Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique a
Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar : résultat d’une étude préliminaire sur l’assemblage de l’occupation supérieure Sonja Tomasso1, Abdeslam Mikdad2 et Veerle Rots3 Abstract The existence of Aterian pedunculate tools within the North African Middle Stone Age techno-complexes has been mentioned since the beginning of the last century. Since then, the Aterian has been studied mainly from a typological and, more recently, a technological point of view. However, the functional data is extremely incomplete. Here we present the preliminary results of a first functional study of the lithic assemblages of Ifri n’Ammar, a rockshelter located in the Moroccan Eastern Rif. The archaeological corpus has provided a great diversity of lithic tools, offering the opportunity to address the question of the fitting morphological adaptations. On a larger scale, the main objective will be to improve and for a better understanding of the North African Middle Stone Age assemblages supported by a functional analysis. Résumé L’existence d’outils pédonculés atériens parmi les techno-complexes du Middle Stone Age nord-africain est mentionnée depuis le début du siècle dernier. Depuis, l’Atérien a surtout été étudié d’un point de vue typologique et, plus récemment, technologique. En revanche, les données fonctionnelles sont extrêmement lacunaires. Nous présentons ici les résultats préliminaires d’une première étude fonctionnelle des assemblages lithiques d’Ifri n’Ammar, un abri rocheux situé dans le Rif oriental marocain. Le corpus archéologique a fourni une grande diversité d’outils lithiques, offrant l’opportunité d’aborder la question des adaptations morphologiques pour l’emmanchement. À plus grande échelle, l’objectif principal sera d’améliorer et d’enrichir la compréhension des assemblages du Middle Stone Age nord- africain avec l’apport d’une analyse fonctionnelle. Introduction L’Atérien nourrit la recherche dès les débuts de l’archéologie préhistorique. Dès la fin du 19e siècle, avec l’accroissement de l’intérêt concret pour la préhistoire et dans un contexte d’interventions militaires, des chercheurs curieux, mais encore amateurs, prospectent au-delà du continent européen à la découverte des premiers vestiges préhistoriques du Maghreb4. L’innovation majeure et le marqueur incontestable de l’Atérien sont la présence de pièces pédonculées. Ces artefacts ont été analysés comme une des premières preuves d’emmanchement et une adaptation morphologique intentionnelle pour la réalisation d’un outil emmanché5. Depuis, plusieurs définitions ont été proposées6. Toutefois, ces premières définitions étaient fondées sur des assemblages manquant pour la plupart de données chronostratigraphiques fiables, représentant surtout des sélections d’artefacts lithiques pédonculés et d’outils fortement retouchés. 1. TraceoLab/Prehistory, Université de Liège, Belgique/stomasso@uliege.be 2. Institut national des sciences de l’archéolgie et du patrimoine, Rabat, Maroc/abdeslam.mikdad@insap.ac.ma 3. Chercheur qualifié du FNRS, Belgique/veerle.rots@uliege.be 4. Ruhlmann A. 1947, Balout L. 1955, Camps G. 1974, Debénath A. 1992, p. 711, Debénath A. et al. 1986, p. 233, Wengler L. 1997, p. 448, Aumassip G. 2004, Sarvan C.P . 1985, p.51. 5. Clark J. D. 1970. 6. Caton-Thomson C. 1946, p. 87, Balout L. 1955, Vaufrey R. 1955, Roche J. 1967, p. 16, Tixier J. 1967, p. 77, Borde F. 1976, p. 19, Bulletin d’Archéologie Marocaine, 24 (2019) : 23-36 Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 24 L’identification chronologique des assemblages du Middle Stone Age d’Afrique du Nord n’a commencé à se clarifier que ces dernières années, indiquant des dates allant de MIS 6 à MIS7. Ces industries lithiques sont caractérisées par différents modes de production, y compris une variété de méthodes Levallois8. L’Atérien est aujourd’hui considéré comme un système technologique flexible9 et semble, avec le développement d’un débitage laminaire, bidirectionnel et bifacial10, représenter la continuité technologique et comportementale des industries antérieures. Outre les outils pédonculés et les pièces foliacées, les assemblages lithiques sont généralement composés de grattoirs, de racloirs, de lames retouchées, de lamelles et de petits nucleus Levallois11. Aujourd’hui, les analyses typologiques et technologiques ont contribué à une meilleure compréhension de ces assemblages lithiques. Cependant, les données fonctionnelles restent fréquemment absentes, en dépit des nouvelles perspectives qu’elles pourraient offrir12, surtout en ce qui concerne la compréhension de l’utilisation des différents outils et l’identification de la présence ou l’absence d’emmanchement. Aujourd’hui, une grande majorité des assemblages atériens sont des collections de surface. Dès lors, le matériel lithique a généralement souffert d’une intense érosion éolienne, réduisant ainsi considérablement la pertinence et le potentiel d’une approche fonctionnelle microscopique. Parmi les assemblages fouillés en position stratifiée, l’abri d’Ifri n’Ammar offre un meilleur potentiel pour les études fonctionnelles. Le but de la présente étude préliminaire est de fournir un aperçu de l’utilisation et des modes de préhension des outils pédonculés et non pédonculés, des activités et de la fonction du site d’Ifri n’Ammar. De plus, l’analyse fonctionnelle est combinée à une étude expérimentale permettant de tester différentes possibilités d’emmanchements, en vue d’une meilleure compréhension des causes et implications possibles de l’adaptation morphologique qu’offre le pédoncule. 