121 La marginalité ou la déperdition sociale dans le récit philosophique L’Olym
121 La marginalité ou la déperdition sociale dans le récit philosophique L’Olympe des infortunes, roman de Yasmina Khadra Faouzia BENDJELID (1,2) Introduction L’Olympe des infortunes 1 se présente comme un modèle innovant si l’on considère l’ensemble de l’œuvre de Yamina Khadra au plan de la thématique et même d’une intrigue minimale au décor minimaliste. En effet, rappelons-nous que ses romans les plus récents empruntent le contenu de leur intrigue à la référentialité historique ou à l’actualité et ses violences. Il s’agit de L'Attentat 2, Les Sirènes de Bagdad 3, Ce que le jour doit à la nuit4, L’Equation africaine5. Dans un récit protéiforme où se croisent une fiction aux accents réalistes, la théâtralisation romanesque et le fantastique, Yasmina Khadra exploite dans L’Olympe des infortunes le thème de la marginalité sociale. L’auteur imagine un monde fait de clochards complètement reclus dans leur espace et vivant en marge de la société moderne actuelle. Cloitrés à proximité d’une décharge publique, sur une plage, un espace à la périphérie de la ville, ils vivent misérablement en « Horr » (hommes libres) et nourrissent à l’égard de la ville beaucoup d’animosité et de préjugés que sous-tend un grand mépris pour la vie moderne qu’ils rejettent catégoriquement. La fiction tend à montrer et à illustrer que la marginalité est une déperdition sociale irréversible voire irrévocable. C’est dans ce cadre-là, que le récit est plus un récit de paroles que d’actions présentant une réflexion philosophique et morale sur le monde, la vie, la mort, Dieu, l’enfer, le paradis, le bonheur, la vie familiale, les joies de l’amour, la liberté, la modernité mais aussi sur le pouvoir, la justice, les régimes politiques, la démocratie, la dictature, la violence politique, le religieux …, en somme sur la condition humaine en général et toutes les grandes questions de la vie qui préoccupent les hommes. C’est cette parole des personnages qui (1) Université Oran 2, 31000, Oran, Algérie. (2) Unité de Recherche sur la Culture, la Communication, les Langues, la Littérature et les Arts / CRASC, 31000, Oran, Algérie. 1 Khadra, Y. (2010), L’Olympe des infortunes, Paris, Julliard, coll. Pocket. 2 Khadra, Y. (2005), L’Attentat, Paris, Julliard. 3 Khadra, Y. (2006), Les Sirènes de Bagdad, Paris, Julliard. 4 Khadra, Y. (2008), Ce que le jour doit à la nuit, Paris, Julliard. 5 Khadra, Y. (2011), L’Equation africaine, Paris, Julliard. Faouzia BENDJELID 122 submerge le texte que nous tenterons d’analyser pour y déceler les différentes visions du monde qui s’y côtoient, les discours et leur nature qui sont assumés par des personnages marginaux qui s’affrontent dans le texte à l’intérieur d’une communauté qui s’est isolée dans l’espace et le temps. Il s’agira donc de voir comment les personnages marginaux sont représentés dans la fiction, comment se dessine leur espace vital, quels discours véhiculent leur propos sur leur perception de la vie et du monde et saisir du même coup quel message souhaite véhiculer l’auteur dans son approche par le récit philosophique. Pour ce faire, nous retenons deux axes d’analyse : les marginaux ou le dysfonctionnement de la société et Discours et contre-discours entre philosophie et morale Les marginaux ou le dysfonctionnement de la société Notre réflexion portera sur l’analyse de la figure du marginal dans le roman, le marginal à l’intérieur de sa communauté, sa construction d’un espace qui lui soit viable, en d’autres termes quelle en est la perception et l’élaboration au plan des procédés narratifs et de la valeur énonciative de la spatialité ? L’olympe des infortunes est une histoire sans intrigue véritablement, et en cela le roman s’écarte du schéma traditionnel puisque la dimension théâtrale du récit tient une place majeure dans la fiction par rapport à la texture narrative. C’est cette perspective langagière qui donne de l’ampleur à la parole d’une catégorie sociale vulnérable/ les « clodos » ; l’auteur donne la parole à ceux qui n’y ont pas droit, qui ne comptent plus dans la société. Si ce récit, par sa forme, échappe quelque peu au roman tel qu’il s’écrit ordinairement, sa structure, sa nature même se rapproche des récits romanesques tels qu’ils s’écrivent et se conçoivent actuellement. Une certaine tendance du roman moderne s’impose par le désir et le plaisir éprouvé par un auteur à raconter une histoire sans se soumettre aux contraintes du genre tel qu’il est admis. « Des auteurs revendiquent le simple droit de plaire et se refusent à lier l’acte d’écriture à une critique du genre : ce sont des raconteurs d’histoire qui savent conjuguer l’art du conte et la richesse de l’imaginaire. Ces romans sont le reflet d’un état des mœurs contemporaines, par le ton et les thèmes, une forme actuelle d’être au monde »6. C’est ce que D. Viart désigne sous le nom de « nouvelles fictions » ; elles se démarquent des romans où s’infiltre une réflexion sur l’acte 6 Viart, D. (1999), Le roman français au XXe siècle, Paris, Hachette, p. 126. La marginalité ou la déperdition sociale dans le récit philosophique ….. 