans la plaine du Rhin autour de Cologne (Francs rhénans), soit dans une partie de l'actuelle Belgique et du nord de la France (entre les deux, le no man's land de la forêt ardennaise). Ils servent de tampon militaire face aux diverses tribus germaniques qui continuent à faire pression pour pénétrer dans les territoires de l'ancien Empire romain. Leur religion ressemblait à du Wagner hard, tralala du Walhalla compris, avec à l'occasion des sacrifices humains (mais nos bons Gaulois en faisaient tout autant). Deux choses à retenir: comme tous ses compatriotes des classes franques supérieures, le petit Clovis était programmé dès son âge tendre pour fendre des crânes (il ne s'en est pas privé). Mais aussi, il a hérité, en même temps que de sa fonction de «roitelet» franc de Tournai, d'une armée «romaine», et ipso facto barbare, en état de marche (il a su s'en servir aussi). A quoi ressemblait alors l'Europe? L'Empire romain d'Occident n'existe plus depuis 476, ce qui ne veut pas dire que l'«Empire romain» tout court a disparu: son ossature administrative subsiste tant bien que mal. Et si diverses dynasties barbares se partagent la majeure partie de l'ancien empire d'Occident, les zones qu'elles ne contrôlent pas relèvent quoique de manière seulement théorique de l'autorité de l'empereur de Constantinople (c'est le cas de l'ancienne province de Belgique seconde, où Clovis commence ses exploits). Même si l'empereur d'Orient n'a pas les moyens d'intervenir concrètement dans la partie occidentale de l'empire, il n'en demeure pas moins la vraie superpuissance de l'époque. Anastase (qui règne de 491 à 518) sera pour Clovis un allié discret mais efficace. D'ailleurs, quoique indépendants dans les faits, les rois barbares reconnaissent la suréminence symbolique de l'autorité impériale, à l'exception des Wisigoths qui occupent l'«Aquitaine» (soit l'actuelle France entre Loire et Rhône) et la plus grande partie de l'Espagne. Avec Ravenne pour capitale, leurs cousins ostrogoths règnent en Italie et en Dalmatie sous la direction de Théodoric le Grand. Les deux autres royaumes barbares sont celui des Burgondes (d'Auxerre et le plateau de Langres jusqu'à la Durance, avec un bon bout de Suisse et le contrôle des cols alpins) et les Vandales (le nord du Maghreb). Dans toutes les terres d'empire barbarisées, les ethnies germaines dominantes ne représentent qu'une mince proportion de la population, détentrice du pouvoir militaire. Elles doivent composer conflictuellement avec l'aristocratie foncière issue de la décomposition de la société impériale, souvent parée des honneurs sénatoriaux, et qui maîtrise notamment la levée des impôts mais aussi le maniement du droit. Car ces barbares se piquent de poursuivre l'oeuvre juridique de Rome: après d'autres, et parfois en les plagiant, Clovis fera publier des codes juridiques. Quelle est la carrière de Clovis? Il devient «roi» de Tournai à l'âge de 16 ans, ce qui n'a rien d'extraordinaire pour l'époque mais qui veut dire ipso facto chef de guerre. Il met cinq ans à éliminer un rival (romain) en Belgique seconde (la fameuse bataille de Soissons) dont il accapare en outre l'ensemble des territoires au nord de la Seine, limite qu'il ne parvient pas à franchir dans un premier temps. Une tentative contre les Burgondes n'a pas plus de succès. Puis il bataille sur son flanc est, contre divers peuples germains, (Alamans, Thuringiens) mais aussi à l'ouest et au sud, contre les Armoricains, pousse brièvement jusqu'à Bordeaux chez les Wisigoths avant de se retourner contre les Burgondes avec, là encore, un succès mitigé. Entre-temps il a agrandi ses territoires jusqu'à la Loire. En 507, il se lance à l'assaut du gros morceau wisigoth (cette fois en compagnie des Burgondes) qu'il enlève jusqu'aux Pyrénées (bataille de Vouillé). Mais le Languedoc et l'accès à la Méditerranée lui échappent. Dès lors, le petit roi de Tournai est devenu une grande puissance en Occident. Pour l'en féliciter, l'empereur de Constantinople le nomme consul romain (honoraire), ce qui le remplit de joie. Clovis finit sa vie en massacrant les restes de sa parentèle franque qui risquaient de