Les territoires de l’innovation : les réseaux de l’industrie de la musique en r

Les territoires de l’innovation : les réseaux de l’industrie de la musique en recomposition Territories of innovation: the transformation of the music industry networks Pierric Calenge * Université Panthéon-Sorbonne, 127 rue Didot, 75014 Paris, France Résumé L’industrie de la musique est une branche peu étudiée des industries culturelles. Elle est profondément bouleversée depuis quelques années par la concentration verticale et horizontale des maisons de disques et leur intégration au sein de multinationales du multimédia, et par l’irruption du téléchargement numérique. Ces deux facteurs sont liés, car ce qui est en cause, c’est la régulation spatiale de l’innovation et les interactions entre les réseaux territorialisés de production et l’innovation. Il découle de ces évolutions des problèmes de contrôle de l’espace, de la technologie et des coûts. © 2002 E ´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Among the cultural industries, the music industry is understudied. Its structure is evolving under the effect of a vertical and horizontal concentration of the disc companies and their integration to multimedia multinationals. At the same time, the music industry as it is spatially configured presently is put into question by the disruption of the numeric technology and the digital compression. Both the economic concentration and the digital compression are linked while they are related to the spatial regulation of innovation and to the interactions between the networks of production and innovation. These interactions are the sources of a shift in the spatial, technological and cost control within the musical industry. © 2002 E ´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : p.calenge@caramail.com (P. Calenge). Géographie, E ´conomie, Société 4 (2002) 37–56 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 1 2 9 5 - 9 2 6 X ( 0 2 ) 0 0 0 0 4 - 7 Mots clés: Industrie culturelle; Réseau de production; Innovation; Téléchargement numérique; Formats de compressions; Régulation Keywords: Cultural industry; Production network; Innovation; Downloading; Regulation; Digital compression La géographie économique a assez peu investi le champ des industries culturelles. Il y a pourtant beaucoup à gagner à essayer de faire une géographie économique de la culture, ou plutôt de l’industrie culturelle. Premièrement, les industries culturelles et du multimédia représentent une part de plus en plus importante de la production de valeur ajoutée des sociétés « post-industrielles ». Deuxièmement, une réflexion économique et géographique sur la production culturelle permet d’approfondir et de tester les modèles mis en place par la géographie des systèmes de production, dans un domaine méconnu, donc potentiellement riche d’enseignement. En d’autre terme, on peut se servir de l’exemple de l’industrie de la musique comme témoin de l’informationalisation de l’économie et de la vie sociale (Scott, 1996, 1997, 1998). L’industrie de la musique est un secteur économique important, qui représente en France un chiffre d’affaires deux fois supérieur à celui du cinéma. Elle est soumise à des transformations majeures dans le domaine de la distribution sous l’effet de l’innovation du téléchargement numérique qui permet aux particuliers d’avoir accès—souvent gratuitement—à la musique sur Internet. La musique est un enjeu économique majeur, d’autant plus que l’exportation de disques produits en France augmente régulièrement (l’industrie française du disque, qui regroupe la production, l’édition et la distribution de musique, a dégagé 1,830 milliards d’Euros en 1999 à l’export, soit 22 % de son chiffre d’affaires global), notamment grâce à la Techno (Millet, SNEP, 2000). Or, si la musique a souvent été étudiée en sociologie ou en géographie culturelle (on se réfère alors à la sociologie de la création, ou à la géographie des pratiques culturelles), elle l’a très peu été—y compris par le ministère de l’industrie et des finances—comme un secteur économique à part entière, dégageant du profit et non seulement un certain prestige culturelle. Un secteur économique basé sur la créativité culturelle a certainement des aspects géographiques originaux à révéler, à la frontière des mécanismes économiques traditionnels et des pratiques culturelles. Pour un géographe, l’industrie de la musique a donc plusieurs intérêts. Peut-on définir un modèle spatial propre aux industrie culturelles ? Les industries culturelles sont elles sensibles aux effets de proximités ? Quel modèle (district, système local de production, système régional etc.) décrit le mieux l’organisation spatiale de la production d’une industrie culturelle ? Il y a trois aspects à envisager pour tenter de répondre à ces questions. Il faut en premier lieu justifier le choix de l’industrie de la musique en définissant l’intérêt de l’analyse d’une industrie culturelle dans le champ géographique, notamment en distinguant les aspects spécifiques à la musique des aspects