Quelques éléments sur les tenseurs en mécanique des uides F. Moisy 15 septembre
Quelques éléments sur les tenseurs en mécanique des uides F. Moisy 15 septembre 2011 Dans un certain nombre de domaines de la physique, il est nécessaire d'introduire l'outil mathématique des tenseurs. C'est le cas notamment pour les milieux continus, et notamment en mécanique des uides. En mécanique des uides, savoir manipuler les tenseurs est facultatif jusqu'à un certain point, et l'on s'en passerait volontier. Mais même pour démontrer certains résultats, comme l'équation de Navier-Stokes, ou bien pour manipuler les grandeurs associées aux uctuations de vitesse en turbulence, leur utilisation s'avère indispensable. Savoir manipuler les tenseurs demande un peu d'entrainement. Mais c'est un investissement qui peut s'avérer très utile : ils permettent par exemple de retrouver des relations d'analyse vectorielle (du type ⃗ ∇∧(⃗ ∇∧⃗ A) = ⃗ ∇(⃗ ∇· ⃗ A) −∇2 ⃗ A) uniquement par quelques manipulations élémentaires. L'objectif de cette introduction n'est pas de devenir un expert en algèbre tenso- rielle, mais simplement d'acquérir le minimum d'aisance a n de manipuler ces quantités dans le cadre d'un cours de mécanique des uides. Notons que, même si le concept mathématique de tenseur est évidemment le même dans les diérents domaines de la physique où ils interviennent (relativité, mécanique des uides, des solides, etc.), les usages et les conventions de notation peuvent diérer notablement d'un domaine à l'autre. Les concepts introduits ici sont donc généraux, mais les notations et les illustrations concrètes sont issues de la mécanique des uides uniquement. 1 Qu'est-ce qu'un tenseur ? 1.1 Qu'est-ce qu'un vecteur ? Toute collection de 3 nombres forme-t-elle un vecteur ? La réponse est non : En eet, un vecteur ⃗ u, comme la vitesse du uide, doit être indé- pendante de la base de projection choisie (x, y, z). Si l'on choisit une autre base (x′, y′, z′), les valeurs des composantes (ux, uy, uz) changeront évidemment, mais la vitesse ⃗ u elle-même sera invariante. Par exemple, la norme de la vitesse |⃗ u| ne sera pas modi ée : elle ne dépend pas de la base de projection choisie. Ainsi, l'objet mathématique exotique (x2, z+3, y−x) n'est pas un vecteur, car cet objet ne sera plus le même lors d'un changement de base (la "norme" de cet objet par exemple sera diérente dans une autre base). Ainsi, pour qu'une collection de 3 nombres puisse s'appeler vecteur, il faut que, lors d'un changement de base, ces 3 nombres se transforment selon la règle classique ⃗ u′ = P −1⃗ u, où P est la matrice de passage de l'ancienne vers la nouvelle base. Cette règle de transformation assure l'invariance des quantités physiques, comme la norme du vecteur. Cette notion d'invariance se généralise à des objets plus compliqués, les tenseurs. On peut d'ailleurs dé nir mathématiquement les tenseurs comme les objets restant invariants par 1 changement de base. Mais nous allons aborder dans la suite la manipulation des tenseurs d'un point de vue pratique uniquement. 1.2 Dé nition d'un tenseur On se place dans un espace de dimension d, avec en général d = 2 ou d = 3. On considère une quantité physique, disons a, décrite par un tenseur de rang n, que l'on note aijk... où les n indices i, j, k... prennent des valeurs entre 1 et d. Cela signi e que le nombre minimum de quantités scalaires (= de nombres) nécessaires pour décrire complètement cette quantité physique est dn. Quelques exemples : la température T en un point est décrite par un nombre unique : c'est un scalaire, et donc un tenseur de rang 0, puisque 30 = 1. Aucun indice n'est nécessaire. La vitesse ⃗ u est un tenseur de rang 1, car il est nécessaire d'avoir 31 = 3 nombres (les projections de ⃗ u selon les 3 axes) pour décrire entièrement ⃗ u. Il su t d'un indice, disons i, et l'on note ui ce tenseur. Les dérivées spatiales de la vitesse forment un tenseur de rang 2 : en eet, il est nécessaire d'avoir 32 = 9 nombres pour décrire toutes les combinaisons de dérivées spatiales. Ce tenseur, très utile en mécanique des uides, est noté Gij = ∂ui ∂xj . (1) Les tenseurs peuvent être utilisés dans des bases quelconques ; cependant, on n'utilisera dans le cadre de ce cours que la