LES SOURCES ITALIENNES DE L’HISTOIRE DU MAGHREB MÉDIÉVAL ISBN: 2-912946-91-3 ©
LES SOURCES ITALIENNES DE L’HISTOIRE DU MAGHREB MÉDIÉVAL ISBN: 2-912946-91-3 © EDITIONS BOUCHÈNE, 2006. DOMINIQUE VALÉRIAN LES SOURCES ITALIENNES DE L’HISTOIRE DU MAGHREB MÉDIÉVAL INVENTAIRE CRITIQUE EDITIONS BOUCHENE Introduction Se faisant face, de part et d’autre de la Méditerranée, l’Europe et le Maghreb ont très tôt entretenu des relations suivies. Dans l’antiquité Rome se fournissait largement en céréales dans ces terres que les guerres puniques avaient ouvertes à la colonisation. La fin de l’empire romain, le recul de l’économie en Europe occidentale et la conquête arabe de l’Afrique du Nord et d’al-Andalus ont pendant un temps fortement perturbé ces relations commerciales1. Pour autant les contacts n’ont jamais totalement cessé. Pendant longtemps cependant ils sont marqués essentiellement par l’hostilité, avec des razzias musulmanes contre les côtes chrétiennes, allant jusqu’à la conquête de la Sicile par les Aghlabides d’Ifrîqiya. Peu à peu, l’essor économique des grandes cités portuaires italiennes, catalanes ou de la France méridionale permet la renaissance des routes de navigation et des échanges entre les deux rives. Dès lors le Maghreb affirme résolument son ancrage économique en Méditerranée occidentale, au détriment souvent des liens directs avec l’Orient musulman, il est vrai déjà relâchés au niveau politique. Si les pays d’Islam conservent une réelle unité religieuse et culturelle, l’affaiblissement du califat abbasside, puis l’émergence de califats rivaux en Occident à partir du Xe siècle, achèvent de ruiner l’unité politique de cet espace. Partant de ce constat, certains historiens, notamment à l’époque coloniale, ont développé un discours qui insiste sur le caractère naturellement amical des liens entre les deux rives 2. D’autres à l’inverse ont insisté sur le caractère tout aussi naturellement hostile des relations entre l’Islam maghrébin et la chrétienté latine 3. Si cette approche, encombrée souvent de considérations morales et idéologiques, doit être rejetée, il n’en reste pas moins que les relations sont constantes entre les deux rives, quelle que soit leur nature, et que l’ancrage du Maghreb à la Méditerranée occidentale est une des composantes importantes de son histoire médiévale. 1. Voir en particulier H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1937, rééd. 1992. 2. Voir en particulier les études de Louis de Mas-Latrie, notamment Aperçu des relations commerciales de l’Italie septentrionale avec l’Algérie au Moyen Âge, Paris, 1845 (appendice au Tableau de la situation des établissements français en Algérie 1843-1844). On retrouve cependant cette approche dans des travaux plus récents, qui insistent également sur la nécessaire amitié entre les deux rives. Voir par exemple le titre d’un colloque organisé en 1998 à Rome à l’occasion du 800e anniversaire de l’ordre des Trinitaires : La Liberazione dei ‘cativi’ tra cristianità e islam. Oltre la crociata e il gihâd: tolleranza e servizio umanitario. Atti del Congresso interdisciplinare di studi storici (Roma, 16-19 settembre 1998), dir. G. Cipollone, Cité du Vatican, 2000. 3. Cf. R. Panetta, I Saraceni in Italia, Milan, 1973. Cette ouverture à l’Europe et à la mer est une évolution décisive à bien des égards pour le Maghreb. Comme j’ai pu le constater dans le cadre du port de Bougie, l’histoire non seulement économique, mais aussi politique voire sociale, est en partie marquée par cette évolution 1. Or les sources arabes ne parlent qu’exceptionnellement de ces relations avec les puissances chrétiennes, sinon sur le mode de la nécessaire confrontation avec l’infidèle. Il y a à cela une explication idéologique évidente, car dans un contexte marqué, en Orient mais aussi en Occident, par l’esprit de guerre sainte, des relations normales avec les chrétiens sont inimaginables ou au moins inavouables. Mais la raison principale de cette lacune documentaire réside dans la nature des sources arabes. Celles-ci sont pour l’essentiel textuelles. Chroniques, descriptions géographiques, relations de voyages, recueils de biographies ou de consultations juridiques, sont autant de textes qui n’accordent qu’une très faible place aux questions économiques, en particulier aux relations avec la mer 2. Il n’y a là rien de surprenant car leurs auteurs sont rarement issus des milieux marchands et n’ont guère de raisons de s’intéresser à ces problèmes. La mer, d’une manière générale, est le plus souvent absente 3. Mais cette lacune n’est pas compensée, comme c’est le cas en Europe occidentale, par la présence de documents d’archives. Ces documents sont en effet exceptionnels pour l’époque médiévale dans le monde arabe, à l’exception de l’espace syro-égyptien 4. Les raisons de cette singularité sont liées en partie à un usage de l’écrit différent 5. Mais cette explication est insuffisante, car il existait un notariat musulman et une chancellerie, qui produisaient des actes en abondance 6. Ces lacunes sont donc surtout dues à l’absence de continuité étatique dans la conservation des archives 7. 