Sylvain BOULOUQUE CONTESTER LES TECHNOSCIENCES : LEURS RÉSEAUX Juillet 2011 www
Sylvain BOULOUQUE CONTESTER LES TECHNOSCIENCES : LEURS RÉSEAUX Juillet 2011 www.fondapol.org www.fondapol.org CONTESTER LES TECHNOSCIENCES : LEURS RÉSEAUX Sylvain BOULOUQUE La Fondation pour l’innovation politique est un think tank libéral, progressiste et européen. Président : Nicolas Bazire Vice-président : Charles Beigbeder Directeur général : Dominique Reynié La Fondapol publie la présente note dans le cadre de ses travaux sur l'écologie. Les exemples de protestation contre les évolutions technologiques sont quotidiens. La pluralité des actions de contestation des technosciences est largement due à l’apparition de nouveaux modes de communication et à l’émergence d’un tissu associatif devenu plus large et moins soumis au poids du politique. Néanmoins, malgré l’inscription indéniable de ce courant dans les nouvelles modalités du militantisme, ses origines sont anciennes et complexes. Sylvain Boulouque analyse ainsi les réseaux qui constituent ce mouvement de contestation contemporain. Cette mouvance est héritière du courant anti-industriel né au début du xixe siècle, en grande partie incarné par le luddisme et le chartisme. Elle a ensuite été enrichie par le mouvement antinucléaire – notamment incarné par l’avènement de Greenpeace – et par la conversion d’une partie de la gauche marxiste à l’écologie. Pour finir, c’est l’altermondia- lisme, formé à la suite de la chute du mur de Berlin, qui a constitué la troisième matrice du réseau disparate, mais structuré, des « anti ». Ce solide courant est à la confluence de deux réseaux militants historiques : les « chrétiens progressistes » d’un côté, et les tiers-mondistes de l’autre. L’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide au citoyen (ATTAC) est un des fruits de cette convergence. Ce réseau « anti » est aujourd’hui formé d’associations qui se complètent, agissent de manière coordonnée et possèdent des appuis extérieurs importants dans les médias, l’édition ou le monde intellectuel. Dans les faits, les technologies les plus incriminées sont aujourd’hui les OGM (organismes génétiquement modifiés), les nanotechnologies et les ondes électromagnétiques émises par les antennes relais. La dénon- ciation de ces innovations prend des formes diverses : destructions de plants génétiquement modifiés, organisations de meetings pour dénon- cer les nanotechnologies, stratégies de lobbying locales pour contrer l’implantation d’antennes relais, etc. RÉSUMÉ 7 Sylvain BOULOUQUE Historien, spécialiste du communisme et de l’anarchisme, enseignant dans le secondaire Le 15 août 2010 vers 5 heures du matin, une soixantaine de « faucheurs volontaires » s’introduisent dans un champ de l’Institut national de la recherche agronomique et arrachent des plants de vigne sur lesquels étaient testées des greffes génétiques. Pratiques récurrentes en France depuis plusieurs années, les plants génétiquement modifiés sont réguliè- rement détruits. Pour les « arracheurs », il s’agit de dénoncer les dangers que font peser sur l’agriculture et l’environnement les essais génétiques en plein air. Plus largement, les arrachages de plants d’OGM, comme les manifestations contre les antennes relais ou les protestations face aux nanotechnolo- gies, représentent la contestation des évolutions technologiques. Souvent assimilées, à tort ou à raison, à une opposition globale au système, les manifestations « anti » dénonçant les excès de la modernité, les opacités réelles ou supposées du fonctionnement des sociétés contemporaines, s’inscrivent pour une large part dans la galaxie altermondialiste et dans les nouvelles modalités du militantisme. Par rapport à des formes plus classiques d’actions politiques, sociales ou associatives, ce type de militantisme cherche à innover. Il se veut davantage festif et inventif, plus immatériel et spectaculaire qu’ont pu être les formes qui l’ont pré- cédé. Les militants proviennent d’horizons, de cultures et de sensibilités politiques différentes. Leurs origines, leurs actions et leurs modes de militantisme sont extrêmement divers. Cette mouvance, souvent difficile à décrypter, allant de citoyens sans appartenance politique aux franges extrêmes de la gauche radicale, serait une des conséquences indirectes de l’effondrement du communisme. Cet échec politique aurait remis en cause la culture industrialiste d’une partie de la gauche française et CONTESTER LES TECHNOSCIENCES : LEURS RÉSEAUX fondapol | l’innovation politique 8 aurait aussi permis à des groupes moins importants numériquement de reprendre l’espace laissé vacant par la mort du communisme. Grâce aux nouveaux modes de communication et à un tissu associatif plus large et moins soumis au poids du politique, les citoyens peuvent plus facilement exprimer leurs inquiétudes ou leurs indignations sans pour autant appartenir à une formation politique ou dépendre d’une association satellite d’une structure partisane. Par ailleurs, les militants appartenant à des réseaux étroits et confinés, sans réelles possibilités de s’exprimer, ont pu, à partir du moment où un espace politique s’est ouvert, participer à la contestation du modèle