HISTOIRE CULTURELLE ET HISTOIRE LITTÉRAIRE Jean-Yves Mollier Presses Universita

HISTOIRE CULTURELLE ET HISTOIRE LITTÉRAIRE Jean-Yves Mollier Presses Universitaires de France | « Revue d'histoire littéraire de la France » 2003/3 Vol. 103 | pages 597 à 612 ISSN 0035-2411 ISBN 9782130534679 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2003-3-page-597.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 177.76.67.13) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 177.76.67.13) HISTOIRE CULTURELLE ET HISTOIRE LITTÉRAIRE JEAN-YVES MOLLIER* Dans la mesure où, selon les définitions généralement admises, l’his- toire culturelle se veut « histoire sociale des représentations »1, des manières dont les hommes représentent et se représentent le monde qui les entoure, il était inévitable qu’elle rencontre l’histoire littéraire et qu’elle s’efforce d’entamer avec elle un dialogue plus ou moins construc- tif. Dès ses premiers balbutiements d’ailleurs, cette façon d’envisager l’imaginaire des groupes humains entretenait un commerce intime avec la littérature canonique puisque l’un de ses fondateurs, le britannique Richard Hoggart enseignait cette discipline à l’université de Birmingham2. Étendant ses recherches aux lectures de la classe ouvrière anglaise des années 1930-1950, il en était venu à consacrer une partie de ses activités au roman policier ou au roman sentimental, deux genres particulièrement prisés par ses contemporains quoique interdits de cité et de citation dans les dissertations des étudiants d’Oxbridge à cette époque3. S’il parlait RHLF, 2003, n° 3, p. 597-612 * Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. 1. Telle est la définition à peu près consensuelle proposée par Pascal Ory ; voir la notice « Histoire culturelle » que nous avons rédigée dans le Dictionnaire du littéraire, dir. Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala, Paris, PUF, 2002, p. 266-267, dans laquelle nous évoquons les essais de conceptualisation de l’histoire culturelle proposés par Alain Corbin, Pascal Ory et Jean- François Sirinelli notamment. 2. Richard Hoggart, La Culture du pauvre (1957), trad. fr., Paris, Ed. de Minuit, 1970, a d’abord enseigné à l’université de Hull puis à celle de Leicester avant d’être nommé en 1962 à Birmingham. 3. R. Hoggart, 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises (1988), trad. fr., Paris, Hautes Études-Gallimard-Le Seuil, 1991, et Armand Mattelard et Erik Neveu, « Cultural studies stories. La domestication d’une pensée sauvage ? », Réseaux, n° 80, nov.-déc. 1986, p. 13-58, pour une analyse serrée de la naissance et du développement des cultural studies dans le monde. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 177.76.67.13) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 177.76.67.13) REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE 598 4. R. Hoggart, The Uses of Literacy : Aspects of Working-Class Life, with Special references to Publications and Entertainments, Londres, Chatto and Windus, 1957. Le titre original dit mieux que la traduction française l’ambition de l’auteur. 5. En se démarquant totalement des tenants de l’école de Francfort, Adorno et Horkheimer notamment, Hoggart proposait une conception dynamique des lectures populaires. Sa notion de « lecture oblique » annonce, dans une large mesure, la vision du « braconnage » du lecteur que développera Michel de Certeau dans L’Invention du quotidien, t. I : Arts de faire, Paris, UGE, 1980. 6. Frère de l’écrivain Jean-Richard Bloch, polytechnicien, aviateur, Pierre Abraham écrivait dans la revue Europe, Vendredi et Ce Soir avant guerre et il collabora à l’Encyclopédie Française de Lucien Febvre. 7. Histoire littéraire de la France, dir. P. Abraham et R. Desné, Paris, Livre-Club Diderot, 1974-1980, 12 vol. d’une culture populaire dominée, en se refusant à verser dans la nostalgie populiste qui encombre tant d’évocations du passé, Hoggart proposait de prendre au sérieux les loisirs des mineurs, des métallos ou des dockers et, sans porter de jugement esthétique ni éthique sur ces passe-temps, de les traiter avec le même respect que s’il s’agissait d’opéra, de théâtre clas- sique ou des poètes élisabéthains. En ce sens, il traçait un programme sti- mulant d’enquête qui devait aboutir à tordre le cou aux théories qui en sté- rilisaient l’approche, notamment celle, par trop mécaniste, de l’aliénation, qui aboutissait à traiter ces occupations comme un nouvel opium du peuple4. Au