Études photographiques 10 | Novembre 2001 La ressemblance du visible/Mémoire de

Études photographiques 10 | Novembre 2001 La ressemblance du visible/Mémoire de l'art L'histoire par la photographie Ilsen About et Clément Chéroux Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/261 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2001 Pagination : 8-33 ISBN : 2-911161-10-2 ISSN : 1270-9050 Référence électronique Ilsen About et Clément Chéroux, « L'histoire par la photographie », Études photographiques [En ligne], 10 | Novembre 2001, mis en ligne le 18 novembre 2002, consulté le 09 juin 2022. URL : http:// journals.openedition.org/etudesphotographiques/261 Ce document a été généré automatiquement le 9 juin 2022. Propriété intellectuelle L'histoire par la photographie Ilsen About et Clément Chéroux 1 Il est des idées reçues qui sont tenaces et reviennent périodiquement comme de sempiternelles ritournelles. Ainsi est-il courant d'entendre affirmer que l'historien n'aime pas les images1. Une polémique récente, entre des historiens anglais, parlait même de " l'invisibilité du visible " au sein de la discipline historique2. Pour Laurence Bertrand-Dorléac, ce débat n'est qu'un curieux effet d'amnésie qui s'empare des historiens dès lors qu'il s'agit, pour eux, d'examiner leurs pratiques, leurs objets d'étude, et plus particulièrement leurs utilisations des sources iconographiques. " S'agissant des images et des représentations visuelles, écrit-elle, j'entends souvent dire aujourd'hui que ceux qui s'y intéressent sont de valeureux pionniers et qu'ils ont tout à inventer tant leur champ d'investigation est encore en friche3. " Mais cette idée selon laquelle les images seraient des objets radicalement nouveaux, délaissés des historiens d'autrefois, n'en est pas moins " fausse et fausse de part en part4 ", ajoute-t- elle. Il existe, en effet, une très ancienne tradition de l'usage de l'image comme source historique, dont les ouvrages de Francis Haskell (L'Historien et les Images) ou plus récemment de Peter Burke (Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence) ont rappelé l'existence et l'importance5. Les spécialistes de l'antiquité, du Moyen Âge et de l'époque moderne, ceux qui fondèrent leur savoir sur une étude précise de l'art ou de l'archéologie firent, en effet, un usage courant de l'image. 2 Il est probable que l'apparition, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, du cinéma et de la photographie de reportage vint, pour un temps, complexifier le rapport des historiens aux images et peut-être même induire une certaine méfiance des premiers à l'égard des secondes. Ces images "nouvelles" ne furent, en tout cas, pas immédiatement considérées par les historiens comme des sources potentielles. " Les films, comme la photographie, écrivait Georges Sadoul en 1961, ont été dans la première moitié du XXe siècle, sensiblement moins utilisés par les historiens que les sources traditionnelles, manuscrites ou imprimées6. " [p. 9] 3 Dès les années 1930, cependant, l'École des Annales appelait à un élargissement des sources documentaires parmi lesquelles la photographie et le cinéma devaient, tout naturellement, trouver leur place. Ce que réclamaient Marc Bloch et Lucien Febvre, ce L'histoire par la photographie Études photographiques, 10 | Novembre 2001 1 que revendiqua, par la suite, la Nouvelle Histoire, dans son exhortation à l'étude de "nouveaux objets", semble s'être, aujourd'hui, en partie, réalisé7. En témoigne la très grande vitalité des études historiques réalisées à partir de sources cinématographiques, le nombre des revues, des thèses et des publications scientifiques dans ce domaine8. 4 Le bilan est cependant beaucoup plus maigre pour la photographie. Si l'histoire de la photographie est vivace, l'histoire par la photographie demeure infertile. Trop peu d'historiens se consacrent à l'analyse d'archives photographiques. Rares sont ceux qui utilisent la photographie au-delà de sa valeur illustrative. Il suffit, pour s'en convaincre, de recenser les articles sur la photographie publiés depuis 1929 dans les Annales : ils sont au nombre de deux9. La récente revue L'Image, pourtant dévolue aux sources visuelles de l'histoire, ne compte quant à elle, parmi ses trois premiers numéros, que six articles (sur quarante-quatre) consacrés à la photographie. S'il faut donc ranger la prétendue aversion des historiens pour les images au rayon des convictions erronées, il importe, en revanche, de comprendre leur réticence à l'égard de la photographie. Historiens et photographes 5 En théorie, l'histoire aurait dû pourtant croiser la photographie. Car la photographie est constitutivement historique : " Toute photographie est par nature "d'histoire" ", écrit Michel Frizot10. En donnant une forme tangible aux faits, la photographie fabrique du document, la matière première de l'histoire. Elle enregistre de surcroît des éléments du passé, un geste, un air, une allure, une tension, dont les autres documents rendent rarement compte. " Même si un instantané ne fixe, par définition, qu'un moment éphémère, écrit un historien, les mots résumeraient mal la richesse de son contenu. Souvent il ne venait même pas à l'esprit d'un témoin de mentionner les particularités que le manipulateur d'un appareil photo saisissait automatiquement11. " À cet égard, la photographie aurait dû, en principe, constituer l'un des matériaux privilégiés de l'historien. 