LA CRISE DE 1929 OU LA LEÇON NON APPRISE DE L'HISTOIRE Sophie Boutillier L'Harm
LA CRISE DE 1929 OU LA LEÇON NON APPRISE DE L'HISTOIRE Sophie Boutillier L'Harmattan | « Marché et organisations » 2013/3 N° 19 | pages 13 à 30 ISSN 1953-6119 ISBN 9782343019932 DOI 10.3917/maorg.019.0013 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2013-3-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Galbraith, 1970, p. 25 INTRODUCTION Dans un petit ouvrage publié au début des années 1990, Galbraith (1992), qui fut l’un des conseiller de Roosevelt, s’étonnait à juste titre de l’ « extrême brièveté de la mémoire financière » (p. 19-20). « Tout désastre financier est vite oublié. (…) Lorsque des circonstances identiques ou très proches se reproduisent, parfois à quelques années d’intervalle seulement, elles sont saluées par une nouvelle génération, souvent jeune et toujours suprêmement confiante en elle-même comme une découverte brillamment novatrice dans le monde de la finance et plus largement de l’économie. Rares doivent être les domaines du comportement humain où l’histoire compte aussi peu que dans l’univers financier ». Les propos de Galbraith sont riches d’enseignement à un moment où le monde est en proie depuis 2008 à une grave crise financière et économique, que nombre d’économistes (Pascallon, 2010) analysent comme plus forte que celle de 1929. Ils expliquent par ailleurs que ce n’est pas le New Deal, mais la deuxième guerre mondiale, qui a permis la sortie de crise, en s’appuyant notamment sur les propos de sir William Beveridge (pourtant le père du welfare state britannique) selon lequel : « le seul remède souverain que le capitalisme ait jamais découvert contre le chômage, c’est la guerre » (Pascallon, 2010, p. 180). Nous partageons ses propos sur lesquels est fondé le présent article. Notre objectif n’est pas de revenir sur le scénario exact qui a conduit à la crise, mais de mettre plutôt l’accent sur les mécanismes © L'Harmattan | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.220.68.32) © L'Harmattan | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.220.68.32) 14 économiques, sociaux et politiques qui ont produit cette situation, et plus encore sur l’inefficacité du New Deal pour sortir de la crise. On ne peut comprendre la crise de 1929 sans revenir sur l’état du monde au début du 20e siècle et plus encore sur la première guerre mondiale. Celle-ci fut selon l’expression de nombre d’historiens (Hobsbawm, 1994), la première guerre mécanique. Les progrès techniques et scientifiques gigantesques, générés depuis la première révolution industrielle, furent à l’origine d’industries nouvelles (dans des domaines très variés tels que la chimie, la métallurgie, l’automobile, l’aviation, l’électricité, etc.). Cependant, en 1918 le monde ne ressemble plus à ce qu’il était en 1914. Alors que le capitalisme était au début du 20e siècle la forme d’organisation économique dominante, au cours de la première guerre mondiale, en 1917, la révolution russe en impose une nouvelle, le socialisme, faisant naître dans les milieux ouvriers des espoirs de changement et des fortes craintes dans les milieux d’affaires et politiques conservateurs. D’un autre côté, le centre de gravité de l’économie mondiale a changé. Les États-Unis sont devenus, au détriment de l’Europe (en premier lieu de la Grande-Bretagne et de la France), la première puissance mondiale. Le capitalisme s’est développé aux États-Unis en suivant une vitesse accélérée, comparé à l’Europe, ce qui a été le résultat d’un lent cheminement de plusieurs siècles qui s’est opéré en l’espace que quelques décennies aux États-Unis. Les États-Unis sont donc la première puissance économique mondiale en 1918. Cette place de leadership économique et politique aura de lourdes conséquences pour les décennies à venir, jusqu’à aujourd’hui. Mais, la révolution russe et la grande guerre ont fortement ébranlé les états d’esprit. Les années 1920-1930, si on les qualifie d’ « années folles » aux États-Unis, furent aussi en Europe marquées par d’importants désordres sociaux. La crise économique de 1929 s’inscrit dans ce contexte politique et social difficile, mais elle est aussi marquée (en premier lieu aux États-Unis), par le début de la consommation de masse, phénomène inédit dans l’histoire de l’humanité. La consommation des ménages se développe cependant grâce au crédit, et par conséquent grâce aux marchés financiers et aux banques, véhiculant l’idée