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Table des Matières Page de Titre Table des Matières Page de Copyright DU MÊME AUTEUR : Epigraphe Dédicace 1 2 3 4 5 Le récit de Movar 7 8 9 Le récit de Babakar 11 12 13 Le récit de Fouad 15 16 Le récit de Roro Meiji 18 Le récit d’Estrella 20 21 22 23 24 © 2010, Éditions Jean-Claude Lattès Première édition août 2010. 978-2-709-63149-5 DU MÊME AUTEUR : Aux Éditions Robert Laffont : Une saison à Rihata, 1981. Ségou, vol. 1, Les Murailles de terre, 1984. Ségou, vol. 2, La terre en miettes, 1985. La vie scélérate, 1987, Prix de l’Académie française. La colonie du Nouveau Monde, 1993. La migration des cœurs, 1995. Pays mêlé, 1997. Désirada, 1997. Prix Carbet de la Caraïbe. En attendant le bonheur : Heremakhonon, 1997. Le cœur à rire et à pleurer : contes vrais, 1999. Prix Marguerite Yourcenar. Célanire cou-coupé, 2000. Aux Éditions du Mercure de France : Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, 1986. Grand Prix Littéraire de la femme. Pension Les Alizés, 1988. Traversée de la mangrove, 1989. Les derniers rois mages, 1992. La belle créole, 2001. Histoire de la femme cannibale, 2003. Victoire, les saveurs et les mots : récit, 2006. Prix Tropiques. Les belles ténébreuses, 2008. « Allah n’est pas obligé… » Amadou Kourouma Ce récit est de pure fiction, même si certains événements semblent inspirés de la réalité politique et naturelle. Il est uniquement conçu pour le plaisir de ceux et celles qui me feront le bonheur de tourner ces pages. www.editions-jclattes.fr Pour Serina et Mahily qui ne savent pas encore lire. Babakar fut précipité de la tiédeur du sommeil à la clameur d’une nuit d’orage et atterrit, étourdi, saisi dans un vacarme. Le tonnerre grondait. Les tôles du toit grinçaient. Les branches des pié bwas craquaient avant de se fracasser à terre tandis que les mangots tombaient drus comme roches. Pendant son sommeil, il avait vu sa mère, souriante, radieuse, ses yeux de bleuet lumineux et rafraîchis comme si, au milieu du désordre des éléments, elle apportait un rameau d’olivier. Elle venait lui signifier que les pages noires de deuil étaient tournées et que se dessinait enfin la promesse du bonheur. La pendule marquait 23 h 15. Il songea aux hommes qui en ce moment buvaient du rhum agricole, jouaient aux dés ou aux dominos et caressaient les seins durcis des femmes qu’ils s’apprêtaient à baiser. Lui, dormait déjà dans un pyjama de coton rayé. Personne ne comprenait rien de rien à cet hivernage-là. Des semaines qu’on aurait dû en voir le bout. Mais la pluie n’arrêtait pas de flageller la Nature avec violence et de faire déborder les ravines les plus secrètes. Frissonnant dans l’humidité, Babakar enfila un peignoir et glissa sur ses pieds nus à travers l’enfilade de pièces de sa villa meublée sans goût, à la va-vite. Les maisons s’expriment à leur manière. Celle-là parlait de solitude et d’exclusion. Dans la cuisine, il se versa un verre de lait qu’il but trop hâtivement, en se salissant le menton. Il ne touchait jamais à l’alcool, non par souci de religion, mais parce que cela lui donnait des aigreurs qui ajoutaient au goût déjà si mauvais de sa vie. Il emplissait à nouveau son verre quand la sonnerie de l’entrée retentit avec violence, pressée par une main fiévreuse. Babakar sortit sur la galerie et, malgré la pluie, traversa en courant la pelouse, ses pieds nus s’enfonçant dans la gadoue puis s’en arrachant avec un bruit de succion. Un homme se tenait derrière la grille, s’abritant d’une feuille de bananier. Il était jeune. Beau. L ’air craintif. Noir. Très noir. Habillé de hardes, curieusement chaussé de converses rouges qui prenaient l’eau de toutes parts. Il s’agissait visiblement d’un Haïtien, innombrables dans la région malgré les arrestations et les reconduites aux frontières de plus en plus féroces de la police. Il balbutia : – Fô li vini kounye-a. Li pral mouri ! Babakar ne s’était pas trompé : il reconnut le créole haïtien qu’il ne comprenait pas plus que le guadeloupéen et interrogea en français : – De qui s’agit-il ? D’une de mes patientes ? L ’homme se borna à répéter avec plus de force : – Li pral mouri ! Babakar retourna à l’intérieur de la maison pour s’habiller et prendre sa trousse. Puis, il rejoignit l’Haïtien qui, la tête entre les mains, s’était accroupi dans un coin du garage. Ils prirent place dans la vieille Mercedes, achetée pour une bouchée de pain à un VAT qui retournait à Angoulême, son contrat