1- Ifri n’Ammar : contexte L’abri rocheux d’Ifri n’Ammar, situé dans le Rif oriental marocain, a été découvert lors d’une prospection en 1996 dans le cadre du projet de coopération « Préhistoire et Protohistoire du Rif oriental marocain » entre l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap) et de la Kommission für Archäologie Aussereuropäischer Kulturen (Kaak, DAI)13. L’abri s’ouvre sur une étroite vallée formée par l’oued Selloum, un ancien affluent de la rivière Moulouya, face à la falaise Selloum (Fig. 1). La vallée, offrant probablement un biotope favorable à la faune, a été exploitée périodiquement par les chasseurs-cueilleurs depuis ~ 170 ka, dans des conditions climatiques généralement arides, mais également avec des phases d’augmentation de l’humidité14. La faune retrouvée dans le site soutient l’observation d’un climat aride à semi-aride, par la présence de grands mammifères (ex. : moutons de Barbarie, zèbres, gazelles, antilopes, rhinocéros blancs) et de mammifères plus petits, amphibiens, reptiles et oiseaux (ex. : tortues d’eau douce, autruches)15. Compte tenu de l’occupation discontinue du site et de la présence de couches épaisses de croûte calcaire, il est d’autant plus important de considérer l’influence du climat, ainsi que la position géographique de l’abri rocheux à proximité des sources d’eau16. À Ifri n’Ammar, l’épaisse 7. Hawkins A. 2012, p. 157, Scerri E.M.C. 2013. 8. Van Peer P . 1991, p. 107. 9. Van Peer P . 2016, p. 147. 10. Hawkins A. 2012, p. 157. 11. Bouzouggar A. et Barton N. 2012, p. 93. 12. Massussi M. et Lemorini C. 2004-2005, p. 19, Bouzouggar A. et al. 2007, p. 473, Bouzouggar A. et Barton N. 2012, p. 93. 13. Mikdad A. et al. 2000. 14. Pérez-Falgado M. et al. 2004, p. 113, Blome M.V. 2012, p. 563, Drake N. et al. 2013, p.103, Cancellieri E. et al. 2016, p.123. 15. Hutterer R. 2010, p. 307. 16. Bertz M. et al. 2017, p. 115. Sonja Tomasso, Abdeslam Mikdad et Veerle Rots 25 couche stérile de concrétions calcaires sépare les niveaux supérieurs des niveaux inférieurs17 et se développe sur une période de 15 ka. « L’Occupation supérieure » se situe chronologiquement entre 130 ± 8 et 83 ± 6 ka. Pour « l’Occupation inférieure », les estimations d’âge se situent entre 171 ± 12 et 145 ± 9 ka18 (Fig. 2). Pour la fabrication des outils lithiques, les tailleurs d’Ifri n’Ammar ont principalement sélectionné des matières premières locales: des gisements secondaires, tels que les galets de l’oued Moulouya ou de l’oued Kert, mais aussi les rognons du site de position primaire Ain Zohra19. De plus, il ne semble pas y avoir de changement au niveau de la stratégie d’acquisition : les outils pédonculés ont été produits à partir du même matériel, disponible localement, que tout autre outil20. 2- Matériel et méthodes Le corpus entier est composé d’assemblages de l’Occupation supérieure et de l’Occupation inférieure21. La majorité des artefacts proviennent de la tranchée principale et de la zone qui s’étendait vers la paroi gauche de l’abri, c.-à-d. de la collection précédemment publiée22, mais également de fouilles récentes, du centre de l’abri. D’abord, le potentiel d’une analyse tracéologique a été évalué à l’œil nu et sous la loupe binoculaire sur la quasi-totalité du corpus lithique (n = 6718). Ensuite, après avoir enregistré l’état de préservation et les modifications post-dépositionnelles, une série de pièces autorisant la présence de traces d’utilisation a été sélectionnée et examinée à la loupe binoculaire (n = 1394). L’analyse des 40 pièces pédonculées fait partie d’une étude fonctionnelle plus large pour laquelle près de 320 artefacts lithiques, représentatifs de toutes les caractéristiques techno- et morphologiques, ont été exportés pour une analyse plus détaillée au TraceoLab. Au TraceoLab, les artefacts ont été examinés avec différents types de microscopes, utilisant différents grossissements et techniques d’éclairage : un stéréomicroscope Zeiss Stemi 2000C ou Discovery V12 (grossissements jusqu’à 120x), un microscope Zeiss Macro-Zoom V16 (grossissements jusqu’à 180x), et un microscope Zeiss métallurgique à lumière réfléchie Axio Imager (grossissements 50-500x) avec filtres polarisants et DIC, ainsi qu’un microscope électronique à balayage couplé à la spectroscopie à rayons X à dispersion d’énergie (SEM-EDS). 3- Expérimentations Les interprétations fonctionnelles sont basées sur des études comparatives sur une vaste collection de référence expérimentale disponible au TraceoLab. La collection comprend près de 3000 pièces expérimentales représentatives des variabilités de production techniques (par exemple Rots 2010a), des utilisations uploads/Industriel/ apport-de-l-x27-analyse-traceologique-a-la-comprehension-de-l-x27-assemblage-lithique-aterien-d-x27-ifri-n-x27-ammar.pdf
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- Publié le Jul 22, 2021
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