Edward Said, Eqbal Ahmad et Salman Rushdie: La résistance à l'ambivalence de la

Edward Said, Eqbal Ahmad et Salman Rushdie: La résistance à l'ambivalence de la théorie postcoloniale Author(s): Youssef Yacoubi and Alexis Tadié Source: Tumultes , novembre 2010, No. 35, Edward Said théoricien critique (novembre 2010), pp. 155-184 Published by: Éditions Kimé; L'Harmattan; Sonia Dayan-Herzbrun Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24599388 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms , and L'Harmattan are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Tumultes This content downloaded from 194.199.98.66 on Wed, 16 Mar 2022 14:42:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms TUMULTES, numéro 35, 2010 Edward Said, Eqbal Ahmad et Salman Rushdie* La résistance à l'ambivalence de la théorie postcoloniale Youssef Yacoubi Hofstra University, New York Les liens personnels et intellectuels qui unissent Said à Eqbal Ahmad et à Salman Rushdie, deux intellectuels de premier plan originaires du sous-continent indien, reposent sur l'idée que l'histoire, les récits et la politique sont inextricablement liés. Cette position remonte au discours anti-impérialiste façonné par Aimé Césaire, Frantz Fanon et C. L. R. James. Ces penseurs importants ont montré comment articuler la matérialité et la violence du colonialisme. Ils partagent un impératif fondamental, que Said a par la suite assigné aux intellectuels : parler contre le pouvoir, interroger les structures qui font naître la coercition, l'injustice et le silence. L'intellectuel doit créer des lectures alternatives de l'histoire et de la culture. Le travail de l'intellectuel se doit d'être antagoniste. Eqbal Ahmad a pendant longtemps adopté cette posture aux côtés de Said. Il a joué un rôle essentiel aux États-Unis pour changer la perception des Palestiniens et de leur histoire. Il s'est employé sans relâche à définir le sens de la lutte révolutionnaire * Une première version anglaise de cet article a été publiée dans la revue Alif, Edward Said and Critical Decolonization, n°25, 2005. This content downloaded from 194.199.98.66 on Wed, 16 Mar 2022 14:42:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 156 Edward Said, Eqbal Ahmad et Salman Rushdie contre le pouvoir colonial. Son analyse de la pensée révolutionnaire a toujours été sous-tendue par une conscience fondamentale du fait que, après la soi-disant exaltation consécutive à l'indépendance territoriale, il est essentiel de s'opposer à l'ignorance, au préjugé et à l'oppression. Le processus de décolonisation, surtout de décolonisation de l'esprit, est incomplet et dynamique à l'extrême. L'orientation profonde et durable de la théorie de l'anti-impérialisme défendue par Ahmad a alimenté la vigilance de Said vis-à-vis des formes nouvelles d'orientalisme. Avec constance, ils se sont tous deux attachés à identifier les images fondamentales des médias américains — en « parfaite synchronie », disait Said, avec l'administration américaine. Entre Said et Rushdie, c'est l'expérience de « l'identité paradoxale » qui offre de nouvelles patries imaginaires et de nouvelles frontières intellectuelles à franchir. Selon moi, les arguments cruciaux de l'anti-impérialisme — qui prend souvent les apparences de la lutte des Palestiniens pour l'auto-détermination — lient Said, Ahmad et Rushdie. L'amitié entre Said et Rushdie est davantage cimentée par la condition partagée de l'exil et de l'hybridité. Je montrerai qu'en dépit des résultats indéniables obtenus par d'autres intellectuels du sous-continent — en particulier Homi Bhabha et V. S. Naipaul (d'origine indienne, mais né à Trinidad) — dans la dépolitisation de l'édifice du colonialisme, Said, Ahmad et Rushdie ont soutenu ensemble (en ce qui concerne la Palestine) que l'impérialisme est structurellement monolithique et historiquement intransigeant. Dans cette perspective, je discuterai dans la dernière section les théories de Bhabha de l'ambivalence, de la mimique et de la traduction. Selon Said, un grand nombre d'intellectuels occidentaux ont sérieusement réduit l'impérialisme aux concepts douteux de la charité occidentale et du relativisme culturel. Ils ont vidé l'expérience même du colonialisme des réalités matérielles brutes constituées par la discrimination, les stéréotypes et la ségrégation. Homi Bhabha en particulier a été davantage séduit par la professionalisation et la spécialisation universitaires. Said, Ahmad et Rushdie trouvent particulièrement dérangeant le consensus critique de V. S. Naipaul et de Homi Bhabha sur l'ambivalence du pouvoir impérial. La théorie de l'ambivalence This content downloaded from 194.199.98.66 on Wed, 16 Mar 2022 14:42:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Youssef Yacoubi 157 repose essentiellement sur division et de l'exclusion de l'Autre. Le partage des provinces de l'Empire Said a dédié à Ahmad l'un de ses ouvrages les plus importants