Paul-Henri Michel Les médiétés. In: Revue d'histoire des sciences et de leurs a

Paul-Henri Michel Les médiétés. In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1949, Tome 2 n°2. pp. 139-178. Citer ce document / Cite this document : Michel Paul-Henri. Les médiétés. In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1949, Tome 2 n°2. pp. 139-178. doi : 10.3406/rhs.1949.2694 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0048-7996_1949_num_2_2_2694 Les médiétés L'étude des proportions pourrait être considérée, sur le plan logique, comme le couronnement de l'arithmétique pythagoric ienne. Construction des nombres polygones, sommations de séries, décomposition des nombres en facteurs, génération des épimores ( 1 ) semblent autant de thèmes préparatoires à une théorie de la pro portion. Mais nous savons que l'ordre historique n'est pas toujours Tordre logique, et il se trouve que, de tous les problèmes traités par les Grecs, ceux qui intéressent les proportions et les moyennes proportionnelles comptent parmi les plus anciens. Ils ne sont pas seulement préeuclidiens mais préhelléniques ; ils sont de ceux dont Thaïes et Pythagore ont pu recevoir la tradition de l'Orient. L'idée de proportion domine la mathématique égyptienne. Elle y est notamment la clef du calcul fractionnel, par suite des méthodes particulières de ce calcul. Les Égyptiens réduisaient en effet les nombres fractionnaires en fractions ayant l'unité pour numérateur, et les opérations qu'ils devaient effectuer sur ces « quantièmes » les amenaient à des problèmes de proportions. Voici, à titre d'exemple, un problème typiquement égyptien (le n° 24 du Papyrus Rhind) í trouver un nombre qui, augmenté de sa septième partie, donne 19. Le calculateur égyptien prend d'abord le nombre 7, l'augmente de son 7e, ce qui donne 8 (où nous reconnaissons Yépimore) ; et il n'a plus qu'à trouver un nombre qui soit à 19 ce que 7 est à 8 (2). Cette recherche, qu'il mène par une série de tâtonnements, devient pour nous celle d'un des quatre termes d'une proportion dont les trois autres sont connus. Nous ignorons dans quelle mesure les Égyptiens s'étaient élevés (1) L'a épimore » est un nombre égal à la somme d'un nombre donné et d'une de ses parties aliquotes. (2) Pour les détails, voir P. Brunet et A. Mieli, Histoire des sciences, Antiquité (Paris, Payot, 1935), p. 61. 140 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES au-dessus des cas d'espèce et à quel degré de généralité ils avaient su porter leur science, mais nous ne pouvons pas nier l'intervalle immense qui sépare les répertoires de problèmes et de solutions qu'offrent les papyrus mathématiques d'avec une théorie des proportions telle que l'exposent les livres V, VI et VU des Éléments euclidiens. Cet intervalle, les prédécesseurs d'Euclide l'avaient en partie comblé. Les sources des Ve et VIe livres remontent à Eudoxe. Celles du VIIe sont plus anciennes et plus incertaines ; dans cette partie de son ouvrage, Euclide, s'il s'écarte de l'arithmétique pythagoricienne par son style et ses méthodes de démonstration, s'y rattache cependant par le choix des problèmes traités et rend ainsi indirectement hommage à l'ancienne École, dans laquelle, dès le ve siècle (au plus tard), s'était élaborée une théorie incomplète certes, puisqu'elle s'appliquait aux seuls nombres entiers, mais déjà ordonnée et cohérente de la proportion (1). La théorie des médiétés se rattache à celle des proportions sans toutefois se confondre avec elle. Il importe de préciser ce qui les distingue. Le mot « proportion » répond au grec àvaXoyta ; par le mot « médiété » (latin : medietas ou mediocritas) nous traduisons fxearOTTjç. Bien que pour certains auteurs (et pour quelques histo riens modernes), ces deux termes semblent synonymes, ils doivent être soigneusement distingués. Месготу)? pourrait être traduit en français par moyenne dans les deux sens que nous donnons à ce mot, à savoir le moyen terme d'une proportion ou (abusivement) (1 ) La question de savoir jusqu'à quel point les Pythagoriciens ont préparé le livre VII des Éléments (ainsi que les autres livres arithmétiques) est débattue. Voir les opinions diverses de Hankel, Zur Gesch. d. Math, in Alterthum u. Mittelaller, Leipzig, 1874, p. 390; Loria, Scienze esatte nelVantica Grecia, liv. I, § 21 ; Heath, Gr. math., I, 84-85, etc. Selon la leçon de Diels (et déjà de Mullach), Eudème attribuait à Pythagore une théorie des proportions (t&v ávaXóywv), tandis que d'après la leçon de Friedlein, acceptée par Tannery et que nous avons suivie, il s'agit de la découverte des irrationnelles (twv áXóytov). Mais attribuer à Pythagore la découverte des irrationnelles ne signifie pas, et au contraire, lui dénier ou dénier à