6 Mais la théorie est capricieuse, et ce n'est pas de cette manière que le chemin de l'histoire croisa celui de la photographie. La rencontre se fit lorsque la photographie apparut comme un modèle théorique pour penser l'histoire. Dès 1927, dans un essai intitulé Die Photographie, puis quarante ans plus tard, dans son ouvrage posthume, History : Last Things before the Last, Siegfried Kracauer utilise, en effet, la photographie pour expliquer et critiquer l'historicisme allemand12. Il remarque que Louis Daguerre (1787-1851) était le contemporain du chef de file de l'historicisme, Leopold von Ranke (1795-1886), et constate que la volonté de ce dernier de rapporter les faits " tels qu'ils ont été " (" wie es eigentlich gewesen ") correspond à la manière dont la photographie retranscrit la réalité. Stephen Bann se situe dans le droit fil de cette pensée lorsqu'il associe à son tour le " wie es eigentlich gewesen " de Ranke [p. 10] au " ça-a-été " de Roland Barthes13. L'historicisme s'efforçait donc de reconstituer au plus près le continuum temporel, exactement comme la photographie enregistre le continuum spatial. " L'historicisme prétend à la photographie du temps ", écrivait Kracauer en 192714. 7 Deux ans plus tard, commençaient à paraître les Annales. La conception de l'histoire qui se mit alors en place à travers la revue récusait violemment cette idée d'une histoire objective s'évertuant à retranscrire minutieusement la chronologie des événements. La Nouvelle Histoire défendit, par la suite, une approche davantage subjective, discontinue et problématisée. Mais, curieusement, certains des plus fameux acteurs de cette L'histoire par la photographie Études photographiques, 10 | Novembre 2001 2 réforme de la discipline n'hésitèrent pas, à leur tour, à convoquer le modèle photographique pour décrire leur manière d'envisager l'histoire. Ainsi, Pierre Nora écrivait en 1997 : " L'image, et avant tout spécialement la photo, cet instantané arraché au flux du mouvement permanent, cet échantillon représentatif d'une réalité disparue, est l'analogue, l'analogon, de ce qu'est devenu notre rapport au passé. Un rapport de discontinuité, fait d'un mélange de distance et de rapprochement, d'éloignement radical et de troublant face-à-face [...]. C'est même cela qu'est devenue l'opération historienne : la mise en valeur d'une différence dans le mouvement même qui l'abolit. Un long travail souterrain d'érudition, d'exhumation, une longue patience, mais pour, au terme de l'enquête, aboutir à la restitution d'un objet historique un fait, un moment, une époque, un homme, un groupe dans toute la force de sa présence. Ce que nous demandons du photographe ou de l'historien est du même ordre : un effet de court- circuit, une hallucination15. " La photographie n'est pas, en effet, cet appareil enregistreur objectif auquel rêvaient, sans doute, les tenants de l'historicisme. L'intervention du photographe sur la réalité est semblable à celle que l'historien fait subir au passé pour le transformer en histoire. Il faut croire cependant que la perception de la photographie avait évolué parallèlement à la conception de l'histoire pour que le médium puisse ainsi servir de modèle successivement à l'historicisme puis à la Nouvelle Histoire. Plusieurs tentatives marquantes ont ainsi été faites, au cours du XXe siècle, pour penser conjointement l'histoire et la photographie. À tel point qu'il faut se demander si la photographie n'a pas davantage servi à penser l'histoire qu'à l'écrire. 8 Si ces considérations théoriques montrent qu'il y a bien, selon les mots de Pierre Nora, un " rapprochement essentiel16 " entre l'histoire et la photographie, elles n'expliquent pas pourquoi, dans les faits, les historiens ont si peu utilisé les photographies. Pour comprendre ce décalage entre la théorie et la pratique, il faut peut-être interroger, directement, les historiens et les photographes. 9 De leur côté, les photographes n'ont cessé de clamer qu'ils travaillaient pour l'histoire. La chronologie du médium est ainsi régulièrement émaillée, et ce quasiment dès ses premières années, de multiples tentatives individuelles ou institutionnelles pour constituer des fonds d'archives photographiques destinés à faciliter le travail des historiens. En France, en 1855, Louis Cyrus Macaire propose la création d'une section de [p. 11] photographie au ministère d'État qui aura, entre autres charges, celle " de rassembler tout ce que la photographie a pu ou pourra produire d'utile ou de remarquable, et notamment tous les faits d'actualité dont, uploads/Histoire/ etudesphotographiques-261.pdf

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  • Publié le Apv 29, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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