selon laquelle la fortune était devenue un rêve accessible à tous, état d’esprit qui alimenta l’amnésie financière dénoncée par Galbraith. La crise de 1929 éclate aux États-Unis alors les différents gouvernements qui s’étaient succédés au pouvoir pratiquaient une politique économique de laisser-faire et de confiance totale dans les mécanismes du marché. Ajouté à cela l’autre pendant du libéralisme, celui selon lequel on ne doit sa réussite qu’à soi- même et que l’intervention de l’État, quelle que soit sa forme, est forcément réductrice de liberté, individuelle et collective. Le New Deal s’inscrit comme une tentative de réponse désespérée à une situation désespérée. Ses résultats furent relativement restreints. Heureusement, la © L'Harmattan | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.220.68.32) © L'Harmattan | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.220.68.32) 15 guerre apporta les marchés que les entreprises attendaient, en Europe, mais surtout aux États-Unis. Dans un premier temps, nous analyserons le contexte d’avant-crise, puis dans un second temps, nous reviendrons sur les mécanismes de la crise, pour conclure sur les solutions de sortie de crise qui furent élaborées, jusque la deuxième guerre mondiale, comme une réponse à la crise (commandes publiques d’armements, effort de guerre, etc.). 1. Avant la crise : un monde en quête de repère Les années qui séparent la fin de la Grande guerre et le krach de 1929 furent marquées par une refonde profonde de l’ordre économique et politique mondial : déclin de l’Europe, révolution russe et domination américaine. Après une fin de guerre difficile, marquée par des troubles sociaux importants (y compris aux États-Unis), l’individualisme combiné aux valeurs libérales (la croyance dans le mécanisme régulateur du marché) et l’arrivée à maturité de nouvelles technologies (électricité, automobile, aviation, téléphone, etc.), donna en l’espace d’une dizaine d’années le sentiment que la fortune était à la portée de tous, sans effort, en dormant… De plus, l’Amérique n’était-elle pas pour les millions d’Européens qui avaient fui les famines et les persécutions religieuses une terre d’opportunités ? 1.1. Les conséquences de la fin de la première guerre mondiale Au début du 20e siècle, le capitalisme avait imposé son seau sur l’ensemble du monde (Harman, 2011, p. 417). L’Europe (plus particulièrement la Grande-Bretagne et la France) dominait le monde. Leurs entreprises se partageaient le marché mondial, terrain de jeu immense pour des hommes d’affaires dynamiques et des diplomates, si bien décrit dans les romans d’Agatha Christie. Le 19e siècle avait été à la fois une révolution industrielle, scientifique, économique et sociale. Les années qui avaient précédées la grande guerre avaient été en effet marquées depuis la fin du 19e siècle par une forte idéologie en faveur du progrès, en premier lieu du progrès technique et scientifique. La science semblait être la réponse à tous les maux humains (santé, alimentation, loisirs, transport, etc.). La guerre contribua à remettre en question cette idéologie avec plus de 10 millions de morts (Harman, 2011, p. 448). Les progrès technique et scientifique avaient libéré un pouvoir destructeur inédit. La révolution de 1917 en Russie, qui mit fin à l’empire dans la violence, ébranla aussi fortement les esprits des dirigeants politiques européens. Aussi, contrairement à une idée largement rependue, le lendemain de la guerre fut marquée par d’importants mouvements de contestation dans la plus grande partie de l’Europe (Harman, 2011, pp. © L'Harmattan | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.220.68.32) © L'Harmattan | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.220.68.32) 16 474-475). L’heure n’était pas à la fête, malgré la fin de la guerre. Cet état d’esprit se manifesta par de fortes inquiétudes parmi les dirigeants européens. Par exemple, en mars 1919, le premier ministre britannique, David Lloyd George écrivait une lettre à son homologue français, Georges Clemenceau, dont les propos résumés étaient les suivants : « l’Europe toute entière est gagnée par l’esprit révolutionnaire (…). L’ordre établi, sous ses aspects politiques, social, économique, est remis en question par uploads/Histoire/ crise-29.pdf
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- Publié le Nov 07, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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