ses premiers disciples, l'élaboration d'une théorie déjà cohérente des proportions. Abel Rey (La science dans l'antiquité, ** 296) estime que les trois pre mières médiétés ont été découvertes « isolément ». C'est probable en effet, mais elles ont pu l'être à une époque antérieure au pythagorisme, et Rey insiste peut-être trop, à cette occasion, sur le caractère sporadique de l'arithmétique pythagoricienne, à laquelle, au contraire, il faut reconnaître le mérite d'un premier effort tendant à l'organisation de la science. LES MÉDIÉTÉS 141 la proportion elle-même. Le premier sens est le plus usuel, le plus conforme à l'étymologie, mais c'est par le second que [asctot/jç se rapproche ďávaXoyía et c'est seulement quand il est affecté de ce second sens que [asotot/jç devra être traduit par médiélé. Ainsi sera évitée toute amphibologie. La plupart des auteurs grecs ont eu conscience de la différence qui sépare la médiété de l'analogie, mais ils ont rarement su la préciser d'une manière satisfaisante. Le sens ď « analogie » est donné dans les Éléments d'Euclide : « L'analogie est une identité de raison » (V, défin. 4) ; et plus loin (V, défîn. 8, 9) : « Une analogie a au moins trois termes » ; et encore (VU, défin. 20, 21) : « Des nombres sont analogues (nous dirions proportionnels) lorsque le premier est le même multiple, ou égal à la même partie ou aux mêmes parties du second que le troisième l'est du quatrième. » Cette dernière définition, conforme, comme toutes celles du livre VU, à l'usage courant, montre que cet usage tendait à réserver le nom d'analogie aux proportions de quatre termes, de la forme a : b :: с : d. Mais en fait la proportion peut se réduire à trois termes quand a : b :: b : c. Elle est dite alors « continue » et fournit les premiers termes d'une progression continue de même raison. Ainsi les nombres 2, 4, 8, 16... sont « analogues », car dans la série qu'ils forment les termes successifs se trouvent tous dans le même rapport. Signalons ici que le fragment de Speusippe inséré dans les Théologoumènes présente une distinction entre V analogie et Vana- colulhie ou anacoluthe (ávaxoXou0ía). Ce dernier mot, dont on ne connaît pas d'autre exemple dans la littérature scientifique, pourrait, à une certaine époque, avoir été appliqué aux proportions discontinues, aussi bien arithmétiques que géométriques (1, 2, 5, 6 ; 1, 2, 8, 16) tandis que le terme d'analogie aurait désigné les pro portions continues (1, 2, 2, 3 ; 1, 2, 2, 4) (cf. P. Tannery, Pour l'histoire de la science hellène2, p. 387, n. 2). En résumé : 1° Une proportion ne peut avoir moins de trois termes ; 2° Le nombre des termes d'une proportion est illimité ; 3° La porportion-type est celle de quatre termes. Suivant la définition d'Euclide (VU, 20 [21]), l'appellation analogie devrait être réservée à la proportion (ou à la progression) géométrique. Cependant elle est appliquée par extension aux autres progressions et parfois même aux médiétés. Cet abus 142 revue d'histoire des sciences — dont rend compte Adraste d'Aphrodisias, cité par Théon — tient à ce que, la médiété géométrique étant une analogie au sens le plus strict, le terme s'est étendu aux autres médiétés : à celles qui peuvent s'insérer dans une progression autre que la géomét rique, et même à celles auxquelles ne correspond aucune pro gression continue. « И у a plusieurs médiétés (fxecrOTyjTéç)... Or de toutes ces médiétés, Adraste dit que la géométrique est la seule qui soit une vraie proportion (ávaXoyta)... Il dit que les autres reçoivent [abusivement] de quelques-uns le nom plus général de proportion » (Théon, Expos., II, 50, édit. Dupuis, 175). De même Nicomaque : « La médiété géométrique est la seule qui en toute rigueur peut être appelée une proportion, puisque ses termes sont tous de même raison » (Introd. arithm., II, 24). Entre le domaine de la proportion et celui de la médiété la médiété géométrique constituait donc un secteur commun. D'où la confusion et l'incer titude du vocabulaire. Le bon usage des deux termes n'en reste pas moins facile à discerner et à aucune époque il n'est entièrement perdu de vue. « La médiété, écrit Pappus, se différencie de la proportion (analogie) en ce sens que ce qui est porportion est également médiété et que le contraire n'a pas lieu » (Coll. math., III, 12; Ver Eecke, 52). Par cette formule, à vrai dire peu claire, Pappus veut exprimer que Г « analogie » comporte toujours une médiété, ou encore que, réduite à trois termes, sous la forme - = - elle uploads/Histoire/ les-medietes-paul-henri-michel.pdf

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  • Publié le Fev 07, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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