faire de l'ombre à ses héritiers et il se fait reconnaître par la moitié rhénane des Francs grâce à un habile assassinat. Son pouvoir se fait sentir du Haut Danube aux Basses Pyrénées. Pourquoi Clovis s'est-il converti? A la fin du Ve siècle, le christianisme est certes la religion dominante de l'ancien empire romain mais pas la seule. Les cultes «païens», germains comme celui de Clovis mais aussi celto-romains, survivent, surtout dans les campagnes, tandis que la culture hellénistique brille de ses derniers feux (le philosophe Boèce, ministre de Ravenne, est un contemporain de Clovis). On ne s'expliquerait pas le zèle «missionnaire» de l'époque s'il n'était resté beaucoup de travail à faire aux propagandistes chrétiens. En outre, deux versions du christianisme se disputent alors la suprématie en Occident: l'Eglise «chalcédonienne» (3), d'une part, religion officielle de l'empire d'Orient et à laquelle adhèrent majoritairement les populations occidentales; l'arianisme, d'autre part, dont se revendiquent toutes les puissances d'origine germaine, en particulier gothes, qui tiennent en main la quasi-totalité de ce même Occident. Les Francs, à cheval sur les frontières de l'empire, sont alors une exception : ils en pincent encore pour le vieux Wotan... Il n'y a aucune raison de refuser au baptême de Clovis des motivations «personnelles», d'autant que des exemples de conversions après un authentique cheminement religieux abondent pour cette époque et dans les classes sociales supérieures. Mais voilà, selon le mot de Guizot, «le caractère individuel de Clovis nous est inconnu»... et il le restera. Il faut dire un mot aussi de la date de ce baptême: depuis longtemps, les historiens conviennent que la datation en 496, devenue traditionnelle, ne tient pas la route. Les estimations des érudits donnent 498 ou 499, à Noël, à moins que ce soit à Pâques. Les implications politiques du baptême de Clovis, en revanche, sont claires, encore que, là encore, il faille éviter les surinterprétations et garder présente à l'esprit la suite de l'avertissement de Guizot: «La politique prévoyante et régulière qu'on lui attribue était impossible dans sa nation et de son temps.» L'importance politique du baptême de Clovis ne consiste pas tant en ce qu'il a abandonné le paganisme pour embrasser le christianisme, mais que, ce faisant, il se soit prononcé contre l'arianisme tout en se mettant sous la bannière de l'Eglise promise au plus bel avenir. Quels bénéfices Clovis a-t-il tirés de son baptême? Ces bénéfices n'étaient pas évidents à première vue. Isolé dans son septentrion et entouré de puissances ariennes entre lesquelles jouait un minimum de solidarité de croyance, Clovis entre par là dans un processus d'affrontement latent, alors qu'il était encore en état de relative infériorité militaire. En outre, les particularités de la théologie arienne dans laquelle la figure du Christ est minorée par rapport à celle du Père se prêtent assez bien à une utilisation autoritaire, voire «totalitaire» (4). La dialectique des deux royaumes, céleste et terrestre, est enrayée, la puissance profane absorbant l'autorité religieuse. Cela explique sans doute la popularité de cette version du christianisme parmi les aristocraties guerrières germaniques. Il faut remarquer que Constantin le Pieux le premier empereur romain converti au christianisme et cité en modèle tout au long du haut Moyen Age a choisi pour son baptême un évêque arien (ce que les propagandistes catholiques masqueront). En fait, Clovis a fait le bon choix politique et, sans lui prêter un don de prophétie, on peut imaginer qu'il en avait conscience. En se ralliant à la religion officielle de l'Empire romain d'Orient, Clovis confortait son alliance géopolitique avec Constantinople. Il n'était plus simplement la puissance qui pesait sur les arrières des royaumes ariens, en particulier l'Italie ostrogothe de Théodoric avec laquelle l'empire gréco-romain uploads/Histoire/ clovis.pdf

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  • Publié le Jui 27, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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