Tracés. Revue de Sciences humaines 4 (2003) L’interprétation ..................

Tracés. Revue de Sciences humaines 4 (2003) L’interprétation ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Paul Costey Description et interprétation chez Clifford Geertz. La thick description chez Clifford Geertz ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Paul Costey, « Description et interprétation chez Clifford Geertz. La thick description chez Clifford Geertz », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 4 | 2003, mis en ligne le 03 février 2009, consulté le 14 février 2012. URL : http://traces.revues.org/3903 ; DOI : 10.4000/traces.3903 Éditeur : ENS Éditions http://traces.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://traces.revues.org/3903 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © ENS Éditions La thick description chez Clifford Geertz* Longtemps réservés à un public anglo-saxon ou au cercle restreint des anthropologues, les travaux de Geertz sont aujourd’hui accessibles aux lecteurs français. Mais une de ses contributions majeures à l’influence indéniable («La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture»), tout au moins aux Etats-Unis, restait jusqu’il y a encore peu de temps introuvable. Le travail d’André Mary vient combler cette lacune sans toutefois bénéficier de la diffusion qu’il aurait méritée. La «description dense» est l’introduction d’un recueil d’articles1 paru en 1973 dans laquelle il définit l’activité ethnographique en réfé- rence à la théorie de G. Ryle – qui distingue deux niveaux de description (la thin description et la thick description). Il serait long et fastidieux de retracer les usages et les multiples références dont les principes épistémologiques énoncés dans ce texte ont fait l’objet, pourtant il faut mentionner la lecture la plus radicale et celle qui jouit de la plus grande visibilité, consistant à faire de Geertz le père fondateur d’une anthropologie textualiste et herméneutique2. Certes, l’auteur s’intéresse de près au statut de l’écriture ethnographique qu’il envisage comme une fiction, sans néanmoins exclure tout procédé d’évaluation – qu’il préfère à vérification – contrairement à ses épigones post-modernes3. Toutefois, jamais il Description et interprétation REVUE TRACÉS n° 4 – automne 2003 – p. 103-108 Description et interprétation * Cette note s’inspire d’un numéro de la revue Enquête, (n° 6, 1998) consacré à la description, qui contient une présentation (A. Mary, «De l’épaisseur de la description à la profondeur de l’interprétation») et la traduction du texte de Geertz, ainsi qu’un dossier sur le sujet: J. Bazin, «Question de sens»; V. Descombes, «La confusion des langues» 1.C. Geertz, The Interpretation of Cultures, NY, Basic Books, 1973. 2.Nous entendons par le terme d’anthropologie textualiste, une anthropologie qui fait du texte une métaphore pour l’analyse des phénomènes sociaux. La culture est conçue comme un vieux manuscrit défraîchi et lacunaire dont il faut organiser la lecture. 3.Une partie de ce courant se réclame explicitement des travaux de Geertz, citons notamment J. Clifford, «De l’autorité en ethnographie» trad. D. Cefaï, in L ’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003 et en an- glais, J. Clifford, G. Marcus (eds.), Writing Culture: The poetics and politics of Ethnography, Berkeley, Cal., 1986). Pour ces derniers, Geertz a posé les jalons d’une discipline ultra-relativiste dans laquelle l’écriture (et les stratégies rhétoriques) est un vecteur d’oppression, déplaçant l’objet de l’anthropologie des modes de vie REVUE TRACÉS n° 4 – automne 2003 ne suggère que le travail de l’anthropologue doive se cantonner à une analyse textuelle (la critique des stratégies rhétoriques que les anthropologues emploient afin de persuader les lecteurs de la véracité de leur propos), et rappelle que la recherche n’existe pas sans une enquête empirique1. C’est dans le travail de terrain que les principes herméneutiques prennent tout leur sens. Par conséquent, écartons d’emblée cette lecture de la «description dense» dont les vertus polémiques dépassent le cadre d’un débat intellectuel, et abordons une théorie dont les concepts ou les schèmes ne trompent pas quant à leurs influences et références2: la culture comme assemblage de textes, l’écriture ethnographique comme fiction3… Les deux termes de la distinction de Ryle4 fondent cette première esquisse d’une épistémologie anthropologique qui n’est qu’un moment dans la réflexion de Geertz, car très vite il renoncera à ces notions pour privilégier d’autres oppo- sitions: concepts proches de l’expérience et concepts éloignés de l’expérience, par exemple5. L’oubli de ces concepts dans ses textes