10 E.S.SO.R Équipe Scientifique de SOutien à la Recherche, Histoire des Arts mé

10 E.S.SO.R Équipe Scientifique de SOutien à la Recherche, Histoire des Arts méditerranéens 1760-1914 La défense de la frontière des Alpes La construction de la place forte résulte du contexte guerrier du règne de Louis XIV. En 1690, le duc de Savoie Victor-Amédée II, jusque-là allié de la France, entre dans la ligue d’Augsbourg, coalition regroupant de nom­ breux pays européens opposés à Louis XIV et sa politique expansionniste. L’aspect religieux a également un rôle primordial. Depuis la ré­ vocation de l’Edit de Nantes en 1685, nombre de puissances, protestantes mais également ca­ tholiques, s’opposent à l’intolérance religieuse française. Pendant l’été 1692, alors que Catinat, qui di­ rige les troupes royales en Dauphiné, se concen­ tre sur la défense de Pignerol (aujourd’hui en Italie), Victor-Amédée II attaque le Dauphiné par les cols de Larche puis de Vars. Après avoir ravagé Guillestre, Embrun, puis Gap, ses trou­ pes, affaiblies par une épidémie de dysenterie, sont arrêtées par Catinat sur la route de Gre­ noble, vers Corps. Craignant l’arrivée de l’hiver qui rendrait impossible son retour en Savoie, le duc décide alors de battre en retraite et repasse le col de Vars à la fin du mois de septembre 1692. Louis XIV envoie aussitôt sur place son com­ missaire général des fortifications, Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707), qui se trouvait pourtant à Namur, à des centaines de kilomètres de là. Celui-ci a pour mission la consolidation de « la frontière des Alpes » dont la vulnérabilité vient d’être démontrée par le duc de Savoie. Arrivé à Grenoble, il parcourt toutes les places militaires existantes et élabore de nombreux projets de perfectionnement et de modernisation. Il visite ainsi Fort-Barraux (Isère), Montmélian, Exilles (alors dans le royaume de France), Briançon, ou encore Em­ brun. Fixé dans cette ville, il rédige également un projet pour Château-Queyras, dont la dé­ fense médiévale (XIVe siècle) ne peut faire face aux évolutions considérables de l’armement. Il engage aussi la fortification d’un plateau in­ hospitalier, sec et venté, appelé à l’époque le plateau des Millaures (aure signifiant vent en occitan alpin), qu’il rebaptise Mont-Dauphin, « nom qui conviendrait fort à Monseigneur et à la province dont il porte le nom »1. Il décide d’y créer une place forte, ensemble défensif dont l’originalité est d’allier éléments militaires (fortifications, arsenal, poudrière, ca­ sernes…) et civils (village). Cette particularité permet d’ailleurs de distinguer une place forte d’un fort, composé uniquement d’éléments mi­ litaires, ainsi que d’une citadelle, qui n’est autre Mont-Dauphin (Hautes-Alpes) De la place forte royale au monument historique Le 22 octobre 2005, l’E.S.SO.R. visitait la place forte de Mont-Dauphin, construite sous le contrôle et sur les instructions de Vauban à partir de 1693. Pour tous les participants, mais aussi pour les absents, cet article a pour objectif premier d’étudier l’évolution de cet ensemble fortifié, de sa construction à nos jours. Édifié sous le règne de Louis XIV, il permet également d’aborder un type de commande royale particulier, directement lié à la protection du royaume. 1 Vincennes, Service Historique de l’Ar­ mée de Terre, Section 8, article 1, Mont- Dauphin, carton 1, pièce 2, Vauban, Description d’une montagne escarpée sur le confluent de la Durance et du Guil très propre à bâtir une place, décembre 1692 ou janvier 1693. 11 E.S.SO.R Équipe Scientifique de SOutien à la Recherche, Histoire des Arts méditerranéens 1760-1914 Bulletin n°14 La commande publique Anne-Gabrielle Court qu’un fort défendant une ville, comme par exemple la citadelle de Lille. Neuf des nom­ breuses places fortes construites par Vauban ont été créées ex nihilo. Il s’agit de Mont-Dau­ phin, Mont-Louis, Sarrelouis (Allemagne), Huningue, Longwy, Phalsbourg et Neuf-Bri­ sach. Montroyal (Allemagne) et Fort-Louis (Bas-Rhin) ont été entièrement rasées. Naissance de la place forte Pourquoi Vauban décide-t-il de faire de ce plateau inhospitalier une clé du système défensif de la frontière ? Dans son premier rapport au roi, à la fin de l’année 1692, il expose plusieurs arguments. Le premier est évidemment lié à la position stratégique du plateau, au confluent du Guil et de la Durance, et au carrefour des vallées du Queyras, de Vars, de l’Embrunais et du Briançonnais, « dans lesquelles tombent toutes les autres, et généralement tous les che­ mins petits et grands »2. De plus, le plateau est entouré de falaises aux trois quarts. L’ennemi ne peut donc attaquer que par le nord, face au village d’Eygliers, ce qui représente une écono­ mie défensive considérable. Vauban explique aussi qu’il dispose de nombreux matériaux sur place, comme le bois et la pierre (calcaire griotte notamment - appelé