Corrigé de la dissertation: “Les passions peuvent me conduire, mais elles ne sa
Corrigé de la dissertation: “Les passions peuvent me conduire, mais elles ne sauraient m’aveugler.” La Princesse de Clèves continue, plus de trois siècles après sa publication, de fas- ciner: on en trouve des réécritures au cinéma chez J. DELANNOY, Manuel de OLIVEIRA ou encore Ch. HONORE, mais aussi dans les arts graphiques, dans le travail de Claire BOUILHAC ou enfin les illustrations récentes du créateur Christian LACROIX. Il doit y avoir quelque chose de fascinant dans ce personnage de femme qui résiste contre ses pulsions, contre la force du sentiment et contre les facilité de l’évidence. Car c’est bien de cela dont il s’agit à la cour de Henri II: une jeune femme bien née épouse un Prince et ré- siste jusqu’à la mort (suggérée) contre la passion qui la dévore mais ne saurait s’avouer dans le cadre contraint d’une société où elle n’a le choix que d’être une “belle personne" doublée d’une “honnête femme.” Elle avoue même, au terme d’un jeu du chat et de la sou- ris distribué sur quatre parties romanesques, que “les passions peuvent (la) conduire mais ne sauraient (l’) aveugler.” Le roman vaut-il pour lutte acharnée entre la passion (prise dans son acception ga- lante et courante) et la raison? Le personnage est-il soumis aux aléas de ses humeurs plus qu’à ceux du destin? Faut-il lire le roman comme un vaste défi posé au sujet carté- sien gouverneur de ses passions ? Une mise à l’épreuve chrétienne de l’homme clas- sique? Ou bien cette séparation entre des passions déviantes et une raison triomphante ne constitue-t-elle qu’un leurre flatteur pour l’égo du personnage? Nous verrons donc en quoi le roman semble se présenter comme une délibération, à grande échelle, entre passion et raison, puis nous envisagerons des passions utiles dans le roman, enfin, nous identifierons le reste de ce qui peut conduire la Princesse et les personnages du roman. Le roman peut s’entendre comme la mise en débat, comme le ferait Louise LABE, entre des passions dictant leur loi et un personnage rationnel capable de juguler ces pas- sions. Les passions, si on les entend comme des sentiments amoureux brûlants et dévo- rants, prennent beaucoup de place dans le roman: ce dernier s’ouvre avec la mention des amours illégitimes mais connues de tous entre Henri II et Diane de Poitiers, la “légitime”, Catherine de Médicis n’étant nommée que brièvement (mention de “la Reine”) et sans dé- tail, quand la maîtresse incarnant l’amour charnel, Diane, est elle mentionnée avec son titre “Duchesse de Valentinois” et que l’on précise à son sujet qu’elle a une petite-fille “Mademoiselle de La Marck”. Que doit comprendre le lecteur, dès le début du roman? Que la passion, adultérine, est plus valorisée que les amours conjugales, conventionnelles, sages et monotones. La multiplication dans le roman des péripéties et intrigues amou- reuses, au travers de la vie tumultueuse du Vidame de Chartres (compromis dans l’affaire de la lettre, à cheval sur les deuxième et troisième parties) puis des aventures malheu- reuses de madame de Tournon: deux épisodes relatés dans le roman s’intéressent parti- culièrement aux relations amoureuses, preuve de l’importance donnée à ce thème dans le roman. Bien-sûr, les changements d’espace-temps du roman sont directement dépendants de la mécanique du coeur: les deux départs de la Princesse à la campagne sont à mettre sur le compte de sa volonté de fuir le Duc de Nemours. l’amour commande aux destinées des personnages en les faisant même mourir puisque ce sont deux personnages qui dispa- raissent consécutivement à leur dépit amoureux, le Prince de Clèves qui meurt de chagrin et notre héroïne éponyme, dont la disparition en forme de retraite hors des agitations du monde précède la mention d’une vie “courte”, façon euphémistique de prévenir le lecteur de sa mort prochaine. Face à ces sentiments pernicieux, décisifs à plus d’un titre dans l’intrigue, la distri- bution des personnages et la tonalité (tragique) du roman, le contrôle de la passion serait exercé par une raison autrement dit littéralement un calcul savant, mené par un person- nage conscient de ses limites et à lui-même, son propre garde-fou: cette raison qui pro- tège de l’aveuglement et maintient donc les yeux ouverts, est incarnée par des person- nages érigés en surmoi de l’héroïne: ainsi madame de Chartres, qui plane sur toute la première partie, dont elle assure l’ouverture et la fin. C’est elle qui parle en grandes géné- ralités, avec l’autorité de l’expérience, des défauts masculins. Autre contre-balancier aux passions, le jeu de modèles et de contre-modèles que le roman offre à la Princesse puis au