Le concept du rythme d’Henri Meschonnic dans la traduction et la traductologie

Le concept du rythme d’Henri Meschonnic dans la traduction et la traductologie (Hildesheim, Allemagne) 2-4 octobre 2019 D’une voix à l’autre Le présent article se propose de se pencher sur la notion de l’oralité à travers les dialogues sous- titrés en français de films en arabe dialectal tunisien. Dans ce contexte, la traduction est souvent perçue en termes de perte. Nous questionnerons le rapport d’interdépendance du sous-titre et de ses contextes et dans quelle mesure le sous-titre traduit se situe au croisement de ces différents contextes, révélant la dialectique qui les anime. Il s’agit de mettre en évidence les distinctions établies par Meschonnic entre la parole, l’écrit et l’écriture, et de démontrer que changer de rythme en changeant de langue suppose souvent de changer de sens. Notre objectif ultime sera de révéler que le sous-titrage en traduction peut être la déclinaison d’une ambition : celle de recréer pour un spectateur une certaine atmosphère. Nous appliquerons une analyse contrastive qui compare la version originale du film à la version doublée, en arabe littéraire ou en français. Ne possédant pas le script officiel, les dialogues sont transcrits directement à partir des films. Notre analyse suivra un parcours précis : en partant de la scène sélectionnée (avec la transcription des dialogues dans les deux langues), nous allons nous arrêter sur certains aspects des sous-titres pour mettre en évidence les différences de registre linguistique (surtout au niveau des idiolectes et des sociolectes). Chaque énoncé de la version originale(VO) est retranscrit en phonétique (Ph) suivi de sa version doublée (VD), et également de sa signification littérale (Litt.) Nous verrons que pour résoudre les problèmes posés par les éléments dialectaux, le traducteur a recouru à certains dénivellements. Chaque microanalyse sera introduite par une brève introduction qui mettra tour à tour en évidence l’approche du traducteur dialoguiste face aux problèmes d’adaptation. 1. La voix en mouvement La traduction des dialogues de films est un défi intellectuel et linguistique ambitieux. Une création. Cependant assujettie à des contraintes, puisque l’archétype orientera et conditionnera inévitablement bien des choix. La traduction est par ailleurs une activité où le Moi, avec son bagage d’expériences, ses réminiscences littéraires, ses propres rêves ou cauchemars, parviendra à se glisser. Pour Henri Meschonnic la pratique de la traduction permettrait de se découvrir, d’approfondir la connaissance de soi : « C’est parce que le discours est l’activité historique des sujets, et non seulement l’emploi de la langue, qu’un texte est une réalisation et une transformation de la langue par le discours. Qui n’a lieu qu’une fois. » (Cf. Henri Meschonnic,1970 :305-306). Cet acte aurait une fonction herméneutique, c’est-à-dire d’interprétation. Il s’agit de l’herméneutique du soi, une théorie déjà exposée dans les travaux du philosophe français Paul Ricœur pour qui le sens d’un texte peut dans le même temps répondre précisément à un contexte donné, et répondre à des questions radicales, vivantes en tous temps. D’un côté, l’herméneutique mesure la distance introduite par les langages et l’histoire. De l’autre, elle rappelle l’appartenance du sujet interprétant au monde qu’il interprète. Cette équation d’appartenance et de distance donne peut-être la bonne distance pour une lecture crédible. La poétique est ainsi éthique, c’est une invitation à habiter et à agir le monde : « Qu’est-ce qui reste à interpréter ? Je répondrai : interpréter, c’est expliciter la sorte d’être- au-monde déployé devant le texte. Ce qui est à interpréter dans un texte, c’est une proposition de monde, le projet d’un monde que je pourrais habiter et où je pourrais projeter mes possibles les plus propres. » (Cf. Ricœur, 1986 : 114-115). Quoi qu’il en soit, la présence de cette composante subjective n’empêchera pas le traducteur de saisir en profondeur l’esprit d’une œuvre littéraire et de faire preuve de fidélité. Deux visées qui, aux yeux d’Umberto Eco n’impliquent pas une exactitude littérale absolue, la traduction, ne doit pas être une opération « machinalement mimétique » : « Un traducteur traduit des textes et, après avoir clarifié le Contenu Nucléaire d’un terme, il peut décider, par fidélité aux intentions du texte, de négocier d’importantes violations d’un principe abstrait de littéralité. » (cf. Eco, 2006 : 107), mais plutôt de la loyauté, de l’honnêteté, du respect à l’égard du texte- source, envers lequel est requise une réelle complicité. Depuis Pour la poétique Henri Meschonnic s’est engagé dans une réflexion militante pour le langage et contre ce qu’il considère être ses obstacles, notamment l’obnubilation