Le dictionnaire dans les écoles francophones du Québec, 1880-1960 Marcel Lajeun

Le dictionnaire dans les écoles francophones du Québec, 1880-1960 Marcel Lajeunesse* Introduction En histoire du livre, le manuel scolaire est dans une classe à part. Il fait partie depuis la mise en place des politiques d’alphabétisation au XIXe siècle des livres les plus diffusés et les plus utilisés. Il a contribué à former des générations d’élèves dans le cadre de l’école1. Il en est de même du dictionnaire qui est devenu un usuel dans le monde scolaire en raison de son contenu linguistique et encyclopédique. Dans le monde de l’éducation, par dictionnaire on entend spécifiquement le dictionnaire scolaire. Le dictionnaire scolaire « se situe à l’avant-plan des instruments d’acquisition, de maîtrise, et à l’occasion, de correction de la langue. Il doit faire l’objet d’une pédagogie particulière et ne pas servir seulement d’ouvrage d’appoint dans quelques matières, notamment le français »2. Outil d’apprentissage et d’information, ouvrage de référence, instrument * Marcel Lajeunesse est professeur associé à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Il a à son actif de nombreuses publications en histoire du livre et des bibliothèques. 1 Concernant le manuel scolaire au Québec, on peut consulter de Monique Lebrun (dir.), Le manuel scolaire, d’ici et d’ailleurs, d’hier à demain, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007, 131 p., et de Paul Aubin, L’État québécois et les manuels scolaires au XIX e siècle, Sherbrooke, Groupe de recherche sur l’édition littéraire au Québec (GRÉLQ), 1995, 119 p., Le manuel scolaire dans l’historiographie québécoise, Sherbrooke, GRÉLQ, 1997, 151 p, et « Manuel scolaire », dans Pierre Hébert et al., Dictionnaire de la censure au Québec. Littérature et cinéma, Montréal, Fides, 2006, p. 437-443, de même que le beau catalogue d’exposition publié sous la direction de Paul Aubin, 300 ans de manuels scolaires au Québec, Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec/ Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, 180 p. 2 Jean-Claude Boulanger, « Quelques figures du panthéon des dictionnaires scolaires modernes (1856-2005) », dans Monique C. Cormier et Aline Francœur (dirs.), Les dictionnaires Larousse. Genèse et évolution, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2005, p. 91. Voir aussi Jean Pruvost (dir.), Les dictionnaires de langue française. Dictionnaires d’apprentissage. Dictionnaires spécialisés de langue, Paris, Honoré Champion, 2001. Papers of the Bibliographical Society of Canada 48/2 238 de consultation personnelle, le dictionnaire scolaire, synonyme de dictionnaire pédagogique ou de dictionnaire d’apprentissage, peut être tout cela. Conçu pour une utilisation dans l’enseignement primaire et secondaire, il a pour objectif de favoriser l’enrichissement du vocabulaire. Le dictionnaire scolaire a pris du temps à s’imposer dans les écoles du Québec. Il a été longtemps perçu comme un instrument utile, un complément précieux plutôt que comme un manuel proprement dit. Comme les dictionnaires sont un type de manuels et qu’ils peuvent faire partie des livres de classe, nous nous demandons, dans ce texte, quels sont ceux qui on reçu, pour les années allant de 1880 à 1960, l’aval des autorités scolaires québécoises. Nous nous interrogeons, de plus, sur l’utilisation qui en a été faite dans les écoles pendant cette période. Nous retenons la période 1880-1960 parce qu’elle constitue, au Québec, la période faste des approbations des manuels scolaires et des dictionnaires par le Comité catholique du Conseil de l’instruction publique. Le dictionnaire scolaire au Québec Il y a lieu de s’interroger sur la place du dictionnaire parmi les divers manuels scolaires. Il faut dire que, dans les programmes d’études, l’importance du manuel n’est mentionné qu’à partir de celui de 1905, dans lequel on affirme : « toutefois, il n’en reste pas moins indéniable que l’emploi du manuel est nécessaire »3. Dans les programmes antérieurs, il n’était pratiquement jamais mentionné qu’un manuel était officiellement considéré comme étant prescrit pour une matière donnée, sauf bien entendu pour le catéchisme. En 1865, l’abbé Jean Langevin, principal de l’École normale Laval de Québec, avait mentionné, dans son Cours de pédagogie ou principes d’éducation, comme livres indispensables pour l’instituteur, un catéchisme, une histoire sainte, un dictionnaire de poche, une grammaire, une arithmétique, une géographie, un atlas et une histoire du Canada4. Dans son manuel de pédagogie, Langevin citait explicitement cinq dictionnaires français : le Dictionnaire de l’Académie, le Dictionnaire 3 Michel Allard et Bernard Lefebvre (dirs.), Les programmes d’études catholiques francophones du Québec. Des origines à aujourd’hui, Montréal, Éditions Logiques, 1998, p. 58. 