planétaire proposé par les États-Unis, en récupérant dans le même temps les pratiques et les outils de communication de la contre-culture anglophone. Ces nouveaux acteurs associatifs rassemblent à la fois des militants issus du marxisme traditionnel, des chrétiens se réclamant de la théologie de la libération, et des membres issus des franges libertaires de la contestation radicale ; s’y adjoignent des citoyens inquiets des dangers que peuvent engendrer les nouvelles technologies. Apparemment inédit, ce type de contestation remonte en réalité aux origines de la société industrielle. En revanche, la configuration et le rapport à la modernité des acteurs ont changé. Il ne s’agit pas, dans cette étude, de questionner la dangerosité des nouvelles technologies et des nouveaux types de recherches scientifiques, mais d’analyser les formes sur lesquelles reposent leurs dénonciations, de voir quelles sont les motivations qui fondent ces oppositions et de questionner les modalités et les types de militantisme. La constitution des réseaux « anti » sera analysée tout d’abord dans une perspective historique puis à travers l’interprétation des formes de mobilisations militantes et d’actions spontanées d’aujourd’hui. DE LA TECHNOLOGIE ET DE SES CONTESTATIONS : SURVOL HISTORIQUE DES CONTESTATIONS La naissance du courant anti-industriel : le luddisme Le courant anti-industriel est né au début du xixe siècle. Il est apparu en Angleterre avec la transformation de la société rurale en société industrielle. Le développement des premiers métiers à tisser provoque la colère des artisans ; selon la légende, l’un d’entre eux, Ned Ludd, aurait en 1780 détruit des machines. Si le personnage n’a jamais existé, Contester les technosciences : leurs réseaux 9 le nom devient au début du xixe siècle un mythe. Entre 1811 et 1812, plusieurs corporations fabricantes de tissus perdent des droits acquis. Certaines d’entre elles envoient alors des lettres de menaces aux com- manditaires en se réclamant du héros mythique. Rapidement, les révoltes individuelles deviennent des manifestations collectives : des métiers à tisser sont brisés. Peu après, des manifestations quasi insurrectionnelles se développent dans le Nord de l’Angleterre1. Ces révoltes, à mi-chemin entre les jacqueries et les révoltes ouvrières, acquièrent le statut de sym- bole, réutilisé tout au long du xixe siècle, et d’abord, dans le chartisme. Ce mouvement de revendication politique, né en Angleterre en 1832, qui milite pour l’égalité des droits, ne devient un mouvement social qu’au cours des années 1840. Certaines pratiques sont directement issues de celles du luddisme, les chartistes du Lancashire ayant recours aux mêmes méthodes que leurs aînés2. La mémoire de ces deux mouvements traverse la Manche et l’Atlan- tique. L’anti-industrialisme se retrouve en France comme aux États-Unis. Au cours du xixe siècle, des syndicalistes anglais, américains et français théorisent l’action directe comme un moyen de lutte sociale. Le com- bat contre la machine est relayé par une partie de la presse ouvrière et sociale. Outre-Atlantique, il trouve un prolongement dans les appels à la désobéissance civile lancés par Henry David Thoreau3. Cet antiesclava- giste, radicalement opposé au fonctionnement de la société américaine et à son évolution urbaine et industrielle, prône comme moyen de trans- formation l’insoumission individuelle ; celle-ci prend la forme, soit d’un exil intérieur, soit d’une désobéissance civile non-violente4. Parallèlement à ce courant qui demeure marginal, le mouvement syndical balbutiant définit comme « action directe » toutes les formes d’actions qui ne passent pas d’abord par la négociation : grève, mani- festation, etc. Les fondateurs du mouvement syndical, en France comme aux États-Unis, estiment néfaste la mécanisation des formes du tra- vail : la machine dépossède les ouvriers de leurs instruments de travail tout en renforçant l’exploitation. Pour réagir aux nouvelles techniques 1. Les informations sont extraites de l’ouvrage d’Edward Palmer Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil/Gallimard, 1988 [édition originale 1963]. 2. Sur les mutations du luddisme au chartisme puis leur passage au syndicalisme révolutionnaire, cf. Édouard Dolléans, Le Chartisme, Paris, Marcel Rivière, 1949 [réédition Paris, Les Nuits rouges, 2003]. 3. Henry David Thoreau est un philosophe américain né en 1817 et mort en 1867 . 4. Sur une centaine d’ouvrages, les deux les plus représentatifs de son œuvre et toujours disponibles actuellement sont Walden ou la vie dans les bois source de l’écologie et Résistance au gouvernement civile (publié aujourd’hui sous le titre La Résistance civile : origine est esquisse de l’action politique). fondapol | l’innovation politique 10 industrielles introduites par la taylorisation, puis par la fordisation, des syndicalistes proposent l’utilisation et le recours à des pratiques illégales comme le « sabotage ». Littéralement et originellement, il s’agit de l’in- troduction d’un sabot pour enrayer la chaîne de production. 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- Publié le Apv 22, 2021
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