ALPHONSE DAUDET ET OCTAVE MIRBEAU « CAHIN-CAHA » Étudier les lien entre Mirbeau

ALPHONSE DAUDET ET OCTAVE MIRBEAU « CAHIN-CAHA » Étudier les lien entre Mirbeau et Daudet, c’est d’abord retracer l’histoire de relations difficiles ; elles avaient pris un mauvais départ, puis une réconciliation s’est faite, mais « cahin-caha », selon les mots de Léon Daudet, qui restera paradoxalement l’ami de Mirbeau, qui le considérait comme un frère ... même pendant l’Affaire Dreyfus. Je me ferai le champion de Daudet dans l’affaire du « vol » des Lettres de mon moulin et je terminerai en examinant très rapidement les motifs et thèmes croisés dans les œuvres des deux auteurs. Un mauvais départ Les opinions de Mirbeau sur Daudet sont d’abord très négatives et, dans la revue Les Grimaces, il attaque l’écrivain sous divers angles avec agressivité. De façon générale, il ne lui reconnait aucun talent et l’accuse de faire de la littérature commerciale ; ceci explique que Daudet pratique un art de compromis ... qui pèse sur toutes ses pratiques littéraires : Dans Les Rois en exil, comme dans Jack, comme dans Le Nabab, comme dans Numa Roumestan, M. Alphonse Daudet a gâté de magnifiques sujets d’études contemporaines pour lesquelles il eût fallu du génie. M. Daudet s’est contenté de mettre à la place du génie, l’illusion d’un talent agréable et superficiel.1 Mirbeau précise que « […] ce talent qui est fait d’un compromis entre la violence de l’école naturaliste et les fadeurs de l’école de monsieur Octave Feuillet, ce talent qui ne voit dans la littérature qu’un moyen de gagner beaucoup d’argent sur le dos des autres2. » Il pousse les accusations plus loin et accuse Daudet d’être un plagiaire : « J’aime et j’estime encore moins son talent, ce talent pillard et gascon qui s’en va grappillant un peu partout, à droite, à gauche, à Zola, à Goncourt, à Dickens, aux poètes provençaux3. » Et franchissant encore un cran, le polémiste lance des attaques ad hominem, qui peuvent surprendre : « […] Daudet vient de Davidet qui en langue provençale, veut dire : Petit David ; d’où il résulte que M. Daudet est d’origine juive. Si son nom et le masque de son visage n’expliquaient pas suffisamment cette origine, son genre de talent et la manière qu’il a de s’en servir la proclameraient bien haut4. » Mirbeau s’en prend plus particulièrement au théâtre de Daudet. Dans l’exemple retenu, il s’agit de l’adaptation théâtrale des Rois en exil, réalisée par Delair ; la pièce a été lue chez Daudet, par Coquelin, en présence de Goncourt, Gambetta, etc. Le bruit – probablement juste – a couru que la pièce avait été jugée peu scénique par certains assistants, et sans doute par Coquelin, et que Delair aurait alors repris son texte pour l’amender : Quand on est monsieur Daudet, […] il faut avoir, en même temps que le talent, le respect de son talent ; il faut avoir pour ses œuvres qui sont enfants de votre esprit, la même pudeur pieuse que pour ses filles, qui sont enfants de votre chair, et on ne permet pas au premier Coquelin qui passe de les déshonorer de ses attouchements. Le métier des Coquelins, c’est de jouer les pièces et non de les faire. Impuissants à créer, ils ne peuvent qu’obéir. Ils ne sont pas des artistes, ils ne sont que des agents subalternes de l’art. Quoi qu’ils disent et quelques efforts que certaines gens et certains journaux fassent pour les relever, ils gardent toujours, même au milieu de leurs 1 Octave Mirbeau, « Coquelin, Daudet et Cie », Les Grimaces, 8 décembre 1883. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Ibid. 1 triomphes, quelque chose du mépris contenu dans ce mot et dans cette chose : le comédien.5 Le reproche fait par Mirbeau – sans s’arrêter à la qualité de la pièce de Delair – interroge les pratiques d’époque. Il était banal de faire appel à un carcassier, qui était régulièrement accusé par les esthètes d’avoir dénaturé le roman. Mais, il est aussi à replacer dans le contexte de rapports tendus entre Mirbeau et les comédiens. Daudet, qui a été critique dramatique pendant huit ans, s’est beaucoup intéressé au travail des comédiens. Il a demandé au comédien Lafontaine de collaborer à une adaptation de Jack ; il a souvent écrit sur les deux Coquelin, mais ne leur a jamais demandé de collaborer, ni même de jouer dans ses pièces. Lettres de mon moulin : un vol ? Daudet a eu un collaborateur pour les Lettres