HISTOIRE DES POISONS, DES EMPOISONNEMENTS ET DES EMPOISONNEURS Éric Birlouez Éd

HISTOIRE DES POISONS, DES EMPOISONNEMENTS ET DES EMPOISONNEURS Éric Birlouez Éditions OUEST-FRANCE le poison, arme du crime parfait - 5 Le poison, arme du crime parfait À première vue, l’histoire des poi- sons et des empoisonneurs semble aussi ancienne que celle de la recherche du crime parfait. Le poison idéal est une arme qui présente trois atouts essen- tiels : il tue de façon sûre ; il est totale- ment indétectable par la future victime et son entourage ; enfin, il donne l’illusion d’une mort naturelle (ce qui, en principe, n’éveille aucun soupçon). Le meurtrier peut donc agir sereine- ment et, après le décès de la personne « ciblée », continuer à dormir sur ses deux oreilles. Il est probable toutefois que les pre- miers poisons employés par l’homme ne visaient pas à faire disparaître ses semblables sans laisser de traces. Mais à chasser plus efficacement les ani- maux qui allaient constituer ses futurs repas. Dès les temps préhistoriques, nos ancêtres ont eu l’idée d’enduire oi- si du ne en- le- ime ne qui, ). e- ne es e- me ses ais i- urs s, re Page de gauche Une empoisonneuse (The Love Philtre, John William Waterhouse, 1913). AKG-images. À droite Digitale (à gauche) et jusquiame (à droite) font partie des plantes les plus toxiques présentes sur notre territoire. AKG-images. 32 - histoire des poisons, des empoisonnements et des empoisonneurs Ainsi, le mercure est beaucoup plus toxique lorsqu’il est inhalé sous forme de vapeurs que lorsqu’il est ingéré (il franchit diffici- lement la barrière intestinale). De même, lorsqu’elles sont avalées sans être mâchées, les graines de ricin sont bien moins toxiques que lorsqu’elles sont broyées par les dents (ces dernières détruisent l’enveloppe qui protégeait la graine et empêchait la libération à l’extérieur de la dangereuse ricine). La dose de poison est bien entendu le facteur primordial. Il faut dépasser une cer- taine quantité, variable selon la substance considérée, pour que cette dernière devienne toxique. À l’inverse, de faibles doses peuvent avoir des effets positifs sur la santé. Le poison, comment ça fonctionne ? Un poison peut entrer dans le corps de différentes manières : par ingestion (par- venu au niveau de l’intestin, il passe dans le sang), par la voie respiratoire (les toxines inhalées pénètrent dans les poumons puis s’introduisent dans les vaisseaux sanguins), par la peau (directement ou via une plaie ou une coupure), par injection dans les veines (crochets du serpent, dard du scor- pion, seringue…) ou encore par les yeux. Le mode d’exposition est un facteur essen- tiel : de lui dépendent, en totalité ou en partie, la rapidité d’action du poison, sa toxicité, ses conséquences sur la santé... Les poisons peuvent entrer dans le corps par ingestion, en empruntant les voies respiratoires ou encore en pénétrant par la peau, les yeux ou le sang… comme dans le cas des serpents qui injectent leur venin dans les veines de leur victime (fresque, 1542, Florence). AKG-images/Rabatti - Domingie. 42 - histoire des poisons, des empoisonnements et des empoisonneurs LE CURARE Selon une légende amazonienne, un chasseur vit un jour un faucon lacérer de ses griffes l’écorce d’une liane avant de s’élancer vers sa proie. À peine cette dernière avait-elle été saisie par l’oiseau qu’elle mourut. Intrigué, l’homme frotta la pointe de ses fl èches sur l’écorce que le rapace avait griffée. Il constata alors que les animaux que son arme parvenait seulement à égratigner succombaient là aussi en quelques secondes. Les explorateurs qui s’enfoncèrent au cœur de la forêt amazonienne découvrirent le curare, ce poison mortel que les Indiens nommaient ourari, « la mort qui tue tout bas ». AKG-images/Paul D. Stewart/ Science Photo Library. Indiens Puri d’Amazonie (Brésil) partant chasser (peinture à l’eau, 1815-1817). AKG-images. 72 - histoire des poisons, des empoisonnements et des empoisonneurs Cléopâtre a-t-elle eu recours au venin d’un serpent pour se suicider ? Près d’un siècle et demi après la mort de Cléopâtre survenue en 30 av. J.