lecteur: contre-modèles, Nemours ou le Vidame insistant dans ses visites à notre hé- roïne ou compromis dans la lettre pour le second. Chacun incarne une image du manque de maîtrise de soi, de son image, de sa réputation. A l’inverse, m. de Clèves est vu comme un modèle de constance (dans ses fiançailles puis noces laborieuses avec la Princesse), dans sa sincérité à d’une part exposer sa jalousie et d’autre part à assumer son chagrin jusqu’à la mort. Si on a coutume d’opposer la vertueuse et glorieuse madame de Clèves à des femmes plus légères (Diane de Poitiers) ou plus calculatrices et sournoises (comme Madame, qui force la rencontre entre Madame de Clèves et Nemours au bal). On peut avoir l’impression d’un roman où s’affronteraient deux thèses, la frivolité des passions vs la clairvoyance de la morale de l’autre. Le roman de madame de LA- FAYETTE se satisfait-ils de ces oppositions pratiques entre passions et raison d’une part et les clairvoyants et les aveugles d’autre part? Tout n’oppose pas passions d’une part et raison d’une part, et par ailleurs, les passions ne font pas de si mauvais guides : à défaut de conduire les personnages au bonheur, elles les conduisent du moins à la vérité. On peut ainsi penser la force des passions comme la condition sine qua non du triomphe sur ces passions. Il faut que les passions soient intenses pour que les résis- tances soient glorieuses. Loin d’être ennemies ou incompatibles, dans le projet moraliste de madame de la FAYETTE, les passions sont utiles: elles révèlent la force de caractère et le tempérament exceptionnel de notre héroïne; on pourrait presque faire dire à la Prin- cesse que “les passions peuvent me conduire parce qu’elles ne sauraient m’aveugler.” au sens où il faut que les passions existent pour qu’on prouve qu’elles n’ont pas le dessus. Comment être certain du projet de l’écrivaine de lier les deux présentés comme contraires ? D’abord, parce que certaines scènes sont ouvertement forcées, pour que la princesse soit mise à l’épreuve, devant maîtriser une tentation visiblement hyperbolisée: ainsi, au bal Madame la Dauphine joue les entremetteuses et insiste lourdement: “je crois… que vous savez” devenant “vous devinez fort bien”. De la même façon, la narra- trice insiste trop sur des termes pour les traiter innocemment et on doit deviner qu’ils sont chargés de tout un lot de sous-entendus, et voire mis en doute, ainsi “froideur”, dès que la Princesse et Nemours sont mis en présence. Comment croire à une froideur à ce point démontrée ? Les passions du roman ne sont pas que celles de la Princesse de Clèves et surtout, ne sont pas si inopérantes malgré les prétentions cartésiennes qui gonflent nos égos postclassiques: la passion a son utilité aussi en matière de révélation et de construction des tempéraments. Après tout, si l’on admet les deux visions de l’amour fournies par Nemours (amour expri- mé), par Madame de Clèves (amour indicible), le roman fournit aussi une troisième possi- bilité, l’amour douloureux, incarné par monsieur de Clèves que la passion et la jalousie font “le plus malheureux des hommes”. Avec lui, les passions deviennent plus dange- reuses encore qu’avec notre héroïne, puisqu’elles deviennent mortelles, causant un cha- grin fatal. Tout dépend à quoi on compare notre princesse et face à quelle alternative on la place: si on fait d’elle la fille de madame de Chartres alors le débat se situe bien entre la passion, dangereuse, qui aveugle et la raison qui guide, dit autrement la passion qui perd les honnêtes femmes et la vertu qui sauve. Mais si l’on prend comme comparant Monsieur de Clèves, avec lui les passions n’aveuglent pas au contraire: l’amour éprouvé pour sa femme, durable (dès le début du roman, lorsqu’il est en concurrence avec le Vidame, puis Guise pour épouser mademoiselle de Chartres) et prenant la forme d’une jalousie dévo- rante (qui éclate en quatrième partie du roman) alors la passion trouve sa traduction la plus juste, elle signifie pour lui à la fois l’amour et la souffrance (“malheur” et “douleur” ir- radiant son vocabulaire) et la jalousie loin de l’aveugler, lui ouvre les yeux sur tous les signes d’un amour partagé entre Clèves et Nemours. La démonstration la plus insidieuse du roman est peut-être là; tout ce que Clèves a eu raison de comprendre, il l’a compris sous le coup des passions. La tournure prêtée à la Princesse est assez énigmatique car fondée toute entière sur une hypothèse: “les passions peuvent me uploads/Litterature/ correction-dissertation-cleves.pdf
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- Publié le Sep 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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