d'histoire coloniale, Culture et impérialisme (1993). Ce geste de Said nous rappelle que l'œuvre et la pensée d'Ahmad doivent être placées au cœur d'une politique anti impériale. Jusqu'à sa mort, Ahmad a continué à dénoncer le néo colonialisme, en particulier la politique américaine du « changement de régime » et son grand projet de « démocratisation » du Moyen-Orient. Said et Ahmad ont été en grande partie formés par l'histoire coloniale et par une existence hybride et périphérique au sein du monde occidental. Ils sont tous deux nés au milieu des années trente, sous domination anglaise, en Palestine et au Pakistan. Ils ont tous deux émigré aux États-Unis, étudié à l'université de Princeton avant d'enseigner dans des universités américaines. Ahmad a grandi dans l'Inde coloniale et a été témoin de la partition de l'Inde et du Pakistan. Après la Partition de 1947, il a émigré au Pakistan. Ahmad a été associé à Frantz Fanon au sein du Front de Libération Nationale algérien. Son activisme anti-colonial s'est exprimé pendant les années 1964-1968, époque où il est devenu à la fois l'une des voix les plus fortes et les plus remarquables à s'exprimer contre les violences américaines au Viêtnam et au Cambodge ; il analyse également de près le mouvement de résistance palestinien depuis 1968. Ahmad est resté, pour Said, « cette chose rare, un intellectuel sans complexes vis-à-vis du pouvoir ou de l'autorité, un compagnon d'armes de gens aussi différents que Noam Chomsky, Howard Zinn, Ibrahim Abu-Lughod, Richard Falk, Fred Jameson, Alexander Cockburn et Daniel Berrigan1 ». La défaite arabe de 1967 face à Israel a aiguisé la conscience politique de Said et l'a rapproché de l'affiliation révolutionaire et anti-impérialiste d'Ahmad, que celui-ci avait développée pendant ses années de formation politique en Algérie française et dans l'Inde britannique. Said et 1. Edward Said, The Pen and the Sword : Conversations with David Barsamian, Edinburgh, AK Press, 1994, p. 74. This content downloaded from 194.199.98.66 on Wed, 16 Mar 2022 14:42:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 158 Edward Said, Eqbal Ahmad et Salman Rushdie Ahmad ont été formés par l'expérience coloniale même. Nés et élevés dans les provinces culturelles et politiques des empires européen et américain, Said et Ahmad sont le produit même de la périphérie et de son savoir. Ahmad ayant succombé, le 11 mai 1999, à une crise cardiaque à Islamabad, Said l'évoque simplement, dans la préface à Confronting Empire (2000), en ces termes : « notre cher ami et camarade ». Parce qu'il a vécu le contrôle colonial et en a été le témoin, avec la déshumanisation sans fin des indigènes qu'il implique, Ahmad, pour Said, demeure « un véritable compagnon de lutte » pour les droits des Palestiniens. Depuis leur rencontre à Beyrouth en 1980, avec le célèbre poète pakistanais Faiz Ahmad Faiz, Said et Ahmad ont voulu développer des stratégies communes d'opposition au colonialisme israélien. Avant les accords d'Oslo, David Barsamian rapporte dans l'interview qu'il a faite d'Ahmad que celui-ci s'était à l'époque entretenu avec Ara pour élaborer une approche souple, fondée sur les principe l'égalité et de l'inclusion. Il a expliqué aux dirigeants de l'O ainsi que dans une conférence donnée à Beyrouth, que « l' s'est retrouvée enfermée dans l'attitude du refus au bénéfice de l'ennemi, et que, par tactique, elle devrait abandonner à ses adversaires cette position, car le refus est historiquement et théoriquement étranger à la tradition révolutionnaire2 ». Said et Ahmad sont très tôt tombés d'accord sur le fait que les dirigeants palestiniens devaient accepter que le nouvel État d'Israël allait exister indéfiniment. L'OLP devait à présent se concentrer, de façon à la fois plus constructive et plus créative, sur la lutte pour actualiser son propre droit à l'auto détermination. Ils ont tous deux défendu de façon convaincante l'idée selon laquelle la lutte révolutionnaire nécessite de la souplesse politique, de faire la différence entre tactique et stratégie, de comprendre les coups de l'adversaire, de se réfugier dans la clandestinité lorsque c'est nécessaire et d'examiner sans cesse ses propres présupposés3. Au début des années 1980, Ahmad a soutenu que « l'inflexibilité tactique », « l'attitude du refus » et l'isolement physique de l'OLP au Sud Liban, pendant 2. Eqbal Ahmad, « Yasser Arafat's Nightmare », MERIP Reports 119 (nov. déc. 1983), p. 19. 3. Ibid., p. 22. This content downloaded from 194.199.98.66 on Wed, 16 Mar 2022 14:42:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms YoussefYacoubi 159 les négociations de uploads/Histoire/ edward-said-eqbal-ahmad-et-salman-rushdie-la-resistance-a-l-x27-ambivalence-de-la-theorie.pdf

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  • Publié le Mar 28, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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