-C., le phi- losophe et biographe grec Plutarque relate les ultimes instants de la dernière reine d’Égypte. Celle-ci s’est suicidée en se fai- sant mordre par un serpent venimeux qui lui avait été apporté caché dans un panier de figues. Juste avant de commettre dans le plus grand secret son geste fatal, Cléopâtre a fait annoncer sa mort à Octave, le général romain qui la retient prisonnière dans son palais d’Alexandrie. Lorsque les soldats d’Octave se précipitent, ils découvrent le corps sans vie de la souveraine parée, précise Plutarque, de ses habits royaux. Elle est allongée sur un lit d’or avec, à ses côtés, deux servantes dont l’une, encore vivante mais « déjà chancelante et appesantie, arrangeait le diadème autour de la tête de la reine ». Le mythe est lancé : à partir de la fin du Moyen Âge, de nombreux peintres repré- senteront la belle et courageuse Cléopâtre approchant le dangereux reptile de son sein dénudé pour que l’animal lui injecte son mortel poison. Mais les choses se sont-elles vraiment passées ainsi ? Plutarque lui-même évoque d’autres hypothèses… La légende n’aurait-elle pas quelque peu arrangé les faits ? Après tout, la beauté de la reine égyptienne a bien été largement exagérée : les sculptures de son visage a priori les plus fidèles témoignent en effet de traits fort communs. Lorsqu’elle se présente pour la première fois face à César, dans des conditions que la légende décrit comme rocambolesques (elle aurait surgi d’un sac ou d’un tapis dans lequel elle se serait cachée), Cléopâtre VII n’a que 20 ans. Par cette rencontre secrète avec l’homme fort de Rome, la dernière représen- tante de la dynastie de pharaons grecs fondée par Alexandre le Grand cherche à échapper Pour se suicider, Cléopâtre aurait eu recours au venin d’un serpent. AKG-images. des empoisonnements célèbres - 95 longues années, en connaissant de nombreux rebondissements. Elle ira jusqu’à mettre directement en cause la mère des enfants de Louis XIV , la marquise de Montespan, sa favorite officielle pendant treize années. Vers la fin de sa vie, le roi tentera de faire dispa- raître toute trace de ce scandale d’État : le 13 juillet 1709, à Versailles, il demande à un valet de jeter au feu, et sous ses yeux, tous les procès-verbaux, rapports de police et autres archives relatifs à l’affaire. Mais d’autres documents vont échapper à « l’éternel oubli » souhaité par Louis XIV , permettant aux historiens actuels de faire en grande partie la lumière sur cette ténébreuse affaire. Tout commence à Paris, le 31 juillet 1672. Un ancien capitaine de cavalerie, Jean- Baptiste Godin de Sainte-Croix, s’éteint de mort naturelle à son domicile du quartier Saint-Germain. Le défunt étant couvert de dettes, ses créanciers font immédiatement appel au procureur du roi, lequel fait procé- der à un inventaire après décès des biens du disparu. Lors de cet inventaire, on retrouve dans le logement une cassette au fond de laquelle sont rangés des papiers et des fioles. Le règne de Louis XIV ébranlé par l’« affaire des Poisons » Au XVIIe siècle, les pratiques superstitieuses, la sorcellerie, les messes noires, l’emploi de philtres d’amour et d’aphrodisiaques sont demeurés courants dans toutes les couches de la société française. Il en est de même des assassinats par empoisonnement, rela- tivement fréquents. À cette époque, les substances toxiques employées – le plus souvent des sels minéraux d’arsenic et de plomb – sont indétectables sur les cadavres des malheureuses victimes. Ce qui permet, sans courir de grands risques, de se débarras- ser d’un concurrent ou d’un rival politique ou amoureux. Ou encore de hâter, grâce à l’emploi de « poudres de succession », le trépas d’un parent afin de bénéficier plus tôt de son héritage. C’est dans ce contexte particulier que naît, au début des années 1670, la célèbre « affaire des Poisons ». Son ampleur est telle qu’elle va ébranler en profondeur le fastueux règne du Roi-Soleil. Bien plus qu’un fait divers, cette incroyable séquence politico- judiciaire va se déployer pendant dix En 1672, l’ouverture d’une cassette contenant des documents et des fi oles de poison met en cause une personne de haut rang : la marquise de Brinvilliers. C’est le début de l’« affaire des Poisons ». AKG-images. Page de gauche Le règne de Louis XIV fut fortement ébranlé par la célèbre « affaire des Poisons ». AKG-images/Erich Lessing. 112 - histoire des poisons, des empoisonnements et des empoisonneurs organe : Antommarchi et ses confrères ont pu observer très clairement les lésions internes caractéristiques de ces deux pathologies. Napoléon lui-même exprimait souvent sa crainte de mourir du même mal que celui qui avait emporté Charles Bonaparte, son père. L’affaire semble donc classée... Elle le sera pendant 140 ans. En 1961, Sten Forshufvud, un dentiste suédois, est le premier à réfuter l’explication du cancer gastrique. Quelques années auparavant ont été publiés les mémoires de Louis Marchand, le valet de chambre de Napoléon. Le récit indique que Napoléon a-t-il été empoisonné à l’arsenic ? Le 5 mai 1821, à 17 h 49, Napoléon rend son dernier souffle. À 51 ans et après uploads/Histoire/ eric-birlouez-extrait-de-histoire-des-poisons-empoisonnements-et-empoisonneurs.pdf

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  • Publié le Sep 11, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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