terminé. C’était une de ces nuits où ne peuvent germer que l’étrange ou l’insolite. Par une nuit semblable, Dieu avait dû créer l’homme avec tous les déboires que cela avait entraîné. Après un virage, ils entrèrent dans un hameau enfoui sous un amoncellement de verdure. – Nou rivé, fit l’Haïtien. Il désigna une case abritée d’un bouquet de beaux ébéniers droits comme des I. Un homme âgé, les cheveux grisonnants et une femme rondouillarde en pleurs se tenaient devant la porte d’entrée. À leur approche, l’homme dit en se signant : – I pati, Movar. I pa atan ou… Il se signa à nouveau tandis que les sanglots de la femme redoublaient et que le jeune Haïtien fondait en larmes à son tour. – Elle ne souffre plus, conclut l’homme en fixant Babakar d’un air théâtral… Babakar crut reconnaître ce nègre solennel, dignement engoncé dans un costume élimé à la coupe d’avant-guerre. L ’autre lui tendit la main : – Docteur, je suis Cyprien Aristophane, le directeur de l’école communale Pierpont III. Il présenta ses compagnons : – Elle, c’est Yvelise Dentu et lui, c’est Movar Pompilius, un Haïtien comme la défunte, Reinette Ovide. Brusquement, il reprit en créole : – Pran kouwaj, Movar. En effet, le malheureux semblait sur le point de tomber en léthargie, affalé à terre. Babakar sympathisa avec ce chagrin. D’expérience, il savait ce que cela signifiait de perdre un être qui vous est cher. Il entra à l’intérieur de la maison. C’est connu, la vie commence par une boucherie. Mais celle-là avait été particulièrement sanglante. On aurait dit que la défunte avait été aux prises d’un ennemi de force largement supérieure à la sienne. Dans cette lutte inégale, elle avait perdu tout son sang. Les oreillers, les draps, le matelas étaient rouges. Des serviettes éponge étaient jetées à terre ou roulées dans une bassine en émail. Une odeur âcre flottait sur le carnage. Babakar s’approcha du lit et s’arrêta, interdit. Pas de doute : celle que la mort venait de faucher, il l’avait vue quelques jours plus tôt au dispensaire. Il l’avait remarquée. Non pas simplement à cause de sa joliesse, mais de son maintien inhabituel, frappant chez une personne d’une carrure si peu imposante. On aurait presque cru une fillette. Ses yeux brillants étaient moqueurs. Sa bouche retroussée, faite pour la raillerie, le baiser joueur. L ’obus de son ventre relevait le devant de sa jupe de vingt bons centimètres, laissant découvrir ses jambes lisses et fuselées, terminées par des chevilles fines et de petits pieds chaussés d’horribles Nike. Malgré cet accoutrement malgracieux, son charme irradiait. Elle avait soutenu son regard avec insolence comme pour signifier : « Qu’est-ce que tu as à me reluquer ainsi, mon beau monsieur ? Tu perds ta peine. Je ne suis pas pour toi. » Babakar avait été bouleversé. Non par cette rebuffade silencieuse, mais par les sentiments qu’il avait éprouvés. Pour la première fois, il avait trahi Azélia. Ne fut-ce qu’un instant, il avait désiré et rêvé de posséder une autre qu’elle. Honteux, il avait baissé les yeux et battu en retraite. Et voilà qu’il retrouvait cette femme morte, elle aussi… Toujours ces tours cruels d’un destin qui avait juré de ne pas le laisser en paix ! Examinant le corps de plus près, il s’aperçut que les doigts de la main droite étaient tordus, cassés, l’un d’eux arraché. Il releva à la saignée du bras gauche une vilaine trace qui ressemblait à une morsure. La même se dessinait à la base du cou. Tout cela était étrange. Ne devait-il pas demander une autopsie ? Yvelise, en se signant à nouveau, s’agenouilla à côté de lui et ses soupçons lui parurent absurdes. À présent, Yvelise essuyait le sang caillé qui couvrait la nouvelle-née dont jusque-là personne ne s’était soucié. Elle ne semblait nullement effrayée par le monde dans lequel elle débarquait. C’était une belle petite fille, très belle, le triangle de son sexe bombé, rebondi entre ses cuisses potelées. – Qui est le père ? souffla Babakar se relevant et se rapprochant d’Aristophane. Lui ? Movar ? Aristophane secoua la tête et répondit très bas : – Non ! C’est une histoire très compliquée. Le père doit être resté en Haïti. Elle, Reinette, est arrivée enceinte il y a quelques mois. Malgré son ventre, Movar s’est mis en ménage avec elle. Il paraît qu’ils avaient voyagé sur le même bateau. Tous les deux travaillaient à la Ferme Modèle qui uploads/Litterature/ conde-maryse-en-attendant-la-montee-des-eaux.pdf

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