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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Précis de grammaire tensive » Claude Zilberberg Tangence, n° 70, 2002, p. 111-143. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/008488ar DOI: 10.7202/008488ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 3 octobre 2015 04:26 Précis de grammaire tensive Claude Zilberberg, coresponsable du Séminaire intersémiotique de Paris L’étude présente trois caractéristiques susceptibles de dérouter quelque peu. En premier lieu, elle ne se contente pas d’inviter l’affectivité à participer à la production du sens: elle lui en confie, au nom du principe d’immanence (Hjelmslev), la direction. En second lieu, elle se propose de coiffer la sémiotique des opposi- tions, qui demeure la charte du structuralisme, par une sémioti- que des intervalles, en concordance avec le primat de l’affectivité, puisque nos vécus sont d’abord, peut-être seulement, des mesu- res. Enfin, les deux points mentionnés présupposent la centralité de l’événement, la fascination du discours pour la dimension con- cessive de l’événement. S’ils sont acquis, ces préalables devraient conduire à détacher la sémiotique du récit et à la rapprocher de la rhétorique tropologique. Le sujet percevant cesse d’être un sujet pensant «acosmique» et l’action, le sentiment, la volonté restent à explorer comme des manières originales de poser un objet, puisque « un objet apparaît attrayant ou repoussant, avant d’apparaître noir ou bleu, circulaire ou carré». Merleau-Ponty citant Koffka 1. Déclaration des postulats Ayant perdu son innocence et son pouvoir oraculaire, le dis- cours théorique est tenu de produire la liste des ingrédients con- courant à la valeur qu’il vise 1. 1. La longueur d’un discours théorique ajuste plusieurs variables : la nécessité d’introduire des grandeurs métalinguistiques précisant le contenu et l’étendue des termes utilisés; ce passage de la dénomination à la définition tient compte du contenu des termes et de la compétence supposée des destinataires. Pour ce qui regarde le contenu, la nouveauté, c’est-à-dire le lisible aujourd’hui, appelle du point de vue fiduciaire un développement argumentatif ainsi que la Le premier postulat que nous mentionnerons est l’attache- ment à la structure plutôt qu’au structuralisme, puisque, compte tenu de ce qui s’est passé lors des dernières décennies, le terme s’impose au pluriel : les structuralismes. La définition que Hjelmslev a donnée en 1948 de la structure reste, de notre point de vue, intacte : « entité autonome de dépendances internes ». De cette définition, elle-même conforme à la définition de la défini- tion avancée dans les Prolégomènes, nous retiendrons qu’elle ajuste une singularité : « entité autonome », et une pluralité : « dépendances internes ». En premier lieu, cet ajustement renvoie dans le plan du contenu à une complémentarité avantageuse : (i) si la singularité n’était pas assortie d’une pluralité, elle demeu- rerait impensable, parce que non analysable ; (ii) si la pluralité n’était pas susceptible d’être condensée et résumée en et par une singularité nommable, elle resterait au seuil du discours, à l’image de l’interjection. En second lieu, cette définition va plus loin que l’adage selon lequel, pour le structuralisme, la relation prévaut sur les termes ; l’économie du sens saisit seulement des relations entre des relations, puisque « [l]es objets du réalisme naïf se réduisent alors à des points d’intersection de ces faisceaux de rapports 2 » : sous ce point de vue, les termes sont adressés, pour ce qu’ils sont, au plan de l’expression. Le deuxième postulat porte sur la place à accorder au continu. Il n’est pas question de rouvrir une querelle sans objet, puisque la « maison du sens » est assez vaste pour accueillir tant le continu que le discontinu. Le plus raisonnable est de les recevoir comme des « variétés » circonstancielles et occasionnelles. Mais de notre point de vue, la pertinence doit être attribuée à la direction recon- nue, c’est-à-dire à la réciprocité à la fois paradigmatique et syntag- 112 TANGENCE réfutation anticipée des objections prévisibles; les illustrations dues allongent encore le texte. À chaque instant, le discours est suspendu au dilemme: éten- dre ou réduire ? Tout discours est comme hanté par sa propre négativité, comme miné par l’actualisation de ce qui aurait pu ou dû être ajouté, ou par la virtualisation de ce qui aurait pu ou dû être retiré. Ainsi l’élasticité du dis- cours dans le plan de l’expression et l’arbitrarité dans le plan du contenu rap- pellent que la réalisation n’annule pas, loin s’en faut, le réalisable. Dans bien des cas, la portée de ces données internes est neutralisée par les conventions et les circonstances: le destinateur-commanditaire fixe une longueur souhaitable «à ne pas si possible dépasser». C’est ainsi que nous avons été invité par Louis Hébert à préciser les concepts directeurs de la sémiotique tensive — invité, en somme, à faire le point. 2. Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, Paris, Minuit, 1971, p. 36. matique, de l’augmentation et de la diminution. Plusieurs considé- rations appuient cette promotion. En premier lieu, et sans faire de l’isomorphisme des deux plans une religion, nous considérons que l’accent occupe dans le plan de l’expression une telle place que l’on comprendrait mal qu’il ne joue aucun rôle dans le plan du contenu, et nous approuvons Cassirer lorsqu’il fait état, dans La philosophie des formes symboliques 3, de l’«accent de sens». En second lieu, la sémiotique a été amenée, en discordance avec son choix initial, à reconnaître à l’aspect une portée insigne, bien au-delà de son appli- cation au procès : figuralement parlant, l’aspect est l’analyse du devenir ascendant ou décadent d’une intensité, dispensant à l’ob- servateur attentif des plus et des moins. Cette approche doit, entre autres, à Gilles Deleuze, lui-même s’avouant débiteur de Kant sur ce point. Dans Francis Bacon, logique de la sensation, Deleuze sur- monte la dualité du paradigmatique et du syntagmatique: «La plu- part des auteurs qui se sont confrontés à ce problème de l’intensité dans la sensation semblent avoir rencontré cette même réponse: la différence d’intensité s’éprouve dans une chute 4». Deleuze renvoie à un passage difficile de la Critique de la raison pure intitulé «Anti- cipation de la perception», dans lequel Kant pose que la sensation est une «grandeur intensive»: «Toute sensation, par conséquent aussi toute réalité dans le phénomène, si petite qu’elle puisse être, a donc un degré, c’est-à-dire une grandeur intensive, qui peut encore être diminuée, et entre la réalité et la négation il y a une série conti- nue de réalités et de perceptions possibles de plus en plus petites […] 5». Nous retiendrons que ce texte noue ensemble deux catégo- ries de première importance : (i) la direction, ici de décadence, c’est-à-dire que l’esthésie se dirige inéluctablement vers l’anesthé- sie, vers ce que Kant appelle «la négation = 0»; (ii) la division en degrés, puis celle de ces degrés eux-mêmes en parties de degrés; le concept de série, présent également chez Brøndal mais à partir d’autres présupposés, peut être considéré comme un «syncrétisme résoluble» en ces deux catégories. Cette présence irrécusable de Kant introduit dans la termino- logie sémiotique un risque de brouillage certain. Trois couples de CLAUDE ZILBERBERG 113 3. Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques, Paris, Minuit; t. I, Le lan- gage, 1985; t. II, La pensée mythique, 1986; t. III, La phénoménologie de la con- naissance, 1988. 4. Gilles Deleuze, Francis Bacon, logique de la sensation, Paris, Éd. de la Diffé- rence, 1984, p. 54. 5. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Paris, Flammarion, 1944, t. 1, p. 194. concepts interfèrent du point de vue du signifiant : (i) le couple [extense versus intense], absent des Prolégomènes, mais capital pour mener à bien la réconciliation de la morphologie et de la syntaxe qui est l’une des préoccupations majeures de Hjelmslev ; (ii) le couple [grandeur extensive versus grandeur intensive], requis par Kant; (iii) le couple [extensité versus intensité], qui intervient, du point de vue tensif, comme l’analyse de la tensivité; nous y revien- drons. Cette confluence terminologique conduit à des malenten- dus si l’on détache les termes de leur définition : (i) entre l’ap- proche kantienne et le point de vue tensif, la coïncidence est bienvenue, mais elle est fortuite; (ii) entre les catégories hjelmsle- viennes et les catégories tensives, un chiasme intervient, puisque les catégories extenses sont directrices pour Hjelmslev, tandis que du point de vue tensif l’intensité, c’est-à-dire l’affectivité, régit l’ex- tensité; (iii) enfin, et sauf ignorance de notre part, Hjelmslev, qu’il parle d’intense et d’extense, d’intensif et d’extensif, d’intensional et d’extensional, ne mentionne pas le nom de Kant. Le troisième postulat n’est pas tout à fait uploads/Ingenierie_Lourd/ 2002-precis-de-grammaire-tensive.pdf

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