1. D. Valérian, Bougie, port maghrébin à la fin du Moyen Âge (1067-1510), sous la direction de M. Balard, Université Paris I, décembre 2000 (à paraître). 2. B. Rosenberger, «L’Histoire économique du Maghreb», Handbuch der Orientalistik, sechster Band - Geschichte der Islamischen Länder, sechster Abschnitt, Wirtschaftsgeschichte des vorderen Orients in islamischer Zeit, Teil 1, Leyde – Cologne, 1977, p. 205. 3. Il faut attendre les Ottomans pour avoir une véritable littérature de la mer. A. Miquel, «La géographie arabe après l’an Mil», Popoli e paesi nella cultura altomedievale. Settimane di studio del Centro Italiano di Studi sull’alto Medioevo, 29, Spolète, 1983, p. 170. Mais même à l’époque moderne l’intérêt pour la mer apparaît peu dans les textes. S. Boubaker, «La perception de la Méditerranée en Tunisie», La Méditerranée tunisienne, Paris, 2000, p. 23-25. 4. Cl. Cahen, «L’histoire économique de l’orient musulman médiéval», Studia islamica, 3, 1955, p. 93-115, rééd. Les Peuples musulmans dans l’histoire médiévale, Damas, 1977, p. 214. 5. P. Guichard, Les Musulmans de Valence et la reconquête (XIe-XIIIe siècle), vol. I, Damas, 1990, p. 40, qui qualifie le document écrit de «sorte d’accessoire ou de “lubrifiant” de la vie administrative et sociale plutôt que le fondement même des relations entre les individus et les institutions». 6. Certains de ces documents de chancellerie ont d’ailleurs été conservés, car insérés dans des chroniques. 7. Guichard, Les Musulmans de Valence, op. cit., p. 40-41. Les archives sont le plus souvent conservées dans les familles et on ne trouve pas, comme en Europe, des minutiers de notaires conservés dans des archives propres. Un document génois de 1475 nous apprend ainsi que les notaires musulmans ne conservent pas les documents qu’ils ont instrumentés. Archivio di Stato di Genova, notai antichi, filza 871, notaio Emanuele Granello, n° 274, 296 (documents de 1479), cité par L. Balletto, «Famiglie genovesi nel Nord-Africa», Dibattito su grandi famiglie del mondo genovese fra Mediterraneo ed Atlantico. Atti del convegno Montoggio, 28 ottobre 1995, dir. G.Pistarino, Gênes, 1997, p. 59. DOMINIQUE VALÉRIAN 8 Ces manques pèsent lourdement sur la recherche en histoire économique et sociale du monde musulman médiéval 1, notamment en raison de la rareté des données quantitatives fiables. Ils peuvent cependant être partiellement comblés en recourrant aux ressources des archives européennes, et plus généralement de la documentation latine 2. Ces fonds, d’une très grande richesse, sont conservés principalement dans les grands ports de l’Europe méridionale. On les trouve à Marseille 3, à Barcelone, Valence et Majorque, et surtout dans les archives italiennes. Leur volume, comme leur apport, sont certes très inégaux. Selon les villes, les politiques de conservation des documents (publics ou privés) varient. Parfois les fonds remontent jusqu’au XIIe siècle (Gênes), mais le plus souvent ne commencent qu’au XIIIe, voire au XIVe ou au XVe siècle. Par ailleurs les destructions (incendies, guerres) qu’ont connues au cours des siècles les fonds conservés rendent l’ensemble encore un peu plus disparate et lacunaire. Malgré tout, ces derniers constituent un ensemble documentaire considérable et d’une grande richesse. La confrontation par l’historien des sources arabes et latines, pour féconde qu’elle soit, ne va cependant pas sans poser de problèmes. Les premières tournent le dos à la mer, alors que les secondes ignorent presque totalement l’arrière-pays maghrébin. Les informations recueillies sont donc complé- mentaires, mais difficiles à intégrer, sinon d’un point de vue strictement chronologique. Pourtant l’apport des sources latines est essentiel, en particulier pour comprendre l’évolution de l’activité commerciale des principaux ports maghrébins, et donc l’économie de la façade maritime. Or à partir du Xe siècle, et surtout du XIIe siècle, le Maghreb se tourne plus résolument vers la mer, délaissant en partie des régions qui furent, au début de la période islamique, le cœur politique et économique des États successifs 4. Les capitales des nouvelles dynasties, comme les nouveaux pôles économiques sont tous ou presque sur des sites littoraux, ou en contact étroit avec la mer. C’est le cas en particulier en Ifrîqiya avec Tunis et Bougie, mais aussi Djerba, Sfax, Sousse, Bône, Collo, etc. Dans le Maghreb central si la capitale abdelwadide, Tlemcen, est à l’intérieur des terres, elle est très liée aux grands ports d’Oran et Hunayn (One), alors qu’Alger connaît un essor important qui en fit, à l’époque moderne, la capitale de la régence turque. Enfin à l’Ouest, le Maroc reste ancré à l’intérieur, avec Marrakech ou Fès, mais les ports de la côte septentrionale comme Ceuta, Salé ou Alcudia sont très actifs, surtout à partir uploads/Histoire/ les-sources-italiennes-de-l-x27-histoire-du-maghreb-me-die-val.pdf
Documents similaires
-
16
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 27, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
- Taille du fichier 0.4838MB