moment où The Uses of Literacy était traduit en français5, et sans qu’il y ait de lien direct entre ce livre et ceux qui allaient suivre, Pierre Abraham et Roland Desné, le premier représentant l’esprit du Front popu- laire6, le second la génération marxisante des universitaires de l’après- guerre, se lançaient dans la monumentale entreprise de ce qui allait deve- nir l’Histoire littéraire de la France, douze fort volumes publiés entre 1974 et 1980 qui faisaient eux-mêmes suite à la série des Manuels d’his- toire littéraire de la France entrepris en 19677. S’opposant aux concep- tions de l’histoire littéraire qui avaient dominé l’université française de Brunetière à Lanson, en passant par Doumic, Faguet et quelques autres, les deux chefs d’orchestre inscrivaient délibérément leur projet dans une autre perspective : rédiger, non pas une énième histoire des écrivains fran- çais, sagement rangés dans leur époque dont ils étaient censés exprimer à la fois l’esprit et le plus haut degré de culture, mais une histoire littéraire, c’est-à-dire un essai d’inscription de la fiction et de la littérarité dans le monde qui les a vu naître et se former. C’est pourquoi chaque volume de cette somme s’ouvre, en principe, sur des chapitres concernant l’état de la France du point de vue de l’école, de l’alphabétisation, du commerce du livre, de la librairie ou de la presse, pour ne citer que ces aspects d’histoire de la civilisation matérielle. On trouve ainsi au tome VII (1794-1830) des pages importantes de Pierre Orecchioni sur le cabinet de lecture et son © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 177.76.67.13) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 177.76.67.13) HISTOIRE CULTURELLE ET HISTOIRE LITTÉRAIRE 599 8. De P. Orecchioni, on citera encore « Presse, livre et littérature au XIXe siècle », Revue fran- çaise d’histoire du livre, n° 7, 1974, p. 33-44, et de Cl. Duchet, en association avec Pierre Barbéris, les tomes IV : 1789-1848 et V : 1848-1913 du Manuel d’histoire littéraire de la France, Paris, Éditions sociales, 1972 et 1977. 9. La Vie littéraire au Québec, dir. Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques, Québec, Presses de l’université Laval, 1991-2002, 5 vol. publiés, deux à paraître. 10. Histoire de l’édition française, dir. Roger Chartier et Henri-Jean Martin, rééd. Paris, Fayard-Cercle de la librairie, 1990-1991, t. III, p. 409-437. 11. M. Lyons, Le Triomphe du livre, Paris, Promodis, 1987. 12. M. Lyons, « Les best-sellers », Histoire de l’édition française, op. cit., p. 436. 13. Ibid., p. 418. rôle pendant la Restauration ou, au tome VIII (1830-1848), des para- graphes de Claude Duchet qui permettent au lecteur de prendre en compte les apports de la sociocritique à la compréhension des textes8. Sans être nécessairement très aboutie, ni toujours répondre aux vœux des concep- teurs, cette Histoire littéraire de la France cassait les périodisations sécu- laires, totalement incohérentes pour un historien, et annonçait assez large- ment l’état d’esprit qui devait présider, outre-Atlantique, à la mise en chantier de La Vie littéraire au Québec, une vaste fresque qui accorde aux institutions de lecture, aux supports et vecteurs les plus divers de l’im- primé, ainsi qu’au système éditorial, toute l’importance qu’ils exigent9. Parallèlement à l’élaboration de ces programmes de recherche et à la révélation de leurs résultats, les longues heures passées par un Gallois, professeur à l’université du New South Wales en Australie, Martin Lyons, sur la très riche série F 18 des Archives nationales de France, aboutis- saient en 1985 à la publication d’un chapitre consacré aux « best-sellers » au XIXe siècle dans le tome III de l’Histoire de l’édition française10 et, en 1987, à celle d’un volume en tous points remarquable, Le Triomphe du livre : une histoire sociologique de la lecture dans la France du XIXe siècle11 qui, tous deux, remettaient radicalement en question la vision littéraire de cette période. En définissant le romantisme comme « la crête fugitive d’une vague sur un océan de classicisme et de catholicisme » et en affirmant que ce terme — le romantisme — « ne semble pas une notion adéquate pour résumer les goûts de l’époque »12, il invitait les historiens du culturel à se pencher, sans préjugés ni répugnance, sur les œuvres réel- lement plébiscitées par les Français uploads/Litterature/ article-mollier-pdf.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager