1 Tours et détours : 50 ans de banlieue au cinéma La construction d'une représe

1 Tours et détours : 50 ans de banlieue au cinéma La construction d'une représentation de la banlieue et de ses jeunes habitants dans le cinéma français des années 50 aux années 2000 Le cinéma français présente depuis le cinéma social de l’entre deux guerre une figuration de la ville comme sujet et objet de la misère des hommes qui habitent ces espaces morcelés, désorganisés en proie à toutes les vicissitudes de l’époque que sont, dans l’imaginaire des cinéastes, les quartiers populaires, les faubourgs du début du siècle, les grands ensembles de l’après guerre et plus globalement par la suite, la banlieue dans son acceptation la plus abstraite. Une trentaine de films réalisés en France par des cinéastes souvent prestigieux dans la période 50-70’s (Carné, Becker, Godard, Corneau) ou encore peu connus dans la période 80-2000’s mais qui vont se faire un nom avec le succès de leur production (Charef, Brisset, Kassovitz, Kechiche)1 adoptent pour toile de fond et thème principal le rôle supposé de l'urbanisme des quartiers populaires sur ses jeunes habitants, des faubourgs de Montmartre aux cités de la banlieue parisienne : on a nommé ce cinéma cinéma de banlieue ou banlieue-films donnant naissance à un genre classificatoire. La plupart de ces films accusent l’urbain d’être responsable d’une forme d’anémie sociale tout en s’efforçant, images dans le siècle, de porter à l’écran les transformations à l’oeuvre dans une société d’après guerre en plein chambardement : chute du patriarcat, rupture de la filiation père-fils, tertiarisation de l’économie et affirmation du modèle américain de consommation2, faillite des institutions, urbanisme déshumanisant, etc. Mais au fond qu’en est-il ? A l'origine du travail d’analyse sur la production d’images des banlieues populaires et son impact sur les jeunes habitants3, nous faisions l'hypothèse que leur représentation souvent disqualifiante avait pu être construite au fil du temps, par la récurrence de certaines images associées aux quartiers populaires. Afin de vérifier la rémanence de ces images et saisir la construction interne de leurs caractéristiques communes – ce qui fait stéréotype, le matériau cinématographique semblait le plus adapté, d'autres matériaux (télévisuels, graphiques ou littéraires) étant trop vastes et par ailleurs déjà patiemment et fort bien explorés4. Annie Fourcaut, historienne auteur de nombreux ouvrages et articles sur la représentation de Paris et sa banlieue, insiste sur la primauté du cinéma dans la construction des imaginaires sociaux du XXème siècle : 1 Voir filmographie indicative en fin d’article 2 Cf. le film « La belle américaine » 3 Travail de recherche mené en 2009 à l’EHESS dans le cadre du master d’anthropologie sociale sous la direction de Jonathan Friedman « Images de la banlieue d’hier à aujourd’hui – représentations de la banlieue et ses effets sur les jeunes habitants au travers de productions audiovisuelles et d’interview ». 4 Cf. Henri Boyer et Guy Lochard – Scènes de télévision en banlieues – 1950-1994 – INA / L'Harmattan – 1998 ; les travaux d'Eric Mace, notamment, La société et son double, une journée ordinaire de Télévision – Armand Colin – 2006 ; ou bien Jacques Van Waerbeke – Images d'espaces de la banlieue de Paris, XIXème et XXème siècles, étude de géographie culturelle – Université Paris XII – Institut d'urbanisme de Paris – Thèse dactylographiée dont on trouve une synthèse dans Jacques Van Waerbeke - « La poétique spatiale des représentations de la banlieue de Paris » - Géographie et culture N° 19 – 1996 – p : 51 à 78 – Edition l'Harmattan 2 « Comme le roman pour la ville du XIXème siècle écrit-elle, c'est le cinéma qui, pour notre siècle, a défini les cadres de l'imaginaire urbain. Production culturelle collective au niveau de sa fabrication comme de sa consommation, il est un support privilégié de l'histoire des représentations, tout en constituant un langage propre. Il permet donc d'appréhender les représentations d'une société, les stéréotypes durables issus des productions cinématographiques courantes comme les représentations novatrices et dérangeantes qui émergent de quelques films majeurs, qui réussissent à innover en subvertissant les conventions et en modifient les codes. »5 « L'horizon d'attente »6, selon l'expression de Martine Joly, c'est à dire l'intertexte visuel et symbolique lié à l'image de la banlieue, s'ancre dans une socio-histoire des représentations de l'urbanité des XIXème et XXème siècles. Celle-ci repose sur la dichotomie Paris / banlieue qui succède à la dichotomie ville / campagne et, à partir des années 50, sur la dichotomie habitat traditionnel populaire – la convivialité du vieux village