de l’herméneutique par le signifié, et son corollaire, l’ornementalisation du signifiant, le génie des langues et le mythe du naturel en traduction. Dans Éthique et politique du traduire, la résistance agit radicalement par le lexique, la grammaire et la syntaxe pour faire à la fois la force et la difficulté de l’essai. Rencontre entre l’oral, l’écrit et l’image, le sous-titrage présente de nombreux défis et contradictions lors de son élaboration. De par leur nature, les sous-titres doivent en premier lieu répondre à certaines règles de temps et d’espace. Même si cela semble évident, rappelons que l’objectif du sous-titrage est de permettre à tout spectateur, indépendamment de son âge et de sa capacité de lecture, de saisir le message tout en pouvant suivre le déroulement de l’action, sans être gêné par les sous-titres. Il suffit de rappeler que le sous-titrage, un des modes de la traduction audiovisuelle, trop souvent réduit à une « perte », est un travail de condensation qui présuppose une maitrise créatrice de sa langue. La principale caractéristique du sous-titrage est de passer d’un langage oral à un langage écrit, avec le plus de naturel possible et tout en respectant le registre de langue. Le traducteur doit restituer l’oralité du discours, sans pour autant tomber dans le style télégraphique ni alourdir le texte par un excès de tics de langage, d’interjections ou de formules argotiques. 2. De l’oralité. Du rythme. Meschonnic revendique la nécessité de définir une notion anthropologique et poétique de l’oralité, fondée sur le primat du rythme et de la prosodie. La caractéristique essentielle de l’oralité, comme celle du rythme, est celle d’une double marque, à la fois lieu du plus intime et lieu d’une historicité, collectivité, manifestation culturelle : « l’oralité est historique » (cf. Meschonnic, 1982 : 280). Entre l’historicité et l’oralité le lien est étroit. Leur idiosyncrasie s’y entend, mais aussi leur inscription historique et sociale. Le sujet individuel est dans le même temps un individu collectif et la parole prend alors un statut culturel. Dans ce cadre, nous reprenons la définition de G. Dessons et H. Meschonnic : « L’oralité est alors le mode de signifier où le sujet rythme, c’est-à-dire subjective au maximum sa parole. Le rythme et la prosodie y font ce que la physique et la gestuelle du parlé font dans la parole parlée. Ils sont ce que le langage écrit peut porter du corps, de corporalisation, dans son organisation écrite. » (cf. Dessons et Meschonnic, 1998 : 45) Le rythme est matière du sens, il est corollaire de l’oralité : « avec l’oralité, c’est exactement du rythme au sens nouveau d’organisation du mouvement d’une parole dans le langage qu’il s’agit » (Ibid : 46) Et cette organisation est un « continu prosodique-syntaxique-sémantique », où l’un agit par l’autre, créant une signifiance comprise comme : « L’organisation linguistique et translinguistique d’un sujet dans et par le langage, caractérisée par l’inséparabilité d’un message et de sa structure, d’une valeur et d’une signification. Où translinguistique signifie : qui déborde la linguistique de la phrase et de l’énoncé par une pratique et une théorie de l’énonciation. » (cf. Meschonnic, 1982 : 342) La voix est à la fois sociale et individuelle. Ces deux composantes, forgent la parole à travers le rythme qu’ils orchestrent en la remplissant. En ce sens, ce qui est dit de l’oralité se dit aussi de la voix : « historicité de la voix » : « La voix et la diction, dans leur rapport nécessairement étroit, découvrent ceci, que la voix, qui semble l’élément le plus personnel, le plus intime, est, comme le sujet, immédiatement traversée par tout ce qui fait une époque, un milieu, une manière de placer la littérature, et particulièrement la poésie, autant qu’une manière de se placer. Ce n’est pas seulement sa voix qu’on place. C’est une pièce du social, qu’est tout individu. » (cf. Meschonnic, 1982 :706) L’oralité pour Meschonnic n’est pas le simple fait de la parole orale. C’est, tout comme le rythme, une notion qui désigne une activité du sujet. C’est d’abord une dynamique, et la voie du sens. Or, ce mode de signifiance n’est pas fermé. Il est élastique, se forme et se reforme infiniment, selon les rapports que l’oralité entretient avec ce qui est dit. L’oralité est alors un rapport, une relation : la production du sens en tant que rapport entre le dire et le dit. La caractéristique essentielle de l’oralité, comme celle du rythme d’ailleurs, est celle d’une double marque, à la fois lieu du plus intime et lieu d’une historicité, collectivité et manifestation culturelle 3. Les émois de la traduction En matière d’émotions, la tâche du traducteur uploads/Litterature/ article-rythme-mechonnic-converti.pdf

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