229 ONOMÁZEIN 22 (2010/2): 229-236 Remarques sur la structure déterminant/ infi
229 ONOMÁZEIN 22 (2010/2): 229-236 Remarques sur la structure déterminant/ infinitif dans les langues romanes Samuel Bidaud Universidad de Borgoña Francia Le texte qui suit a pour but d’interroger la structure déter- minant/infinitif dans les langues romanes et d’en proposer un classement fondé sur le degré de substantivation de l’infinitif. Il s’agit ici d’analyser des tournures aussi diverses que: esp. El hablar con ella me colmó de alegría, litt. ‘le parler avec elle m’a rempli de joie’1, fr. “l’agir” ou “l’être” (en philosophie) ou it. Questo parlare gli ha fatto venir l’appetito,‘ce parler lui a fait venir l’appétit’. Nous essaierons dans un premier temps de montrer quelle est la logique de ces structures au niveau du discours. Nous verrons que cette logique repose sur deux mouvements opposés: un mouvement de substantivation avec le déterminant, et un mouvement de “verbalisation” avec l’infinitif. Ces deux mouvements, qui vont en sens inverse l’un de l’autre, nous permettront de dégager plusieurs types de structures suivant le plus ou moins de pouvoir verbal de l’infinitif, c’est-à-dire sui- vant son pouvoir de rection d’un complément d’objet et/ou d’un sujet lorsqu’il est introduit par un déterminant, cette rection étant la seule marque verbale de l’infinitif. Une telle typologie nous montrera notamment qu’il est possible de distinguer trois grands types de structures dans les langues romanes. Enfin, nous formulerons quelques hypothèses inspirées de la psy- chomécanique et du concept de chronogénèse à propos de la 1 Nous donnons des traductions littérales des exemples en langue étrangère afin de faire ressortir la structure déterminant/infinitif, ou, pour l’anglais, déterminant/gérondif. 230 ONOMÁZEIN 22 (2010/2): 229-236 Samuel Bidaud: Remarques sur la structure déterminant/infinitif dans les langues romanes structure plus générale déterminant/temps in posse, que l’on retrouve, par exemple, en anglais. La logique de la structure déterminant/infinitif dans les langues romanes relève d’un double mouvement d’opposition, avec d’un côté un mouvement de substantivation dû au détermi- nant, et de l’autre un mouvement de verbalisation dû à l’infinitif. En effet, alors que le déterminant est là pour actualiser le nom, l’infinitif est en marche vers la catégorie du verbe. C’est cette tension qu’il convient de souligner pour bien voir quel est le mécanisme qui sous-tend la structure déterminant/infinitif. Rappelons que la psychomécanique voit dans l’infinitif un temps in posse où la chronogénèse prend sa source, c’est- à-dire une “image-temps” que “la pensée n’a aucunement réalisée, mais qu’elle est, néanmoins, en puissance de réaliser” (Guillaume, 1984 [1929]: 10). L’infinitif n’est donc pas encore versé au temps, mais il contient la potentialité de ce dernier: l’image verbale y est “en puissance”, et l’infinitif est un mode qui n’a pas encore séparé le temps de l’espace. Son incidence est la même que celle du substantif d’après Gustave Guillaume (1973: 203-204): “Le verbe marcher, sous la forme infinitive, est une forme du verbe qui prévoit, d’une manière permanente, l’incidence du verbe à ce qu’il signifie et par conséquent une incidence identique à celle du substantif. C’est cette identité d’incidence qui permet de considérer l’infinitif comme la forme nominale du verbe”. Dans la mesure où l’infinitif est un mode où le temps et l’espace n’ont pas encore été clairement séparés, on conçoit que l’infinitif puisse se trouver joint à un déterminant, puisqu’il ne retient la caractéristique majeure du verbe, l’expression du temps, qu’à l’état de virtualité, ce qui le projette dans la catégo- rie du verbe tout en lui laissant une forte attache nominale. Le déterminant vient en effet aider l’infinitif à devenir un nom: il dévie l’infinitif de sa marche vers la catégorie du verbe, marche naturelle qui part du temps in posse en chronogénèse. Nous sommes donc en face de deux mouvements contradictoires dans la structure déterminant/infinitif: celle du déterminant qui cherche à conduire entièrement dans la catégorie du nom l’infinitif, et celle de l’infinitif qui, au contraire, cherche à rejoin- dre la catégorie du verbe, avec plus ou moins de succès. Ces deux mouvements peuvent donner lieu à un plus ou moins de verbalisation, ou à un plus ou moins de substantivation, 231 ONOMÁZEIN 22 (2010/2): 229-236 Samuel Bidaud: Remarques sur la structure déterminant/infinitif dans les langues romanes de l’infinitif, suivant la marche plus ou moins avancée de ce dernier en direction de la catégorie du verbe. Or, ce n’est pas par l’expression du temps, mais par son pouvoir de rection qu’il semble possible de définir la verbali- sation de l’infinitif. Que l’on compare