similaires à d’autres secteurs. De plus, l’industrie de la musique est un secteur sous étudié par comparaison à d’autres industries culturelles comme le cinéma, l’édition ou le design, il y a donc un intérêt exploratoire dans l’objet d’étude lui même. Deuxièmement, il convient de faire le point sur l’industrie de la musique telle qu’elle se présente actuellement, avec ses configurations spatiales et une typologie de ses 38 P. Calenge / Géographie, E ´conomie, Société 4 (2002) 37–56 composantes. Deux auteurs—Allen J. Scott et Andrew Leyshon—ont déjà apporté un éclairage sur ses dynamiques géographiques. Du premier on peut retenir l’importance et la vitalité des systèmes régionaux de production, et du deuxième la distinction, au sein même de l’industrie de la musique, de quatre réseaux de productions aux contraintes spatiales différentes. Nous reprendrons ces éléments sous un angle critique, à la fois pour les valider et les affiner, puis nous les appliquerons à l’industrie de la musique en France. Enfin, une fois située l’industrie de la musique, reste à présenter les dynamiques actuelles de l’innovation sur le plan spatial. Comment l’espace intervient-il dans l’introduction des innovations qui bouleversent aujourd’hui l’industrie du disque ? Le téléchargement numérique bouleverse la géographie classique de la distribution et de la consommation de la musique sous forme de phonogrammes, mais selon quelles logiques géographiques ? 1. L’industrie de la musique entre réseau et territoire Il existe désormais tout un champ d’analyse en géographie des industries culturelles qui fournit de nombreux exemples de configurations spatiales et de nombreuses réflexions sur le lien entre la création de produits de luxes ou artistiques et l’espace. La réflexion a tendance à porter soit sur les métropoles comme foyers culturels (Grésillon, 2000), soit sur les industries culturelles comme étant particulièrement sensibles aux effets de proximité et de localité (Scott, 1999a, b, c, 2000). Les industries culturelles sont organisées généralement en réseaux locaux de produc- tion, où les relations de proximité jouent un rôle très important : l’information esthétique, artistique, l’échange et la création de symboles sont trop fragiles pour être transportés et retravaillés facilement, du moins au moment de leur genèse. D’autre part, sur le plan strictement entrepreneurial, l’existence de systèmes locaux facilite les transactions et les échanges individuels. La notion de réseau, souvent mise en avant, souligne l’intensité des relations intra-branche et l’organisation horizontale de la production entre des cellules de production de petites et moyennes tailles (Grabher, 2001). L’activité s’y caractérise par la mise en réseau des acteurs selon leur besoins spécifiques et en fonction des évolutions de la production (partenariats, contrats, licences, contacts). L’influence et l’importance des acteurs y sont proportionnels à leur capacité à entrer en relation les uns avec les autres. Dans le cas de la musique en particulier, les réseaux économiques, sociaux et informationnels sont également techniques, créatifs, productifs, de distribution et de commercialisation. Le terme de réseau se justifie dans le cas de l’industries de la musique si on considère le réseau comme un mode de contrôle spatial constitué de pôles (les acteurs de l’industrie de la musique comme les musiciens, les studios et les labels) et de flux de renseigne- ments, d’informations, d’ébauches artistiques, de disques ou de MP3. Ceci en soit ne suffit pas à définir un réseau : le déterminant réel est l’existence d’une logique autonome au réseau, d’une tendance à se réguler en fonction de ses besoins propres. Ces tendances autorégulatrices répondent à des besoins sociaux et individuels (le besoin d’épanouis- sement des artistes par exemple) ou de profit (le besoin du producteur de rentabiliser les P. Calenge / Géographie, E ´conomie, Société 4 (2002) 37–56 39 disques produits). Elles ont en tout cas un aspect spatial important. Ces réseaux sont situés dans l’espace et cherchent à tirer profit des territoires (Alexander, 1994, 1996 ; Sadler, 1997 ; Wyne, 1992). On peut appliquer la notion de réseaux de production pour caractériser l’industrie de la musique, notion explorée et améliorée par A. Leyshon (inspiré lui-même par J. Attali) : l’auteur distingue quatre réseaux de production au sein de l’industrie de la musique—de création, de reproduction, de diffusion et de consommation—avec des contraintes territoriales propres et donc des rapports différenciés à l’innovation. Chacun des réseaux de production prend en charge une part techniquement distincte du processus de production, et une part des responsabilités et des risques économiques. L’industrie de la musique est caractérisée encore plus que d’autres industries culturelles par le faible nombre de succès commerciaux profitables, succès qui doivent compenser les pertes. uploads/Industriel/ pierric-calenge-les-territoires-de-l-x27-innovation.pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager