Revue de l’histoire des religions 1 (2006) Varia ..............................
Revue de l’histoire des religions 1 (2006) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Hilário Franco Júnior Entre la figue et la pomme : l’iconographie romane du fruit défendu ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Hilário Franco Júnior, « Entre la figue et la pomme : l’iconographie romane du fruit défendu », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 1 | 2006, mis en ligne le 18 janvier 2010, consulté le 13 octobre 2012. URL : http:// rhr.revues.org/4621 Éditeur : Armand Colin http://rhr.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://rhr.revues.org/4621 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. T ous droits réservés Revue de l’histoire des religions, 223 - 1/2006, p. 29 à 70 HILÁRIO FRANCO JÚNIOR Université de São Paulo, Brésil Entre la figue et la pomme : l’iconographie romane du fruit défendu Longtemps accaparées par l’histoire de l’art, les sources iconographiques ont, à peine récemment, commencé à montrer leur potentialité explicative pour d’autres domaines historiques, y compris celui des religions. En effet, elles permettent d’intéressantes réflexions tant sur les questions d’exégèse savante que sur celles de croyances populaires. On essaye ici d’en donner l’exemple à travers l’iconographie romane du fruit défendu. L’examen d’un vaste corpus d’environ trois cents images suggère que le choix de la figue dans ce rôle a eu pour origine un rapport analogique avec le foie, de la même nature que celui existant entre la pomme et le cœur. Les relations ainsi mises en lumière dévoilent toute une couche profonde des sensibilités collectives médiévales. Between the Fig and the Apple : The Forbidden Fruit in Romanesque Iconography Long monopolized by art history, iconographic sources have only recently begun to reveal their explicative potential for other fields of history, included the history of religions. They can indeed inspire interesting reflections, whether on questions of learned exegesis or on matters of popular belief. This article seeks to illustrate this, using Romanesque iconography of the forbidden fruit. Studying a vast corpus of some three hundred images, it would appear that when the fig is chosen for this role, there is an analogical relation with the liver, of the same nature as that existing between the apple and the heart. The relations thus brought to light reveal a deep-seated aspect of the medieval collective sensibility. 30 HILÁRIO FRANCO JÚNIOR Le mythe du péché originel a fortement séduit les chrétiens d’Europe occidentale au Moyen Âge central. Cette force de séduction, il la devait, comme tous les mythes, à sa force explicative, à la réponse qu’il apportait à de nombreuses questions existentielles. D’une part, les hommes du Moyen Âge voyaient en lui le début de toutes les limi- tations et de toutes les faiblesses de la nature humaine, qu’elles fussent physiques (la petite taille, la menstruation, la calvitie, les maladies, la mort) ou morales (l’orgueil, la malhonnêteté, la concupiscence, l’envie). D’autre part, il expliquait et justifiait un phénomène social essentiel pour l’époque : l’infériorité de la femme. Alors que, pendant les dix premiers siècles du christianisme, la représentation du péché originel s’était concentrée sur les sarcophages (surtout aux IVe et Ve siècles) et sur les croix des cimetières (en particulier aux IXe et Xe siècles), ce qui probablement provenait de la vision pessimiste du christianisme de la période, les choses changèrent après l’an mille. Parallèlement à la réorganisation sociale connue sous le nom de féodalité, le christianisme occidental déplaça sa visée de Dieu le Père vers Dieu le Fils. L’Incarnation devint l’événement historique central, valorisant ainsi le récit de l’histoire d’Adam, le personnage qui avait rendu nécessaire le sacrifice du Christ. Les thèmes adamiques gagnèrent beaucoup en importance dans la théologie, la littérature et surtout l’iconographie. Selon notre inventaire, forcément toujours provisoire, on connaît en Europe occidentale environ quatre cents images des primi parentes des premiers temps du christianisme jusqu’à la fin du Xe siècle, et plus de deux mille du XIe au XIIIe siècle. En ne considérant que les représentations romanes sur les territoires de l’Espagne, de la France et de l’Italie actuelles, nous avons compté plus de huit cents images, dont un tiers concernent le péché originel. Ces images se révèlent une source très riche pour l’historien, car de leur corpus émerge tout un ensemble de valeurs sociales, culturelles, théologiques et psychologiques de l’époque. Même quand s’agit d’un objet d’étude restreint, par exemple le fruit défendu1. 1. Pour ce qui concerne les questions méthodologiques de la construction et l’analyse d’un corpus iconographique, de bonnes réflexions sont faites par Jérôme Baschet, « Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie », Annales HSS, 51, 1996, pp. 93-133. ENTRE LA FIGUE ET LA POMME 31 La consommation du fruit défendu était l’acte fondateur de l’exil humain sur la Terre. Son identification constituait donc un enjeu important pour les hommes du Moyen Âge. On spéculait beaucoup sur sa nature exacte, et l’iconographie ne resta pas à l’écart de ce questionnement. Souvent, on représentait un fruit indéfini, à l’instar du texte biblique2. Quelquefois, cette imprécision conduisait à un mélange de caractéristiques : dans les sculptures de la cathédrale de Gérone et de l’église Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand (figure 1), les feuilles de l’arbre défendu sont celles du figuier, mais le fruit est le raisin ; la célèbre Ève d’Autun cache sa nudité par une feuille de vigne, tout en cueillant une pomme, et le même rapport entre la vigne et la pomme se retrouve à Amandi (Asturies) ; sur un chapiteau de Corbie, Adam semble tenir une pomme, tandis que de l’arbre pendent des grappes de raisin ; sur le chapiteau de Cluny qui représente les fleuves du Paradis, la face orientale représente une vigne, l’occidentale un figuier, la septentrionale un pommier. Comme l’ouest (direction où le soleil se couche, lieu de la mort, « occident » dérivant comme l’on sait d’occidere : « tomber », « mourir ») et le nord (l’inconnu, le froid, la source du Mal3) avaient des connotations symboliques négatives, l’arbre défendu pourrait être ici le figuier ou le pommier. Généralement, l’iconographie accomplissait son rôle exégétique et proposait une solution à l’énigme. Tantôt il pouvait s’agir d’un épi de blé, comme sur un chapiteau de San Pedro de Roda (aujourd’hui au musée de Cluny), suivant en cela une interprétation rabbinique4, tantôt d’une olive, comme sur la fresque de Saint-Plancard5, option 2. Genèse, II, 16-17 ; III, 1-12. 3. Jérémie, I, 14. Jérôme, Expositio quattuor Evangeliorum, Patrologia Latina (PL), t. XXX, col. 549 d-550 a. 4. Midrach Rabba, Genèse, XV, 7, trad. Bernard Maruani et Albert Cohen- Arazi, Paris, Verdier, 1987, t. I, p. 183 ; Génesis Rabbah I (Génesis 1-11), trad. Luis Vegas Montaner, Estella, Verbo Divino, « Biblioteca Midrasica », 1994, pp. 188-189. 5. D’après l’interprétation de Marcel Durliat, Pyrénées romanes [1969], 2e éd., La-Pierre-Qui-Vire, Zodiaque, 1978 (coll. « La Nuit des temps », 30), p. 42. 32 HILÁRIO FRANCO JÚNIOR toutefois bien plus rare, car fréquemment l’olivier était considéré par les juifs et les chrétiens comme l’arbre de la vie6. Plus souvent, on avait pensé à la vigne, aussi bien en Espagne (chapiteau de la cathédrale de Gérone) qu’en France (chapiteaux de Deuil, de Sainte- Geneviève de Paris, de Saint-Sernin de Toulouse7, de Vézelay et de Notre-Dame-du-Port : figure 1). Il faudrait, afin de pouvoir connaître les raisons du choix de la vigne, analyser chaque cas particulier, mais l’on peut penser en général qu’il se fondait sur une tradition hébraïque répandue8. Prenons l’exemple de Gérone, ville où l’influence juive semble incontestable. Nous savons qu’au moins depuis 1160, existait là une « rue des Juifs », et que la pièce la plus importante du trésor de la cathédrale, la célèbre tapisserie de la 6. Vita Adae, 36-42 : « The “Vita Adae” », éd. J. H. Mozley, The Journal of Theological Studies, 30, 1929, pp. 139-142 (manuscrits anglais) ; « La Vie latine d’Adam et Ève », éd. Jean-Pierre Pettorelli, Archivum latinitatis Medii Aevi, 56, 1998, pp. 55-57 (manuscrits allemands). 2 Henoc 22:8 : Slavonic Apocalypse of Enoch, trad. Francis I. Andersen, in James H. Charlesworth, éd., The Old Testament Pseudepigrapha, Londres, Darton, Longman & Todd, 1983-1985, 2 vol., t. I, pp. 138-139. L’Évangile de Nicodème, 19, éd. André Vaillant, Genève, Paris, Droz, 1968, pp. 59-61. 7. Dans ce cas, le chapiteau de la porte Miègeville, vers 1100-1118, ne montre pas la scène du péché, mais celle de l’expulsion du uploads/Litterature/ entre-la-figue-et-la-pomme-pdf.pdf
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- Publié le Oct 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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