4 Jean Langevin, Cours de pédagogie ou principes d’éducation, Québec, Darveau, 1865, p. 353-356. Le dictionnaire dans les écoles francophones du Québec, 1880-1960 239 de la langue française de Prosper Poitevin (1804-1884), le Dictionnaire classique universel, français, historique, biographique, mythologique, géographique de Théodore Bénard publié chez Belin en 1860 et qui en était à sa quatrième édition en 1863, de même que le Dictionnaire universel d’histoire et de géographie (4ième édition en 1847) et le Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de Marie- Nicolas Bouillet (1798-1865), publié par Hachette en 1854 qui eut de nombreuses éditions jusqu’au début du XXe siècle. Bien que le dictionnaire faisait partie des usuels dans chaque classe depuis la fin du XIXe siècle5, il fallut attendre la décennie 1920 pour qu’un programme scolaire y fasse référence explicitement. En effet, le programme scolaire mis en vigueur en 1923, dont le principal rédacteur avait été le principal de l’École normale de Rimouski et auteur du manuel Pédagogie théorique et pratique en usage dans les écoles normales de 1916 au début des années 1950, Monseigneur François-Xavier Ross, faisait référence au dictionnaire dans la portion consacrée à l’enseignement de la langue française. Il préconisait l’usage du dictionnaire dans les classes de 3e et 4e années qui formaient le cours moyen de l’école primaire : une dernière observation : les écoliers doivent être familiarisés avec l’usage du dictionnaire avant la fin du cours moyen. Mais il appartient au maître de leur montrer à se servir de cet instrument, dont le maniement offre certaines difficultés. Il leur expliquera, par l’observation, que les mots sont rangés par ordre alphabétique, et que cet ordre ne se limite pas à la lettre qui commence le mot, 5 Le 11 octobre 1895, le surintendant de l’instruction publique Pierre Boucher de la Bruère écrivait : « Rien dans la loi scolaire n’oblige les commissaires à fournir des manuels aux institutrices ; par ailleurs, ils doivent fournir une méthode de lecture collée sur carton, une série de cartes géographiques et un dictionnaire », Paul Aubin et Michel Simard, Les manuels scolaires dans la correspondance du Département de l’instruction publique, 1842-1899, Sherbrooke, Ex libris, 1997, notice 1141, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Centre d’archives de Québec (CAQ), Correspondance du Département de l’instruction publique (DIP), Dossier 2301/1985. Le 29 décembre 1908, Boucher de la Bruère répondait à une institutrice de Saint-Norbert qui lui demandait quels livres sont à la charge de l’enseignante : « Le code scolaire est clair ; il doit y avoir dans chaque classe un dictionnaire et une série de livres en usage ; donc les commissaires ne peuvent obliger une institutrice à payer les livres en question ». Paul Aubin et Michel Simard, Les manuels scolaires dans la correspondance du Département de l’instruction publique, 1900-1920, Sherbrooke, Chaire de recherche du Canada en histoire du livre et de l’édition, notice 1068, BAnQ, CAQ, Correspondance du DIP, Dossier 4003/1908. Papers of the Bibliographical Society of Canada 48/2 240 mais s’étend à toutes les lettres qui le composent. Il appellera leur attention sur les groupes de lettres de chaque colonne du dictionnaire. Il leur expliquera la liste des signes et des abréviations et cela encore par l’intuition. Quelques exercices au tableau noir simplifieront singulièrement cette tâche6. Dans l’introduction du programme de français des écoles élé- men taires de 1948, on retrouve dans la portion consacrée au travail intellectuel personnel quelques mots sur l’importance de la familiarisation avec le dictionnaire. On y lit : « apprendre à consulter le dictionnaire pour y puiser des connaissances générales sur les sciences, l’histoire, la géographie, etc. ou pour y trouver le sens et l’orthographe ou montrer comment on recueille des renseignements, des documents, des notes en vue d’un travail à exécuter »7. On ajoute que le dictionnaire Larousse (celui en usage depuis la fin du XIXe siècle) permet de mettre en relation les gravures et le texte. Dix ans plus tard, la liste des manuels autorisés pour les classes des écoles secondaires de la 8e à la 11e année mentionne explicitement le dictionnaire Larousse8. Au début des années 1960, un professeur de l’Université Laval, Jean-Marie Joly, publie deux articles dans la revue L’instruction publique, l’un sur l’art du dictionnaire et l’autre sur l’usage du dictionnaire. L’auteur fait référence à deux ouvrages, le Nouveau Petit Larousse illustré et le Dictionnaire usuel Quillet-Flammarion. Pour Joly, le dictionnaire est sans contredit le livre de référence le plus fréquemment utilisé et l’habitude de l’utilisation du dictionnaire doit nécessairement s’acquérir à l’école. Le maniement d’un dictionnaire présuppose des habiletés et des connaissances pré-requises et une grande familiarité avec les richesses qu’il contient. Il est donc essentiel de bien connaître la structure du dictionnaire utilisé pour tirer parti uploads/Litterature/ 21934-article-text-52930-1-10-20140928 1 .pdf

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