PRÉFACE Philippe Perrenoud in François Audigier et al., Compétences et contenus

PRÉFACE Philippe Perrenoud in François Audigier et al., Compétences et contenus De Boeck Supérieur | « Perspectives en éducation et formation » 2008 | pages 7 à 14 ISBN 9782804156343 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/competences-et-contenus---page-7.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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C’est cette évidence que ce livre conduit à interroger, au fil de chapitres qui montrent que les tentatives de moderniser le curriculum peuvent n’entretenir que de lointains rapports avec l’évolution des pratiques sociales et même avec les injonctions faites au sys- tème éducatif au vu des changements de société constatés ou annoncés. La rhétorique de tout changement curriculaire le justifie inévitablement pour « mieux préparer à la vie », mais rien ne garantit que la vie des gens et son évo- lution soient des références prioritaires. Cette inflexion des programmes en fonction des transformations du monde et de la vie des gens est d’autant plus facile à affirmer qu’on ne se donne pas les moyens de décrire ce que font nos contemporains, donc d’identifier et les savoirs dont ils ont ou auront besoin. Sans doute est-ce en bonne partie parce que, construit par le haut, le système éducatif a privilégié depuis tou- jours et continue à privilégier la vie des gens qui font des études longues. Pour ces gens-là, l’école, le collège, le lycée ne sont que des phases propédeutiques, voire une simple course d’obstacles dont la fonction est de dégager le sous- ensemble de chaque classe d’âge digne d’accéder aux diplômes les plus élevés : l’élite. 1 Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève, 2007 Courriel : Philippe.Perrenoud@pse.unige.ch Internet : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/ Laboratoire Innovation, Formation, Éducation (LIFE) : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/LIFE/ © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/08/2020 sur www.cairn.info via Université de Tlemcen (IP: 193.194.76.5) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/08/2020 sur www.cairn.info via Université de Tlemcen (IP: 193.194.76.5) Compétences et contenus 8 Et la vie des autres ? En 1904, lorsque 4 % des jeunes Français fré- quentaient le lycée, l’école se bornait à donner aux autres les connaissances élémentaires requises des citoyens, des consommateurs et des travailleurs de la base. En 1970 encore, Baudelot et Establet décrivaient deux réseaux cloisonnés : le primaire-professionnel, menant à l’emploi dès 14-16 ans, et le secondaire-supérieur. Dans une société du savoir, qui a vu l’émergence des nouvelles classes moyennes, ces clivages binaires ont fait place à une gradua- tion des niveaux de formation sans solution de continuité, de ceux qui quittent l’école sans avoir atteint le dernier degré de scolarité obligatoire, sans savoir lire couramment, à ceux qui n’entrent dans la vie active qu’après l’obtention d’une maîtrise ou d’un doctorat. On ne peut plus penser une école du peuple, qui enseigne à lire, écrire et compter, et une école de l’élite. Par ailleurs, la vie des gens ne s’enferme plus dans le travail et même ce dernier n’est plus une identité stable, puisque de plus en plus nombreux sont ceux qui vivent d’emplois précaires, alternent période d’activité et période de chômage ou encore passent d’un métier à un autre au gré des chan- gements technologiques ou de la quête d’un meilleur niveau de vie ou d’une plus grande indépendance. Ceux qui rédigent et font évoluer les programmes scolaires n’ignorent pas ces transformations. En ont-ils pris la mesure ? Remettent-ils l’ouvrage sur le métier pour prendre réellement en compte les évolutions de la société, du travail, de la vie privée, de la famille, de la sexualité, de la politique et de tant d’autres facettes de la vie des gens ? Où n’est-ce qu’un faire semblant, une référence vite oubliée dès qu’on passe aux choses sérieuses, autrement dit la rédaction des programmes ? Mar- cel Gauchet (1985) avait proposé une formule saisissante pour caractériser l’isolement dans lequel le système éducatif peut s’enfermer : « L’école à l’école d’elle-même ». En ce qui concerne le curriculum, cet enfermement n’est pas inexplicable : avec l’allongement de l’éducation de base, la vie adulte est une perspective très lointaine, elle ne devient « concrète » que dans les derniers degrés de l’enseignement obligatoire, qui sont de plus en plus rarement, dans les sociétés développées, le moment du passage à la vie active. Seuls quelques pays ont imposé l’obligation scolaire jusqu’à 18 ans, mais les autres encoura- gent les élèves à poursuivre des études au-delà de 15-16 ans et la sortie de l’éducation de base prend la forme d’abandons qui s’égrènent au fil des années suivantes : les « décrocheurs », comme on dit au Québec, s’éclipsent discrète- ment, parfois en cours d’année scolaire ; leur investissement diminue, leurs absences se font plus fréquentes et un jour on constate qu’ils ne sont plus sco- larisés, sans qu’aucun rite de passage n’ait marqué ce glissement graduel vers la vie active… ou le chômage. On est bien loin du diplôme de fin d’études pri- maires qui marquait la fin de la scolarité de base pour une fraction importante de chaque classe d’âge et obligeait le système scolaire à se demander de quel bagage ces jeunes étaient nantis. Aujourd’hui, il faut des enquêtes internatio- nales pour se rendre compte que nombre de jeunes ont échappé à l’école, sans bruit, emportant non pas un capital positif et identifiable, définis au contraire © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/08/2020 sur www.cairn.info via Université de Tlemcen (IP: 193.194.76.5) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/08/2020 sur www.cairn.info via Université de Tlemcen (IP: 193.194.76.5) Préface 9 parce tout ce qu’ils n’ont pas su, voulu ou pu apprendre pour n’avoir pas été au bout d’un cursus postobligatoire. Les politiques de l’éducation s’en préoccupent sporadiquement, notamment autour de la lecture ou de la formation scientifique. Cela affecte- t-il le curriculum ? Le système éducatif apparaît incapable de reprendre le problème à la base, en posant la question simple et terrible du rapport entre ce qu’on apprend à l’école et ce qu’on peut en faire dans la vie. Cette impuis- sance est sans doute imputable dans une large mesure à l’action des lobbies qui défendent des intérêts particuliers plutôt qu’une vision du bien commun, lobbies assez forts pour faire sauter le ministre ou le gouvernement qui aurait l’audace de les heurter de front : • Le lobby des parents qui n’attendent du système éducatif qu’une chose : qu’il prépare leurs enfants aux études longues ; ces parents dont les enfants ne craignent pas l’échec se soucient comme d’une guigne de ce qui arrive aux autres. • Les lobbies disciplinaires, qui défendent des territoires, des emplois, des heures, sans se demander si la discipline qu’ils défendent se justi- fie en référence à la vie des gens ordinaires, pas de ceux qui devien- dront biologistes, mathématiciens, historiens ou linguistes. • Le lobby des « antipédagogues », qui sous couvert d’élitisme républi- cain sacralise le savoir pour lui-même, sans examiner son sens et ses fonctions pour les gens. On pourrait évoquer, pour nuancer cette thèse, des évolutions curri- culaires qui, en apparence, attestent de la prise en compte des changements sociétaux. • L’école a fait une petite place à l’informatique. Est-ce à elle qu’on doit les compétences — fort inégales — des nouvelles générations dans ce domaine ? On peut en douter. • On a introduit des enseignements de technologie dans certains pays. Mais c’est avant tout une filière pour les élèves destinés à des emplois subalternes, la culture technologique n’est pas encore incorporée à la culture scolaire. • On se plaint depuis longtemps de la faiblesse de l’enseignement scientifique. Des didacticiens et des projets comme « La Main à la pâte » s’attaquent au problème. Qui pourrait affirmer que les jeunes d’aujourd’hui sont plus que hier formés au raisonnement et à l’obser- vation scientifique ? • Les langues étrangères prennent une place croissante dans les mis- sions de l’école, mais c’est sous la uploads/Litterature/ competences-et-contenus.pdf

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