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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Dramaturgie et analyse dramaturgique » Bernard Martin L'Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n° 29, 2001, p. 82-98. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/041457ar DOI: 10.7202/041457ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 5 November 2016 09:48 Bernard Martin Université de Paris 8 Dramaturgie et analyse dramaturgique L e terme « dramaturgie », à l'œuvre aussi bien dans le domaine de la théorie que dans celui de la pratique théâtrales, désigne aujourd'hui tantôt au sens traditionnel l'activité de conception et de construction d'une œuvre dramatique, tantôt au sens contemporain l'activité d'un proche collaborateur du metteur en scène, dont la fonction globale est de jeter les bases du travail de plateau. Évolution du concept Dans le double champ de la réflexion et de l'activité théâtrales, le concept de dramaturgie a connu une évolution sémantique notable : depuis Aristote - et ré- cemment encore1 -, le terme se bornait à désigner la composition stylistique, structurelle et formelle, du texte dramatique - autrement dit « la construction du texte de théâtre » (Ubersfeld, 1996 : 33). Aujourd'hui, excédant ce cadre stricte- ment littéraire, il renvoie à une dimension du travail théâtral consacrée à « l'étude de l'écriture et de la poétique de la représentation » (p. 33). Ainsi, le concept a-t-il su prendre en considération la mutation de l'œuvre dramatique en un « texte spectaculaire », défini comme « le rapport de tous les systèmes signifiants utilisés dans la représentation et dont l'agencement et l'interaction forment la mise en scène » (Pavis, 1996 : 357). Le dramaturge est désormais celui qui « jette un pont entre l'écriture textuelle et l'écriture scénique [...], possède le langage propre à 1. La partie dictionnaire du cédérom de Y Encyclopedia Universalis, édition de 1996, fournit par exemple la définition suivante : « Techniques de composition et d'écriture de Part dramatique ». L'ANNUAIRE THÉÂTRAL, N° 29, PRINTEMPS 2001 DRAMATURGIE ET ANALYSE DRAMATURGIQUE 83 convertir l'une en l'autre » (Temkine, 1983 : 8); l'analyse dramaturgique est ap- préhendée comme une série ouverte d'investigations à partir du texte qui sera porté à la scène. Le concept, cependant, demeure fuyant et ses objectifs, vagues : « voilà une notion [...] sujette à autant d'interprétations, de variations, d'interrogations (ou de contestations, de rejets) qu'il y a de pratiques théâtrales et de points de vue théoriques », dit Olivier Ortolani (1986 : 7). Un avis partagé par Daniel Besne- hard : « Une fonction obscure [...] Autant d'expériences, autant de maisons, autant de dramaturges » (1983 : 38). Michel Bataillon estime quant à lui que la dramatur- gie « naît de la lecture, ou du travail studieux, ou de l'inspiration », mais qu'« elle prend corps sur scène, [...] est matérielle, [...] sensuelle » (1986 : 41). Pour Ber- nard Chartreux, elle constitue une « étape spéculative et conceptive d'un specta- cle - et pas seulement [une] étape purement reflexive : la dramaturgie d'un spectacle c'est aussi un moment de son invention » (1986 : 43). Jean-Marie Piemme élargit le champ d'action de la discipline, déclarant que « si la dramaturgie est cet ordre où tout signifie, on comprend que, du théâtre, elle englobe le texte, c'est évident, mais aussi le spectacle, son bâtiment, son rapport au public, sa mise en scène, son jeu, sa lumière, etc. [...] C'est pourquoi on peut parler de dramaturgie d'un texte, d'un spectacle déterminé [...], d'une dramaturgie de la scène à l'italienne ou même d'une disposition dramaturgique d'un théâtre dans l'espace architectural d'une ville » (1984 : 61). Eugenio Barba, centrant sa réflexion sur l'énergie de l'acteur, pense que la dramaturgie est fondamentalement « drama-ergon^ travail, mise en oeuvre des actions », qu'elle doit par conséquent englober tout le domaine des « actions en action », y compris celles qui ont un effet « sur l'attention du specta- teur, sur sa compréhension, sur son émotivité, sur sa cénesthésie » (1995 : 48). Le dramaturge est longtemps apparu sous la seule figure du dramatourgos (auteur de poèmes dramatiques) et l'activité dramaturgique fut exclusivement cen- trée sur la composition du texte dramatique selon les conventions d'écriture pro- pres à une époque donnée. Aristote jeta les bases de cette conception en recherchant, dans sa Poétique, « la manière dont il faut agencer les histoires si l'on souhaite que la composition soit réussie » (1990 : 85). Rejetant la notion de spec- tacle, « totalement étranger à l'art et [qui] n'a rien de commun avec la poétique, puisque la tragédie réalise son effet même sans concours et sans acteurs », il esti- mait que la composition devait avant tout être « belle », c'est-à-dire tendre à une 84 L'ANNUAIRE THÉÂTRAL mimesis2 en accord avec les lois et proportions de la nature : la création poétique devait ainsi se plier à des codes de référence reposant tant sur des principes philosophico-esthétiques jugés pertinents que sur des œuvres estimées irrépro- chables (en l'occurrence, celles de Sophocle et d'Aristophane). Ce principe fut largement repris à l'époque classique : dans La pratique du théâtre (1657) de l'Ab- bé d'Aubignac, dans les trois Discours (1660) de Corneille, dans la Poétique fran- çaise (1763) de Marmontel. L'argumentation développée par d'Aubignac est voisine de celle que Racine résumera dans sa préface de Britannicus (1669) : « une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour et qui, s'avançant par degrés vers sa fin, n'est soutenue que par les inté- rêts, les sentiments et les passions des personnages ». Jacques Scherer définit ce type de dramaturgie classique comme « l'ensemble des éléments [...] qui consti- tuent le fond de la pièce [...] ce qui en est le sujet pour l'auteur, avant qu'inter- viennent les considérations de mise en œuvre » (Scherer, cité dans Pavis, 1996 : 106). À une telle organisation interne, Scherer oppose la structure externe, la- quelle, « constituée davantage par des formes [...] qui mettent en jeu les modalités de l'écriture et de la représentation de la pièce » (p. 106), se révèle proche de l'objet actuel de la dramaturgie. Le terme désigne effectivement de nos jours un ensemble de procédures assi- milables à un travail d'analyse prospective visant la pratique scénique. Ce que les praticiens appellent le « travail à la table », constitue la phase liminaire de tout engagement dramaturgique. En amont même de cette mise sur table des problé- matiques inhérentes à la création scénique, la quête dramaturgique brasse nom- bre d'investigations d'ordre documentaire, relatives par exemple au contexte de production de l'œuvre, à l'auteur, à l'éventuelle intertextualité décelable entre son texte et les textes d'autres auteurs, etc. La recherche dramaturgique est appré- hendée comme un réseau à la fois lâche (atomisé) et serré (animé par une finalité clé) de réflexions « nourricières » introductives au travail de plateau : elle modèle progressivement un corpus ouvert, qui jouera le moment venu un rôle d'embrayeur pour l'agencement in situ de la partition spectaculaire. Aujourd'hui encore ces deux acceptions coexistent. Force est cependant de constater que le « producteur » du texte écrit est désormais le plus souvent nommé auteur dramatique, tandis que la dramaturgie en tant que composition 2. Dans la Poétique, la production artistique (poiesis) est définie comme imitation (mimesis) de Tac- tion (praxis). Aristote fait ainsi de la mimesis le mode de production fondamental de l'art. DRAMATURGIE ET ANALYSE DRAMATURGIQUE 85 littéraire est appelée écriture dramatique. Les Allemands ont su lever l'équivoque en se dotant de deux termes : der Dramatiker (l'auteur) et der Dramaturg (le « con- seiller » prenant en charge la réflexion sur l'œuvre). C'est avec La dramaturgie de Hambourg de Lessing (1729-1781) que le con- cept a pris son sens moderne. L'ouvrage, rédigé en 1767-1768 sous forme de chro- nique régulière alors que Lessing était Theaterdichter (poète de théâtre) au Théâtre national de Hambourg, se présente comme un recueil de critiques théâtrales (por- tant sur 104 représentations) accompagnées de réflexions théoriques. La critique exercée par Lessing vise davantage l'objet spectaculaire que l'œuvre textuelle : « cette dramaturgie a pour finalité de tenir un registre critique de toutes les pièces donnant lieu à représentation, et d'accompagner chaque pas que l'art, aussi bien celui de l'auteur que celui de l'acteur, fera ici » ([1767] 1885). Le dramaturge, s'élevant contre les opinions alors prépondérantes de Gottsched3, désirait déli- vrer le théâtre allemand de l'imitation de la scène française et proposer des for- mes inédites d'écriture et uploads/Litterature/ dramaturgie-et-analyse-dramaturgique.pdf
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- Publié le Fev 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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