DU DESSIN D'INGÉNIEUR A LA GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE L'enseignement de Chastillon à

DU DESSIN D'INGÉNIEUR A LA GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE L'enseignement de Chastillon à l'École royale du génie de Mézières In Extenso, juin 1990, pp. 103-135 En 1847, Théodore Olivier publie dans l'un de ses ouvrages de géométrie descriptive plusieurs mémoires inédits extraits de la collection des manuscrits de la bibliothèque de l'École d'application de l'artillerie et du génie de Metz et provenant du fonds de l'ancienne École du génie de Mézières. Deux sont consacrés au tracé des ombres : le premier, sans date et sans nom d'auteur, est intitulé Traité des ombres dans le dessin géométral 1. "On a lieu de croire, indique Olivier dans une note liminaire, qu'il a été écrit à l'École de Mézières pour l'instruction des jeunes officiers du Génie vers l'an 1775 à 1780. Les dessins qui accompagnent ce petit traité sont évidemment de la même main que deux dessins qui existent encore dans les collections de l'École d'application de Metz et qui portent le millésime 1774." Le second, intitulé simplement Des ombres, est de Gaspard Monge, "qui l'a écrit, précise Olivier, en 1785 à l'École du génie de Mézières pour l'instruction des jeunes officiers."2 J'ai découvert, en préparant une édition critique de la Géométrie descriptive de Monge3, de nouveaux documents qui permettent de dater de manière plus précise la rédaction de ces deux mémoires et d'identifier l'auteur du premier. Il existe au Service historique de l'Armée de Terre, à Vincennes, plusieurs copies manuscrites du Traité des 1 T. Olivier, Applications de Géométrie descriptive aux ombres, à la perspective, à la gnomonique et aux engrenages, Paris, 1847, mémoire n°1, pp. 5-26. 2 Ibid., mémoire n°2, pp. 26-35. 3 Cette réédition, introduite et commentée par B. Belhoste, R. Laurent, J. Sakarovitch et R. Taton, paraîtra prochainement dans le second volume de l'édition critique des séances de l'Ecole normale de l'an III. 2 ombres dans le dessin géométral et du petit traité Des ombres de Gaspard Monge. L'une des copies du Traité, conservée à la bibliothèque du ministère de la Guerre, a été rédigée en 1767 par l'officier du génie Charles-Louis de Prille, lors de son passage à l'École de Mézières1. Une autre, conservée aux archives de l'Inspection du génie, est ac- compagnée d'une collection de figures, dont plusieurs sont signées2. J'ai pu ainsi identifié deux signatures : la première de Louis-Marie-Antoine d'Estouf-Milet de Mureau (1751-1825), admis à Mézières en 1769, la seconde de Louis-Bertrand de Barthouil de la Mothe (1746-1785), admis à Mézières en 1763. Le Traité ayant été rédigé pour l'enseignement des élèves à Mézières, Milet et Barthouil ont certainement dessiné les figures à l'époque de leur passage à l'École, c'est à dire en 1769 ou 1770 pour le premier et en 1763 ou 1764 pour le second. On obtient ainsi comme terminus ad quem de la rédaction de ce mémoire l'année 1764, onze ans avant la date conjecturée par Olivier. Cependant, les copies retrouvées à Vincennes ne donnent ni la date exacte de rédaction, ni le nom de l'auteur. C'est presque fortuitement, en consultant l'Exercice complet sur le tracé, le relief, la construction, l'attaque et la défense des fortifications de l'ingénieur du Vignau, publié en 1830, que j'ai trouvé la solution complète de l'énigme. L'éditeur de l'ouvrage, le capitaine P.-A. Hanus, indique dans sa préface que Nicolas-François-Antoine de Chastillon (1699-1765), fondateur et directeur de l'École royale du génie à Mézières jusqu'à sa mort a fait plusieurs instructions sur les sciences appliquées à l'art de l'ingénieur entre 1760 et 1763, notamment sur le dessin géométral, la détermination des ombres et le lavis, le défilement, etc.3 Hanus ajoute dans une note, à propos de l'instruction sur le dessin géométral, la détermination des ombres et le lavis les précisions suivantes : "Nous avons entre les mains le manuscrit de cet ouvrage, signé par M. de Chastillon et portant la date de 1763 ; il contient une exposition de la méthode des projections, des solutions simples pour la détermination des ombres et un traité clair et précis du lavis; mais il a beaucoup 1 S.H.A.T, Bibliothèque du ministère de la Guerre, ms 1750 (44). 2 S.H.A.T., Vincennes, archives de l'Inspection du génie, art. 21, section 13, sciences mathématiques et physiques, topographie et géodésie, §2, carton 1. On trouvera d'autres copies du Traité dans art. 18, section 3, mémoires et cours divers de l'Ecole d'artillerie et du génie de Metz, cartons 2, 3 et 5. 3 Voir A.-N.-B. du Vignau, Exercice complet sur le tracé, le relief, la construction, l'attaque et la défense des fortifications, Paris, 1830, préface de P.-A. Hanus, pp. VIII-X. 3 perdu de son importance depuis la publication des ouvrages du célèbre Monge et de MM. Hachette et Vallée."1 Cette description, en tout point conforme au contenu du texte publié par Olivier, permet d'identifier à Chastillon l'auteur du Traité des ombres dans le dessin géométral, d'autant que la date du manuscrit indiquée par Hanus s'accorde avec celle que donne l'examen des copies conservées à Vincennes. Le Traité de Chastillon était passé jusqu'à présent inaperçu, malgré sa publication par Olivier. L'identification de l'auteur et la datation de sa rédaction en révèlent maintenant l'importance historique. Rédigé un an avant l'arrivée de Monge à Mézières, il montre ce qu'était alors l'enseignement du dessin à l'École du génie. Mieux, il fournit, comme on verra, le "chaînon manquant" dans la préhistoire de la géométrie descriptive, entre les grands traités de coupe des pierres et les premiers textes de Monge, en particulier le petit mémoire sur les ombres publié par Olivier. Ce mémoire, daté bien à tort de 1785 par Olivier, n'est en effet postérieur au Traité de Chastillon que de quelques années. René Taton avait déjà remarqué que la date proposée par Olivier était à l'évidence inexacte, Monge ayant quitté définitivement Mézières en 1784, et il faisait remonter sa rédaction aux années avant 17752. L'une des copies conservées à Vincennes - la reproduction, certifiée conforme, d'une rédaction faite par un élève de l'École de Mézières, Joseph-Gabriel Monnier - permet de reculer encore cette date-butoir jusqu'en 17683. Cinq ans tout au plus séparent, par conséquent, les deux traité sur les ombres, celui de Monge et celui de Chastillon. On verra que cette proximité n'est pas seulement temporelle et qu'il existe entre les deux mémoires une véritable filiation. Mais, auparavant, il convient de présenter Chastillon et son enseignement à l'École du génie de Mézières. Chastillon et l'École royale du génie de Mézières Nicolas-François-Antoine de Chastillon naquit à Oger, en Champagne, le 17 janvier 16994. Fils d'un trésorier de France, il appartenait à une ancienne lignée 1 Ibid., p.IX, note 1. 2 R. Taton, L'Oeuvre scientifique de Monge, Paris, 1951, p. 77. 3 S.H.A.T., Vincennes, archives de l'inspection du génie, art. 21, section 13, sciences mathématiques et physiques, topographie et géodésie, §2, carton 1. 4 Les renseignements sur Chastillon et sa famille sont tirés des ouvrages d'Anne Blanchard, Les Ingénieurs du Roy de Louis XIV à Louis XVI, étude du corps des Fortifications, Montpellier, 1979, en 4 d'ingénieurs. Son trisaïeul, Nicolas de Chastillon et ses grands-oncles de la branche aînée, Jean et Pierre de Chastillon servaient déjà le roi comme ingénieurs. Son oncle paternel, Pierre de Chastillon, ingénieur du roi sous Louis XIV, fut tué en 1684 au siège de Luxembourg. Chastillon, fort de ses antécédents familiaux, obtînt son brevet d'ingénieur ordinaire à vingt-quatre ans, en 1723. Après quelques campagnes en Allemagne et aux Pays-Bas, il fut nommé en 1743 ingénieur en chef à Mézières. C'est en 1748 que Chastillon proposa l'établissement d'une école du génie à Mézières. Les jeunes gens qui se destinaient à la carrière du génie se contentaient alors de préparer au sortir du collège un examen théorique qui roulait exclusivement sur les mathématiques. Ils s'initiaient à leur futur métier après leur admission dans le corps auprès d'un ingénieur déjà en place, le plus souvent un parent. Le secrétaire d'état à la Guerre, le comte d'Argenson, très critique à l'égard de ce mode d'instruction, auquel il attribuait les déconvenues de la guerre de siège entre 1744 et 1748, envisageait d'exiger dorénavant de tous ses futurs ingénieurs une période de stage probatoire dans une direction de leur choix, après leur examen théorique et avant leur admission dans le corps. Le projet de Chastillon répondait aux préoccupations du ministre. L'école qu'il se proposait d'établir devait former en effet les volontaires qui viendraient suivre leur stage à la direction de Mézières. D'Argenson, conseillé par l'ingénieur des Ponts et chaussées Noël de Regemorte qu'il avait placé à la tête du bureau des Fortifications et soucieux d'imiter l'exemple contemporain de Trudaine, qui mettait progressivement en place une école pour les ingénieurs des ponts et chaussées, encouragea Chastillon dans son entreprise. Au bout de deux ans, il décida que tous les futurs ingénieurs du Génie passeraient par l'École de Mézières avant d'obtenir leur brevet. Un double examen, l'un à l'admission à l'École, l'autre à la sortie, devait garantir un haut niveau de recrutement pour le corps1. L'examinateur du génie, l'académicien Camus, et Chastillon, qui commandait l'École, avaient la haute main sur l'enseignement. Le règlement de 1754, rédigé par particulier pp.196-197, uploads/Ingenierie_Lourd/ histoirebelhoste-chastillon.pdf

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