par exemple l’espagnol (op. cit): El hablar con ella me colmó de alegría, avec: Su mirar triste me conmovió, ‘son triste regarder m’a ému’ (Balesdent et Marotte, 1976). On voit ici que l’infinitif est susceptible d’être plus ou moins verbe: dans le premier cas, l’infinitif est tourné vers la catégorie du verbe en ce qu’il régit un complément d’objet indirect, con ella, mais dans le deuxième cas, il n’y a pas de rection verbale: mirar ne régit pas de complément d’objet mais un simple adjectif, triste. Nous pouvons ainsi définir les nuan- ces de l’infinitif par le plus ou moins de pouvoir de rection de ce dernier: plus le pouvoir de rection de l’infinitif sera grand en discours, et plus il sera proche de la catégorie du verbe; plus au contraire son pouvoir de rection sera faible, plus il sera proche de la catégorie du nom. Il nous semble possible, à partir de ces remarques, de dis- tinguer trois grands types de structure déterminant/infinitif. Nous relèverons d’abord une structure où l’infinitif a un pouvoir de rection complet en discours, et où, malgré le dé- terminant, sa substantivation est très atténuée. Ce cas ne se rencontre pas en français contemporain, si ce n’est de manière isolée: “Pascal blâme le parler de soi dans Montaigne, y voit une démangeaison ridicule, mais n’est jamais si grand que lorsque lui-même y cède malgré lui” (André Gide, Un Esprit non prévenu, cité par Chassang et Senninger, 1992 [1955]: 166). On le ren- contre par contre en espagnol: El verla es lo que quiero, ‘le voir elle est ce que je veux’, Es probable que sólo haya querido ver mi cara al decir eso, ‘Il est probable qu’elle ait seulement voulu voir mon visage au dire cela’ (Mario Benedetti, La tregua), No se nos ocurrió a nosotros, sino que fué cosa de un amigo, francés por más señas, el notar que la inspiración – ¡perdón! – de nuestra nivola Niebla era de la misma raíz que la de La vida es sueño, de Calderón, ‘Ce n’est pas à nous, mais à un ami, français pour être plus précis, à qui est venu à l’idée le noter que l’inspiration – pardon! – de notre nivola Niebla avait le même fondement que celle de La vie est un songe de Calderón’ (Miguel de Unamuno, La tía Tula, Prólogo), ou en portugais: é util o ler e estudar os bons autores, ‘il est utile le lire et étudier les bons auteurs’ (De Souza, 232 ONOMÁZEIN 22 (2010/2): 229-236 Samuel Bidaud: Remarques sur la structure déterminant/infinitif dans les langues romanes 1870), Ao entrar em casa, ‘à l’entrer dans la maison’ (Cantel, 1999). Cette structure est beaucoup plus rare en italien, où on la rencontre tout de même parfois: Sembra un vero esperto nel riscuotere favori, ‘Vous semblez un véritable expert dans le recueillir des faveurs’. Notons également la présence de cette tournure en moyen français par exemple: “Le n’avoir point de mal, c’est le plus avoir de bien que l’homme puisse esperer” (Michel de Montaigne, cité par Gougenheim, 1974: 138). Dans tous les cas que nous venons de citer, l’infinitif fonctionne comme un verbe régissant des compléments d’objet (mais il est également possible qu’il régisse des compléments circonstanciels et un sujet propre) et est très proche du verbe malgré la présence du déterminant et l’absence de toute flexion temporelle. Un deuxième cas se présente dans des structures où l’infinitif ne régit pas de complément d’objet mais peut régir un adjectif ou son équivalent: dans ce cas, il occupe entièrement en discours une fonction de substantif, mais il n’est substantif que de discours, non substantif de langue. Certaines langues comme l’espagnol ou le portugais ont la possibilité de substan- tiver n’importe quel infinitif. C’était également le cas en moyen français et en ancien français. La structure déterminant/infinitif/ adjectif est une structure qui reste une structure de discours et qui n’a rien de figé; mais contrairement au cas où l’infinitif régit des objets ou des compléments circonstanciels, l’infinitif ne peut y recevoir qu’un complément du nom et ne constitue pas le régissant (au sens de L. Tesnière) d’une proposition complète en structure de surface. Il a une valeur essentiellement nominale, et peut être remplacé par un substantif de sens équivalent. Ainsi dans: port. eu ouvia o gorgear confuso das andorinhas, ‘j’entendais le roucouler des hirondelles’ (De Souza, 1870) , it. Al suonare delle campane i contadini accorsero, ‘au sonner des cloches, les paysans accoururent’ (Ferdeghini et Niggi, 1996), esp. Su mirar triste me conmovió, l’infinitif étant par exemple l’équivalent de mirada dans cette dernière tournure. Par contre, il ne saurait être question de remplacer uploads/Ingenierie_Lourd/ langues-romanes-remarques.pdf
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- Publié le Jul 15, 2022
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