ultérieurs contraste avec le retentissement et les échos qu’a connus ce texte, quasi-manifeste d’une anthro- pologie interprétative. La première forme de description chez Ryle relève de ce qui est observable en dehors de toute information contextuelle et la seconde, à un niveau logique supérieur, renvoie à une information enrichie d’éléments indigènes aux textes classiques de la discipline. L’autorité à laquelle prétend l’ethnographe n’est pas très différente de la domination colonialiste qui est à l’origine de la discipline. Et cette forme de domination im- périaliste ne trouve d’issue à leurs yeux que dans «la réflexivité, le dialogique, l’hétéroglossie, la conscience rhé- torique de soi, [etc.]» (Cf. C. Geertz, Ici et là-bas. L’anthropologue comme auteur, trad. D. Lemoine, Paris, A.-M. Métailié, 1996; particulièrement «Ici» le chapitre conclusif). 1.Les travaux de Geertz ne se réduisent en aucun cas à des réflexions épistémologiques, bien au contraire, il a exploré plusieurs «terrains» à Bali, à Java et au Maroc. Nous renvoyons le lecteur à un des textes les plus connus de Geertz dans lequel il met en application la description dense: C. Geertz, «Jeu d’enfer. Notes sur le com- bat de coqs balinais» trad. L. Evrard, Le Débat, n° 7, 1980; repris dans C. Geertz, Bali. Interprétation d’une culture, Paris, Gallimard, 1986. 2.Il est d’ailleurs intéressant de noter que la plupart des penseurs sur lesquels Geertz s’appuie n’apparaissent pas explicitement dans ses textes. Les figures de Ricoeur, Gadamer ou Foucault sont éludées, au nom d’un principe qui «conduit les sciences dites humaines à renouer avec les Humanités et à leur «voler» leurs ressources langagières autant que leur style d’intelligibilité» comme le dit André Mary. 3.C. Geertz, «La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture» op. cit., p. 80: «Pratiquer l’ethnographie c’est comme essayer de lire (au sens de «construire une lecture de») un manuscrit étranger, défraîchi, plein d’ellipses, d’incohérences, de corrections suspectes et de commentaires tendancieux, et écrit non à partir de conventions graphiques normalisées, mais plutôt de modèles éphémères de formes de comportement.» 4.G. Ryle, «The Thinking of Thoughts, What is Le penseur doing?», in Collected Papers, Londres, Hutchinson, t. II, 1971. 5. C. Geertz, Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, trad. D. Paulme, Paris, PUF , 1986, pp. 71-90. 104 Description et interprétation contextuels; entre ces deux pôles vient se loger l’activité de l’anthropologue qui exhume une «hiérarchie stratifiée de structures signifiantes»1. Précisons un instant ce que Ryle désigne par ces deux termes (thick et thin), en rappelant l’exemple qu’il prend: la différence se fait entre une contraction de paupière («fait brut»2) et un clin d’œil qui implique l’existence d’un code ou d’une conven- tion pour que la contraction soit identifiée comme un signe. Ensuite, Ryle décline toutes les variantes signifiantes du même geste : le simulacre, la parodie, etc. Mais pour Geertz, la thick description n’est plus ce point limite de l’observation, mais ce vers quoi doit tendre l’analyse culturelle, c’est-à-dire la mise au jour d’une pluralité de «couches de signification» sans passer par l’observable béhavioriste (le «fait brut»), alors que c’est un préalable chez Ryle3. Et dans ce sens, elle se rapproche de «l’interprétation profonde»4 de Ricoeur où se joue la «plurivocité spécifique»5 des actions humaines, dont le principe réside dans le conflit des interprétations. Un glissement se produit dans l’usage de la distinction ryléenne, puisque l’on passe d’une approche descriptive à une procédure contradictoire où se mêlent les schèmes d’interprétation ; Ryle souhaite ordonner ce qu’il observe avec des niveaux de signification tandis que Geertz tire cette pratique vers le modèle de la confusion des langues6, sans toutefois renoncer à une hiérarchie des significations. Pour autant, il ne faut surtout pas imaginer que la description dense s’enfonce dans les méandres de la subjectivité ou de l’intime, la profondeur n’est pas de cet ordre-là7. A ce propos, Paul Ricoeur écrit: 1.C. Geertz, «La description épaisse. Vers une théorie interprétative de la culture» trad. A. Mary, Enquête, n° 6, 1998, p. 78. 2.Geertz naturellement conteste, contrairement à Ryle, l’idée même que l’on puisse observer un «fait brut» sans qu’intervienne une part d’interprétation. 3.André Mary justifie sa traduction du terme thick par «dense» en raison d’un déplacement de sens au fil du texte où l’on passe d’une multiplicité de strates de uploads/Litterature/ description-et-interpretation-chez-clifford-geertz.pdf

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