localement « marbre rose » - mais aussi galets du Guil et de la Durance), ainsi que d’importants moyens de subsistance. Le roi, comme chacun sait particulièrement intéressé par ces questions, passe de nombreu­ ses heures à se faire lire les projets que lui envoie Vauban. Il approuve celui de Mont-Dauphin, et les crédits sont débloqués en mars 1693. Les travaux peuvent alors commencer. Plusieurs in­ termédiaires sont nécessaires à leur bon déroule­ ment. Richerand, directeur des fortifications du Dauphiné et de la Provence, contrôle les travaux et charge l’ingénieur Antoine de Robert de leur direction effective. Ces derniers sont en contact direct avec Vauban et Michel Le Peletier, direc­ teur général des fortifications. On note aussi la présence de deux « entrepreneurs généraux des fortifications de Mont-Dauphin », Pierre Renc­ kens (ou Rankin) et Louis Anglart. A la suite d’une adjudication dont on ne connaît pas les clauses exactes, ils s’occupent de la réalisation de tous les travaux prévus en embauchant des sous-traitants expérimentés. Le travail de ces derniers est très réglementé. Le montant de leur paiement est fixé par-devant notaire, et ils s’en­ gagent à utiliser des matériaux de qualité et à respecter les délais prévus. Notons que les deux tiers de ces maîtres d’œuvre viennent du Fau­ ciny, une région où l’émigration des maçons est ancienne et courante. Selon André Golaz, ces ouvriers ont certainement participé à d’autres chantiers de ce type en France. Ils représentent une main d’œuvre qualifiée indispensable et peu nombreuse en Haut-Dauphiné. Le front Nord (ou front d’Eygliers) étant, comme nous le savons, le plus exposé, sa réalisa­ tion est prioritaire. En 1700, à l’occasion d’une deuxième et dernière visite à Mont-Dauphin, Vauban nous décrit précisément l’avancée des travaux3. Les éléments nécessaires à la défense de ce front sont alors presque tous en place. Plusieurs lignes se protègent mutuellement et retardent l’avancée de l’assiégeant. C’est l’éche­ lonnement de la défense, un des grands princi­ pes de Vauban. La ligne la plus proche du village est composée d’un bastion central (Royal noté 2) relié à deux demi-bastions (Dauphin noté 1 et Bourgogne noté 3) par des murs de cour­ tine. Des canons balayant les fossés sont placés dans les flancs des bastions (A). Ainsi, chaque élément défend son voisin et réciproquement. Deux demi-lunes forment la deuxième ligne défensive (notées 42 et 43). Contrairement aux bastions, c’est l’artillerie légère qui intervient ici, grâce aux banquettes de tir bordant chaque demi-lune. Enfin, un chemin-couvert parsemé de traverses (B), protégeant les soldats des tirs de canon en enfilade, surveille le glacis, pente douce sans végétation. L’ennemi va avancer sur ce terrain, balayé par les tirs de la défense, caché dans des tranchées d’attaque qu’il doit creuser en zig-zag pour éviter là aussi les tirs en enfilade. Ce type de système défensif, développé et généralisé par Vauban, est l’aboutissement de 2 Ibid. 3 Vincennes, Service Historique de l’Ar­ mée de Terre, Section 8, article 1, Mont- Dauphin, carton 1, pièce 161, Vauban, Addition au projet de Mont-Dauphin, 9 septembre 1700. 12 E.S.SO.R Équipe Scientifique de SOutien à la Recherche, Histoire des Arts méditerranéens 1760-1914 Mont-Dauphin (Hautes-Alpes) De la place forte royale au monument historique nombreuses réflexions d’ingénieurs italiens, hollandais, allemands et français depuis le mi­ lieu du XVe siècle. L’apparition du boulet mé­ tallique marque alors une évolution majeure de l’armement et remet en cause les principes de la défense médiévale. Les murs des châteaux forts ne peuvent résister à la puissance des canons. Plusieurs solutions apparaissent au fil du temps. Nous n’évoquerons ici que les évolutions principales4. Tout d’abord, la terre devient un élément essentiel car elle permet d’amortir l’im­ pact des boulets. On façonne donc d’énormes talus derrière les maçonneries. Ces dernières ne font que soutenir la terre. De même, la hau­ teur de l’ensemble est abaissée : on enterre les éléments pour mieux les protéger. L’échelon­ nement de la défense est également, on l’a vu, capital. Il faut épuiser l’ennemi, retarder l’heure où ses canons feront face à la dernière ligne de défense qui seule ne résistera que peu de temps à l’attaque. On remarque enfin l’apparition de nouveaux éléments, tels que les bastions. Le principe est simple : « la distance entre chaque ouvrage est calculée en fonction de la portée des canons, afin de permettre des tirs croisés ne laissant subsister aucun angle mort en avant des ouvrages »5. En 1700 toujours, les principaux bâtiments militaires sont construits, ou commencés. Au nord-ouest sont installés parallèlement au rempart deux lieux de stockage uploads/Ingenierie_Lourd/ mont-dauphin-historique-general.pdf

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