de mon Moulin, Paul Arène. Mirbeau se montre d’emblée malveillant en affirmant que cette collaboration est un vol : Je ne considère point, comme un honnête homme, le monsieur qui persiste à faire paraître sous son nom, un livre qu’on dit n’être point de lui, un livre d’où lui sont venues la réputation d’abord, la fortune ensuite, et cette sorte de gloire au milieu de laquelle il apparaît dans des attitudes ennuyées et méprisantes de demi-dieu.6 La première “erreur” porte sur la prétendue révélation qu’il ferait au public : Alphonse Daudet a révélé cette collaboration au grand jour dans La Nouvelle revue le 1° juillet 1883, soit six mois avant l’article de Mirbeau dans Les Grimaces. : Les premières Lettres de mon moulin ont paru vers 1866, dans un journal parisien où ces chroniques provençales, signées d’abord d’un double pseudonyme emprunté à Balzac, « Marie-Gaston », détonnaient avec un goût d’étrangeté :. « Gaston c’était mon camarade Paul Arène qui […] vivait près de moi, à l’orée du bois de Meudon. Mais quoique ce parfait écrivain n’eût pas encore à son acquit Jean des Figues, ni Paris ingénu, ni tant de pages délicates et fermes, il avait déjà trop de vrai talent, une personnalité trop réelle pour se contenter longtemps de cet emploi d’aide meunier. Je restai donc seul à moudre mes propres histoires, au caprice du vent, de l’heure, dans une existence terriblement agitée7. » En outre, les Lettres de mon moulin n’ont valu aucune « gloire » à Daudet avant le succès de Fromont jeune en 1874, soit presque dix ans après leur publication, et les grosses ventes du recueil ne seront une réalité qu’au XXe siècle. La deuxième erreur de Mirbeau concerne l’attribution de chaque conte... Considérant comme nulle et non avenue la lettre ouverte où Paul Arène s’explique sur la collaboration avec Daudet et en fixe les limites : « Sur vingt-trois nouvelles conservée dans ton édition définitive, la moitié à peu près fut écrite par nous deux [...] », Mirbeau écrit : Plus loin, M. Paul Arène cite les nouvelles qui, suivant ses souvenirs, sont l’œuvre exclusive de M. Alphonse Daudet. Nous n’avons éprouvé aucune surprise en ne trouvant pas dans cette énumération limitative : « La Diligence de Beaucaire », « Le Curé de Cucugnan », « Les Vieux », et « La Chèvre de monsieur Seguin », ces petits chefs- d’œuvre d’une absolue perfection, quintessence du volume.8 La mauvaise foi de Mirbeau est absolue. En effet, il se base sur l’ordre retenu pour le volume de 1869, qui regroupe la première série des 12 lettres parues à L’Événement et la 5 Ibid. 6 Ibid. 7 « Histoire de mes Livres », Nouvelle Revue, 1er juillet 1883. 8 « Lettres de leur moulin », Les Grimaces,, 22 décembre 1883. 2 seconde série écrite sans la collaboration de Paul Arène. Or, en 1869, Daudet compose le recueil sans tenir compte de la chronologie de parution des nouvelles dans la presse. Il est aisé de rétablir l’ordre de douze lettres « litigieuses » et de les examiner sur le plan de la collaboration : ………………………………………………………………………………………… Tableau de parution des Lettres de mon Moulin à L’Événement Presse Recueil - 18 août 1866 : « De mon moulin, À M. H. de Villemessant » Non reprise en volume - 23 août 1866 : « Il était un petit navire » Démembrée : début dans « Le Phare des Sanguinaires » ; fin dans « Le Brise Cailloux » ; in La Fedor, 1896 - 31 août 1866 : « À mademoiselle Navarette » « L’Arlésienne » La nouvelle s’inspire du récit que Mistral a fait à Daudet du suicide de son neveu. Celui-ci écrira à Daudet : « Tu devais avoir pris des notes car cela s’est passé comme tu le racontes. » - 7 septembre 1866 : « Nostalgie de caserne » Placée en fin de volume pour faire pendant à « Installation » - 14 septembre 1866 : « À monsieur Pierre Gringoire, poète lyrique » « La Chèvre de Monsieur Seguin » Le motif de la liberté est au cœur de l’imaginaire de Daudet ; il a fait l’objet de la réécriture du conte du « Chaperon rouge », paru sous le titre Le Roman du Chaperon rouge, en 1862, ainsi que de la fable de La Fontaine, Le Chien et le loup, paru en 1860. - 21 septembre 1866 : « Le Livre de l’hiver prochain » « Le Poète Mistral » Il s’agit d’un reportage fictif, mais construit à partir d’événements réels comme l’explique Roger uploads/Litterature/ anne-simone-dufief-octave-mirbeau-et-alphonse-daudet-cahin-caha.pdf

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