123 d’écriture ; de ce fait, le roman perd de sa teneur intellectuelle au profit d’une écriture qui marque un retour au sens premier du récit : raconter tout simplement une histoire; ce type d’écriture est en rupture avec la quête des « formes » : « Rassemblés sous l’égide d’une "Nouvelle fiction" (jean Luc Moreau) dont la formule entend se démarquer de ce que fût le " nouveau roman", ils prétendent reconquérir les espaces littéraires perdus au profit des formalismes textuels. Non pas écrire le roman du roman mais écrire des fictions pour le plaisir de la fiction. Ils se réclament de Romain Gary et de Robert Louis Stevenson. Ne pas faire du roman une fin en soi. Le modèle ultime de la "nouvelle fiction" serait le mythe. Volonté d’utiliser "tous les moyens de l’art romanesque sans jamais faire d’aucun d’entre eux, ni d’ailleurs du roman lui-même une fin en soi" selon Frédéric Tristan »7. a. Histoire d’une clochardisation irréversible Les personnages de la fiction, vivant en communauté, ont adopté un espace géographique à la périphérie de la ville où ils évoluent sans tenir compte du monde extérieur et où leur réflexion est plus philosophique sur leur être et leur façon d’être dans le monde que sur leurs conditions de vie des plus fragilisées et précaires. Vivant dans l’abandon et la solitude, ce personnage collectif se constitue d’un groupe de paumés qui se rassemblent sur un terrain vague bordé par une plage, une jetée et, au loin une route très animée menant à la ville. Cet endroit est envahi par les odeurs pestilentielles provenant des déchets d’une décharge où s’alimentent les personnages et tous les laissés pour compte de passage. Sans passé, sans avenir et au présent dérisoire, ils végètent au quotidien, oisifs à longueur de journée. Ach (le borgne, le Musicien), Junior le Simplet, Négus (le gnome), Le vieux Haroun (le sourd -têtu-), le Pacha (ancien bagnard), son amant Pipo et sa clique (les frères zouj - une paire d’autistes, Aït Cétéra, le manchot, Einstein - un alchimiste forcené – Mama- un peu parano - et son compagnon Mimosa - un reliquat existentiel-, Clovis, Dib et tous les vagabonds de passage vivent à l’état de nature, une primitivité. Ils se sont regroupés par affinités et se partagent l’espace squatté. La dimension fantastique est introduite dans la narration en faisant surgir un personnage hors du commun, venant mystérieusement d’un autre monde, Ben Adam, « un colosse », « à la corpulence herculéenne »8 qui dérange leur vacuité du quotidien. Etant en dehors de l’Histoire et du temps, et malgré quelques frictions et 7 Viart, D., op.cit., p. 126. 8 Khadra, Y. (2010), op.cit., p. 129. Faouzia BENDJELID 124 inimitiés, ils vivent paisiblement, en harmonie avec les éléments de la nature qui les entourent et s’en accommodent fort bien. Sous l’influence du discours de Ben Adam, Junior, le protégé de Ach, se retire dans la ville dans l’espoir de se reconstruire. Le dénouement s’effectue par son retour sur le terrain vague alors qu’Ach retourne dans la cité où il a mené autrefois une vie de citoyen rangé avant de tout perdre. « Le minimalisme du récit » construit une histoire sans grande intrigue et sans rebondissements caractéristiques. L’extension de la prise de parole par les personnages réduit considérablement le champ de l’action et de l’aventure. b. L’olympe des infortunes : un espace des « Horr », des hommes libres « Le terrain vague » ne ressemble en rien à l’Olympe qui est un espace mythique dans la mythologie grecque, un lieu de villégiature idéal et idyllique des dieux grecs9 . Tel que qualifié par le titre du roman, c’est un « Olympe des infortunes » (un oxymore), c’est-à-dire un espace de précarité pour des êtres fragilisés car évincés de la société des hommes et réduits ainsi à une clochardisation irréversible. La seule possibilité de durer pour ses occupants est de vivre de déchets et au milieu des déchets, de « patauger dans les détritus »10 et dans « la pestilence hallucinatoire des décharges publiques »11. uploads/Litterature/ 2016-corporeite-marginalit-deperditon-soci-faouzia.pdf
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- Publié le Jan 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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