LE RÉSEAU ÉLECTRIQUE : DE LA MYSTIQUE DE L'INTERCONNEXION AUX STRATÉGIES DE COM

LE RÉSEAU ÉLECTRIQUE : DE LA MYSTIQUE DE L'INTERCONNEXION AUX STRATÉGIES DE COMMUNICATION Christophe Bouneau CNRS Éditions | « Hermès, La Revue » 2008/1 n° 50 | pages 61 à 66 ISSN 0767-9513 ISBN 9782271066855 DOI 10.4267/2042/24153 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2008-1-page-61.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions. © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © CNRS Éditions | Téléchargé le 13/10/2021 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 129.0.125.66) © CNRS Éditions | Téléchargé le 13/10/2021 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 129.0.125.66) HERMÈS 50, 2008 61 Christophe Bouneau Université de Bordeaux LE RÉSEAU ÉLECTRIQUE : DE LA MYSTIQUE DE L’INTERCONNEXION AUX STRATÉGIES DE COMMUNICATION L’interconnexion qui s’épanouit en Europe et aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, avec la « première » technique en 1891 du transport à haute tension Francfort-Lauffen, déjà présentée comme un happening à grand renfort de communication(s), fut pendant longtemps la fille du chemin de fer, de ses systèmes d’innovation et de ses enjeux territoriaux1. Le développement de l’interconnexion, véritable mutuelle de territorialisation de l’innovation, repose depuis sa genèse sur les technologies de l’information et de la communication. Ses territoires furent progressive- ment saturés par les systèmes de communication. Outre la téléphonie, les systèmes électroniques et informa- tiques de régulation, il s’agit fondamentalement du transport d’électricité lui-même, flux énergétique, mais aussi directement support de communication par le transport d’information (téléphonie HF). L’articulation des échelles spatiales d’organisation des processus d’innovation, des systèmes locaux d’inno- vation à la dynamique du « technoglobalisme », liée notamment aux interactions tissées par la trame des asso- ciations et communautés, mérite d’être approfondie2. La mystique de l’interconnexion et la construction d’un réseau d’acteurs de l’innovation Le développement du réseau électrique en Europe a été nourri par une véritable « mystique » de l’inter- connexion. Celle-ci recouvre autant la fascination intel- lectuelle exercée sur les ingénieurs et les dirigeants que le lyrisme souvent excessif des vulgarisateurs et des jour- nalistes. Georges Le Fèvre réalisa ainsi la synthèse de ces deux dimensions dans son reportage de 1937, La Foudre humaine. Dans un entretien avec un technicien du Dispatching central de Paris, il rendait ainsi compte de la passion professionnelle de l’homme de réseau, de sa mentalité imprégnée par l’exaltation de la modernité et de la complexité électriques : « Ce métier semble faire partie de lui-même ; il “sent”, comme il dit, si bien son réseau, qu’il cède volontiers au désir d’en faire soupçon- ner à l’humble visiteur la complexité enivrante3. » L’histoire des réseaux électriques a consacré l’interconnexion et sa discipline d’exploitation sur © CNRS Éditions | Téléchargé le 13/10/2021 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 129.0.125.66) © CNRS Éditions | Téléchargé le 13/10/2021 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 129.0.125.66) Christophe Bouneau 62 HERMÈS 50, 2008 l’autel de la modernisation industrielle, de l’indépen- dance énergétique mais aussi de l’obsession organisa- tionnelle et technocratique. La gestion des réseaux élec- triques, en s’appuyant en premier lieu sur le développement des télécommunications, a largement contribué à la compréhension et à la maîtrise des sys- tèmes complexes. Mais elle a produit en même temps une véritable célébration, où l’euphorie subjective du discours accompagne souvent la complexification des systèmes techniques. Dans cette construction d’une mystique de l’inter- connexion, qui dépasse le cercle des experts, les dispatchings occupent une place stratégique au cœur de l’infrastructure de réseau et du réseau d’acteurs de l’éco- nomie électrique. Selon leur échelle d’intervention, dans un encastrement technologique des territoires d’interconnexion, ils assurent en effet la régulation d’un système complexe régional, national ou international, en dirigeant les manœuvres de l’ensemble des postes de transformation de leur zone. Leur exploitation fournit ainsi la meilleure illustration possible des principes d’adaptabilité, de coordination et de synergie appliqués à la gestion d’un réseau. Les permanences du discours sur l’économie des réseaux électriques et leur dynamique d’innovation ont toujours porté sur la spécificité et l’identité à la fois de la fonction, de l’organisme ou de l’entreprise, du métier ou de la profession, trois registres tout à fait complémen- taires. Les représentations correspondent classique- ment de la fin du XIXe siècle au début du XXIe à une acti- vité de pointe au cœur physiquement d’une industrie de pointe, le transport se plaçant forcément dans la filière