vécu comme un âge d'or – et habitat moderne fonctionnel et déshumanisé – le Grand ensemble, nouveau né du chaos de l'après guerre. A partir d’un corpus de cinq films7 couvrant la période et significatifs de l'aspect performatif de l'espace urbain de la banlieue sur les personnages principaux, nous avons pu distinguer au cours de notre étude, trois formes de récurrences : les récurrences spatiales, les récurrences d'interactions entre les personnages et les récurrences de représentations. Les récurrences spatiales : Dans les cinq films, la banlieue est toujours représentée au travers d'une triade dimensionnelle : l'univers « typé » de la banlieue ou des faubourgs ; les espaces intermédiaires, ambigus et plus ou moins hostiles ; et un ailleurs idéalisé. 5 Annie Fourcaut, « Aux origines du film de banlieue : les banlieusards au cinéma (1930 – 1980), Société et représentations N°8, Le peuple en tous ses états – Credhess, p: 113 à 127, 2000. 6 « L'interprétation d'un texte présuppose l'interaction de lois internes et externes au texte (comme celles de sa production et de sa réception), mais elle présuppose aussi « le contexte d'expérience antérieure dans lequel s'inscrit la perception esthétique ». Ce qui signifie que, même au moment où elle paraît, une oeuvre ne se présente jamais comme « une nouveauté surgissant dans un désert d'information »; par tout un jeu d'annonces, de signaux – manifestes ou latents -, de références implicites, de caractéristiques déjà familières, son public est prédisposé à un certain mode de réception. » in Martine Joly – Introduction à l'analyse de l'image – Armand Colin – collection 128 – 2ème édition – 2009 – p : 48 faisant référence et citant Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception (trad.fr), Gallimard, 1978. 7 Le choix du corpus s’est effectué à partir de caractéristiques communes à ces cinq films - l’environnement péri-urbain comme « personnage » performatif et mise en scène de groupes de jeunes habitants au centre du récit - venant illustrer 5 périodes différentes de notre histoire française contemporaine : - Début du XXème siècle – la Belle époque et le monde des Apaches, première bande de jeunes des faubourgs et de la Zone : Casque d'Or de Jacques Becker – N&B – 1952 - Années 60 : Terrain vague de Marcel Carné – N&B – 1960 - Années 80 : Le thé au harem d'Archimède de Mehdi Charef – Couleur – 1985 - Années 90 : La Haine de Mathieu Kassovitz – N&B – 1995 - Années 2000 : L'Esquive d'Abtellatif Kechiche – Couleur – 2004 Au-delà de ces cinq films, une trentaine de films proches de ces caractéristiques communes appartiennent au champ d’étude. 3 1. L'univers « typé » : Dans l'univers « typé » de la banlieue - qui permet d'identifier aujourd'hui le banlieue-film du premier coup d'œil (c'est à dire que certains signes sont bien devenus des « stéréo- types »), le personnage principal et symbolique est la Tour, immense, impersonnelle, pathogène et littéralement deshumanisante pour ses habitants Tours dans la nuit et personnages minuscules qui semblent comme écrasés par elles au générique / Mehdi Charef – Le Thé au harem d’Archimède (1985) Autour de la Tour s'organise la vie de la cité, de ses jeunes habitants et de leurs familles. Escaliers, caves et espace du « devant les tours » (rue, hall, trottoir, squares, bancs publics) régulent la socialité juvénile des adolescents. Par opposition, l'espace de l'intériorité familiale (appartement, chambre à soi ou partagée, salle de bain), est celui de leur intimité. Ils s'y dévoilent autrement, à travers ce que la décoration intérieure révèle de leur appartenance sociale populaire8, leurs relations familiales, leur personnalité (chambre) et leur dialogue intérieur nourri par leur image dans le miroir de la salle de bain (dans le film devenu culte La Haine). C'est l'espace où les masques tombent et les faux- semblants de ces personnages de composition nous sont révélés. Les autres espaces typés « banlieue » sont ceux de l'extériorité soumise aux bandes (terrain vague, toit, squat, voire le cabaret des faubourgs dans Casque d'Or). Ils répondent chacun aux codes du mode d'être jeune dans une cité de banlieue : regroupements, solidarités et drague ; ennui, errance et désœuvrement ; affrontements, clivages fort avec l'Autre (habitant blanc, police) et règlements de compte entre pairs. 8 Et immigrée à partir des années 80 et le film emblématique de cette période Le Thé au Harem d’Archimède, premier film de Mehdi Charef et d’un enfant d’immigrés ayant grandi dans les grands ensembles. 4 Il faut noter que les films étudiés tentent une réhabilitation de ces uploads/Litterature/ articles-le-repreesntations-de-la-banlieue-au-cinema-v4-compressed 1 .pdf

  • 22
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager