Présentation de l’éditeur Pourquoi, à l’époque de l’ordinateur, s’intéres- ser

Présentation de l’éditeur Pourquoi, à l’époque de l’ordinateur, s’intéres- ser à l’écriture manuscrite ? Pourquoi redoubler la masse des textes littéraires par celle des notes, plans, brouillons rédactionnels et autres docu- ments de genèse ? Parce que le manuscrit, loin de n’être que support de signifiants graphiques figés, est aussi espace d’inscription, lieu de mémoire, trace d’un processus qu’il est possible de recons- truire. Comprendre comment un projet mental ou un vague désir d’écrire se transforment, moyen- nant élaborations et accidents, relances et im- passes, en texte, voire en œuvre ; expliquer com- ment l’analyse des manuscrits de genèse ouvre à une nouvelle dimension de la littérature : voilà le propos de ce livre. Se voulant à la fois état des lieux et réflexion théorique, l’ouvrage s’adresse à deux types de lecteurs. D’une part, aux jeunes chercheurs désireux de s’initier à la critique génétique, d’autre part aux chercheurs confirmés, littéraires ou non, prêts à débattre de l’hypothèse génétique. Plus généralement, et sans nier pour autant l’existence de formes achevées, l’entreprise participe d’un mouvement de pensée qui fait place au possible, au multiple, à l’ambivalent et à l’inachevé. Ce livre est la réédition d’un ouvrage paru en 1994 et devenu depuis longtemps un des ouvrages de référence dans le domaine de la génétique littéraire. Almuth Grésillon est directeur de recherche émérite au CNRS, où elle a dirigé de 1986 à 1993 « l’Institut des Textes et Manuscrits modernes ». Auteur, entre autres, de La Mise en œuvre. Itinéraires génétiques (2008), Genèses théâtrales (en collab., 2010), Genèses musicales (en collab., 2015). Elle est directeur de la revue Genesis. Almuth Grésillon Éléments de critique génétique Lire les manuscrits modernes CNRS ÉDITIONS 15, rue Malebranche – 75005 Paris La première édition de cet ouvrage a été publiée en 1994 par les Presses universitaires de France © CNRS Éditions, Paris, 2016, pour la présente édition. ISBN : 978‑2-­ 271‑08967‑0 ISSN : 0242-7206 pour Louis Hay Avant-­ propos à la réédition Ce texte paru en 1994 aux Presses universitaires de France a pris place au fil du temps parmi les ouvrages de référence pour le domaine des études génétiques. En témoignent entre autres les traductions en allemand (en 1999, chez Peter Lang) et en portugais (en 2007, à Porto Alegre (Brésil), UFRGS Editora). La version française étant épuisée depuis de longues années, les Éditions du CNRS ont accepté d’en assurer une nouvelle édition. Plus de vingt ans après, la tentation était grande – génétique oblige ! – de remettre sur le métier le texte original, de le mettre à jour, de le corri‑ ger ou de l’enrichir, bref, d’y intégrer les changements, déplacements et découvertes qui se sont produits en critique génétique dans l’intervalle. En vérité, cela aurait abouti à un autre livre. Or, l’édition de 1994 continue à faire référence, même si certaines positions (par exemple sur les techniques éditoriales) ont inévitablement pris de l’âge. J’ai donc choisi d’assumer entièrement le texte de 19941, d’autant que mon ouvrage plus récent, La Mise en œuvre. Itinéraires génétiques, paru en 2008, également chez CNRS Éditions, s’inscrit explicitement dans le prolongement de ce premier texte, avec lequel il forme une unité. Il me reste à remercier chaleureusement Paolo D’Iorio (directeur de l’Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-­ ENS) pour avoir solli‑ cité cette nouvelle édition, ainsi que CNRS Éditions pour l’avoir réalisée. Je suis également reconnaissante à Daniel Ferrer et à Pierre-­ Marc de Biasi de m’accueillir une fois de plus dans leur collection « Textes et Manuscrits ». Paris, mai 2015. 1. Seule – et toute légère – exception : dans la « bibliographie générale », j’ai jugé utile d’insérer un choix des titres les plus importants parus entre 1993 et 2015. Ouverture « Les sentiers de la création ? […] Ces sentiers, quels pourraient-­ ils être, sinon ceux que commence déjà à nous ouvrir, nous frayer notre plume : ceux de notre écriture. Et il va falloir que ce soient ceux que pourra suivre, emprunter – on disait mieux anciennement, ceux que pourra tenir votre lecture. […] Mais comment seulement puis-­ je écrire ? par des mots. Quels mots ? Ceux, tout à la fois, que ma hardiesse me porte, m’incite à tracer, écrire, et que mes scrupules me permettent d’écrire, de tracer. » Francis Ponge Si vous demandez à un libraire où trouver des ouvrages de « genèse textuelle » ou de « critique génétique », il risque de vous induire en erreur en vous orientant vers les rayons de théologie ou de biologie. Certes, la genèse biblique et la génétique des sciences de la vie concernent, tout comme la critique génétique littéraire, des questions de naissance, d’émer‑ gence et d’élaboration, des lois de développement et de transmission (du monde, du vivant, ou des œuvres), et de ce point de vue, il y a un rap‑ port entre un récit cosmogonique comme celui de l’Ancien Testament1, le code génétique de la biologie moléculaire et le domaine de la critique génétique auquel est consacré le présent ouvrage. Il y va à chaque fois du cheminement complexe qui conduit de l’informe et de l’indistinct à des formes organisées. De manière plus symptomatique cependant que cette vague parenté, le mauvais aiguillage du libraire révèle que la critique géné‑ tique n’est pas encore une discipline universitaire, reconnue et cataloguée comme telle. Elle nécessite le détour par une métaphore ou une connotation. Traquer le devenir d’une œuvre en étudiant les traces écrites de sa genèse, c’est, mutatis mutandis, recréer le monde, c’est faire comme Dieu-­ le-­ père ou comme le biologiste qui explore les lois du vivant. Statut précaire d’un domaine en voie de constitution, mais aussi, et pour cette raison même, objet de désirs et d’enjeux théoriques. 1. Pour les divers mythes cosmogoniques, voir l’ouvrage magnifiquement illustré de Jacques Lacarrière, Le Livre des genèses, Paris, Philippe Lebaud édi‑ teur, 1990. Et pourtant, la critique génétique a progressivement défini son objet propre : les manuscrits de travail des écrivains en tant que support matériel, espace d’inscription et lieu de mémoire des œuvres in statu nascendi ; et elle a mis au point ses méthodes et ses finalités. Si elle ne dispose pas d’un modèle théorique autonome, elle a, à coup sûr, modifié le paysage du champ littéraire. Le présent ouvrage propose à la fois un « état des lieux » et des réflexions ouvrant la voie à une élaboration théorique. Reflet d’une situation de la recherche et en même temps prise de position personnelle, il s’adresse à deux types de lecteurs. D’une part, aux jeunes chercheurs dési‑ reux de se familiariser avec un champ qui reste malgré tout d’une grande sophistication et d’un accès souvent difficile ; à eux sont destinés les survols historiques, les tentatives de définition, les descriptions méthodologiques et la bibliographie générale. D’autre part, le livre entend également s’inscrire dans la recherche vivante et susciter la confrontation avec d’autres courants de la recherche littéraire. Engagé dans les débats actuels (ce qui ressort des nombreuses notes en bas de page2), il en partage les incertitudes théoriques, les enjeux contradictoires, bref, tout ce qui caractérise un domaine jeune, dont il peut toujours paraître prématuré de vouloir esquisser une synthèse. D’autres réflexions, en cours de rédaction ou d’impression, viendront sans doute moduler, corriger, infirmer, confirmer et, en tout cas, enrichir ce qui est présenté ici. Les choix au niveau des écrivains cités, des méthodes exposées et des faits d’histoire culturelle témoignent d’un parcours biographique : si, à côté des phénomènes spécifiquement français, je privilégie les exemples alle‑ mands, si, parmi les modèles interprétatifs du quatrième chapitre, j’accorde une place de choix aux processus langagiers, ce sont les reflets de mes origines comme de mes navigations entre deux langues et deux cultures, ce sont aussi les échos de mes années d’études littéraires en Allemagne et de formation linguistique en France. Enfin, toutes ces pages consacrées aux manuscrits littéraires sont le fruit de vingt ans de recherches que le CNRS m’a permis de conduire. La critique génétique a choisi de travailler essentiellement sur les manuscrits modernes. Le deuxième chapitre indique les raisons de ce choix. Quand il est question, dans ce livre, d’écriture littéraire, c’est alors à une 2. Les notes en bas de page contiennent des références bibliographiques com‑ plètes. Pour des raisons de simplicité de la lecture et au risque de répéter exhaus‑ tivement certaines références, nous faisons un usage minimal des mentions « op. cit. » ou « article cité ». Tous les titres bibliographiques qui figurent en bas de page ne sont pas nécessairement repris dans la bibliographie générale ; tous les titres de la bibliographie générale ne sont pas nécessairement cités dans le corps de l’ouvrage. Éléments de critique génétique 8 certaine conception de la littérature qu’il est fait référence et qui est celle de la modernité. Cette conception, pour le dire rapidement, suppose réflexivité (le texte et le manuscrit comme traces d’un rapport à soi et comme mise en scène de l’écriture) et transgression (le manuscrit dans sa tension entre la reproduction d’un savoir et uploads/Litterature/ elments-gressillon-pdf 2 .pdf

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