électrique entre la production en amont et la distribu- tion et les différentes consommations en aval. À cette identité d’une technologie industrielle sophistiquée est associée constamment l’identité valorisante de ses agents, non seulement les ingénieurs organisateurs mais aussi les agents subalternes. Il s’agit ici en particulier des « lignards » chargés de l’entretien des lignes électriques, considérés en termes d’image externe par l’opinion publique souvent comme des héros en cas de graves ava- ries sur le réseau ou de crise générale d’alimentation. Tel fut le cas au moment de la tempête dévastatrice de décembre 1999 : la stratégie de gestion de la crise par l’état-major d’EDF et le couplage de la communi- cation externe et interne furent beaucoup plus perfec- tionnés que lors du premier grand black-out français depuis le second conflit mondial, le 19 décembre 19784. Lors de cette panne spectaculaire, le journal télévisé d’Antenne 2 présenté par Patrick Poivre d’Arvor, dans une dramatisation classique de la paraly- sie du pays, s’appuyait sur la communication centrali- sée du président d’EDF Marcel Boiteux et de ses adjoints, confrontée à ses détracteurs classiques, syndi- calistes et écologistes. À l’inverse, en décembre 1999, la communication organisée par le président François Roussely est profondément décentralisée, dans la mesure où la crise d’alimentation dure plusieurs semaines5. De nombreux reportages traitent de l’acti- vité des cellules locales et régionales de crise et du tra- vail acharné des équipes sur le terrain, tissant le portrait héroïque de la communauté des électriciens. Trajectoires et articulations du réseau électrique européen L’histoire de l’interconnexion répond à deux prin- cipes classiques des systèmes techniques à grande échelle : une extension géographique permanente des échanges par élévation des tensions, d’une centaine de kilomètres par des lignes à 60 000 V à la veille de la Grande Guerre à plus de 2 000 kilomètres aujourd’hui par des artères à 400 000 V et au-delà ; une complexité croissante des dispositifs de gestion. © CNRS Éditions | Téléchargé le 13/10/2021 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 129.0.125.66) © CNRS Éditions | Téléchargé le 13/10/2021 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 129.0.125.66) Le réseau électrique : de la mystique de l’interconnexion aux stratégies de communication HERMÈS 50, 2008 63 La révolution technologique de l’interconnexion internationale ne put véritablement s’accomplir qu’après la Seconde Guerre mondiale, grâce à la logique d’unification et de rationalisation des entreprises d’Europe occidentale, en premier lieu l’entreprise publique EDF. En fait, la construction d’un système électrique européen peut être considérée à la fois comme une anticipation et une métaphore de la construction politique de l’Europe6. Dans ce processus territorial d’innovation globale, les communautés professionnelles et les institutions internationales jouèrent un rôle moteur. Dès l’entre- deux-guerres, elles avaient multiplié les recherches théoriques et les projets économiques sur l’aménage- ment d’un réseau européen à très haute tension. Les rapports aux congrès de la Conférence internationale des grands réseaux électriques (Cigré), de la Conférence mondiale de l’énergie (CME) et de l’Union internatio- nale des producteurs et distributeurs d’électricité (Unipède) en fournissent la preuve directe. Ce dernier organisme créé en 1925 intégra rapidement la quasi- totalité des pays européens, y compris ceux de la partie orientale : il constituait une union d’exploitants qui vou- laient confronter leurs expériences de construction et de gestion de réseaux. À la fin des années 1940 l’interconnexion interna- tionale demeurait toujours à un stade d’ébauche tech- nique car les réseaux restaient cloisonnés en systèmes nationaux qui différaient par la vitesse de marche de leurs alternateurs. La coordination nécessaire des sys- tèmes interconnectés s’appuya sur un nouvel organisme, l’Union pour la coordination de la production et du transport de l’électricité (UCPTE), mise en place en 1951. Aux huit membres fondateurs (France, Italie, RFA, Autriche, Suisse, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) de l’UCPTE, s’ajoutèrent dans les années 1960 l’Espagne, le Portugal, la Yougoslavie et la Grèce, preuve de la capacité d’attraction de ce cartel. Grâce à ces progrès dans la coopération internatio- nale, les années 1950 virent la genèse industrielle d’un réseau ouest-européen. Après une phase classique d’essais et de tâtonnements, la synchronisation des infrastructures électriques des huit pays fondateurs de l’UCPTE fut réalisée définitivement en 1958, autour du noyau constitué par les systèmes français, suisse et alle- uploads/Ingenierie_Lourd/ herm-050-le-reseau-electrique-de-la-mystique-de-l-x27-interconnexion-aux-strategies-de-communication-reseaux-dispositifs-territoires.pdf

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