base des coordonnées cartésiennes en dimension d = 3, avec i = 1, 2, 3 correspondant aux coordonnées x, y, z. Dans une telle base, un tenseur de rang 2 peut se représenter comme une matrice d × d (ici 3 × 3), les lignes étant numérotées par i et les colonnes par j (convention li-co) : [G] = ∂ux/∂x ∂ux/∂y ∂ux/∂z ∂uy/∂x ∂uy/∂y ∂uy/∂z ∂uz/∂x ∂uz/∂y ∂uz/∂z . Le tenseur des contraintes, σij, dé ni comme la ième composante de la force appliquée par unité de surface normale à nj, est un autre exemple de tenseur de rang 2. Dans une expression comme (1), on sous-entend toujours ∀i, j. Ainsi, l'équation (1) corres- pond en fait aux 9 équations scalaires, G11 = ∂u1/∂x1, etc. En revanche, si l'on note Gxy, on veut parler de la composante x, y (c'est-à-dire i = 1, j = 2) du tenseur Gij. Ainsi, l'équation Gxy = S est une unique équation scalaire. Un tenseur est symétrique pour 2 indices i et j si aijk... = ajik.... Un tenseur est antisy- métrique pour 2 indices i et j si aijk... = −ajik.... Pour un tenseur de rang 2, ces dé nitions coïncident avec les propriétés usuelles de symétrie des matrices : le tenseur aji est représenté par la matrice transposée t[a]. 2 2 Produit scalaire et produit tensoriel Le produit scalaire de deux vecteurs ⃗ a et ⃗ b est ⃗ a ·⃗ b = 3 X i=1 aibi. On utilisera la convention de sommation implicite, ou convention d'Einstein : lorsque 2 indices sont répétés, une somme est sous-entendue sur toutes les valeurs possibles de l'indice, i = 1...d. Ainsi, on notera simplement ⃗ a ·⃗ b = aibi, (2) avec en particulier |⃗ a|2 = aiai. Le produit scalaire est invariant par changement de base. Le produit tensoriel de 2 tenseurs de rang n et m permet de former un tenseur de rang n + m qui "regroupe" les 2 tenseurs. Ainsi, le tenseur cij de rang 2 peut être dé ni comme cij = aibj. (3) La représentation matricielle du tenseur cij est : [c] = a1b1 a1b2 a1b3 a2b1 a2b2 a2b3 a3b1 a3b2 a3b3 . En notation vectorielle, le produit tensoriel (3) s'écrit ⃗ a ⊗⃗ b = [c] (on trouve parfois aussi les notations ⃗ ⃗ c et c). Cette écriture vectorielle est parfois ambigüe, et ne sera pas utilisée dans ce cours. A noter que, dans chacun des 9 équations représentées par (3), ai et bj sont des nombres (ce sont les composantes i et j des vecteur ⃗ a et ⃗ b). Ces termes peuvent donc permuter, et l'on peut écrire aussi bien cij = bjai (mais pas cij = biaj !) Attention toutefois : si l'on peut considérer que le tenseur Gij de l'Eq. (1) est construit comme le produit tensoriel de l'opérateur ∂/∂xj et du vecteur ui, les faire commuter n'aurait aucun sens ici. 2.1 Indices muets et libres Dans l'expression (2), l'indice i est dit "muet" ou "sommé" : la lettre utilisée pour écrire la somme n'a pas d'importance. Ainsi, on peut noter indiéremment aibi = akbk = anbn... En revanche, dans l'expression (3), les indices i et j sont dits "libres". D'une manière générale, les indices libres sont les indices qui apparaissent une seule fois dans chaque membre d'une équation, ou dans chaque terme d'une somme. On doit avoir la même liste d'indices libres dans chaque membre de l'équation, ou dans chaque terme de la somme. On rappelle que, dans une expression comme (3), il est toujours sous-entendu ∀i, j. Ainsi, dans l'exemple : aikibj = SkjlTlnn (4) les indices i, l, n sont muets (ou sommés), tandis que les indices k et j sont libres : cette équation est véri ée ∀k, j. 3 Les exemples suivants n'ont aucun sens : aik = bicm aik = bi + dk aik = bikj Dans un calcul tensoriel, on prendra bien soin de véri er, à chaque ligne, la cohérence des indices libres et muets dans chaque membre de l'équation (ce qui ne garantit pas nécessairement que l'équation soit juste !) 2.2 Opérations sur les matrices Le produit matrice-vecteur ⃗ y = A⃗ x se note ainsi : yi = aijxj avec A = [a] (sous-entendu : ∀i, P j). Le produit matriciel C = AB se note : cij = aikbkj (sous-entendu : ∀i, j, P k). Là encore, l'ordre n'importe pas : on a également cij = bkjaik (ce qui ne veut évidemment pas dire que C = BA !) 3 Deux tenseurs importants 3.1 Symbole de Kronecker Le tenseur unité δij (encore appelé symbole de Kronecker) est tel que δij = 1 pour i uploads/Industriel/ cours-tenseurs.pdf
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