Sociétés n° 106 — 2009/4 Dossier DE DÉDALE À BATMAN. ÉTUDE SUR UN IMAGINAIRE CO
Sociétés n° 106 — 2009/4 Dossier DE DÉDALE À BATMAN. ÉTUDE SUR UN IMAGINAIRE CONTEMPORAIN : LES SUPER-HÉROS Aurélien FOUILLET * Résumé : Les super-héros font partie de la culture populaire occidentale depuis plus de 70 ans. Ils sont nés aux États-Unis et ont été porteurs d’un idéal social et d’une vision par- ticulière du monde. Mais au-delà de cette récupération politique, il semble qu’ils participent aujourd’hui de ce réenchantement du monde caractéristique de la postmodernité. Il s’agit ici d’étudier dans quelle mesure les comic books incarnent une mythologie contemporaine. Dans un premier temps, nous étudions la figure du super-héros. Puis, nous nous attardons sur la structure mythique des comics books. Enfin, il s’agit d’étudier plus spécifiquement la figure de la ville telle qu’elle est développée et utilisée. Mots clés : super-héros, comics books, mythologie, symbolisme, imago mundi, postmo- dernité. Abstract: : Superheroes have been an integral part of pop culture in occident for more than 70 years. Ever since they were first created in the U.S.A., superheroes have brought a distinctive world vision as well as a new social ideal. Despite the political hijacking, it seems today that they are a matter for the re-enchantment of the world by which postmo- dernity is characterized. Our goal is to study in which way the comic books embody a cer- tain contemporary mythology. Firstly we must consider the figure of the Super-Hero as it is. Secondly we’ll focus on the mythical structure of comics books and lastly we’ll pay spe- cific attention to the figure of the city see how they are developed and how they are used. Keywords : superheroes, comics books, mythology, symbolism, imago mundi, postmo- dernity. * Chercheur au CeaQ, responsable du GEIST et coresponsable du GESCOP. Ses thé- matiques de recherche sont : les jeux, l’imaginaire, le risque et les problématiques éthiques. aurelien.fouillet@ceaq-sorbonne.org DOI: 10.3917/soc.106.0025 26 De Dédale à Batman. Étude sur un imaginaire contemporain : les super-héros Sociétés n° 106 — 2009/4 Les super-héros, tels que nous les connaissons aujourd’hui naissent au début des années 1930 aux États-Unis. Ainsi, le premier d’entres eux, The Shadow, est né en 1931 et sera une des inspirations de Bob Kane lors de la création de Batman. Il sera suivi par le célèbre Dick Tracy. Viendront alors Superman en 1938, Batman en 1939, Captain America et Robin en 1940. C’est la première vague de création de super-héros. Il y en aura une seconde dans les années 1960 : les Fantastic Four apparais- sent pour la première fois en 1961, Hulk, Thor et Spiderman en 1962, Daredevil, Ironman et les X-Men en 1963, pour les plus connus. Puis, dans les années 1980, une nouvelle génération de scénaristes et de des- sinateurs fera son apparition et renouvellera le genre. Les plus célèbres étant Frank Miller (Dark Knight Returns et Sin City), Grant Morrison (Les Invisibles) ou encore Alan Moore (Suprême et La Ligue des gentlemen extraordinaires). Ils puiseront leur inspiration au-delà de l’univers des comic books, et ouvriront ce monde « clos » sur le passé, le présent et l’avenir. On verra également les super-héros intégrer les médias de masse : le cinéma et la télévision. Le premier opus des films de Superman sortira en 1978. Puis vien- dra le Batman de Tim Burton en 1989. Et la vague de films que nous connaissons depuis quelques années avec les différents volets de Batman, Hulk, la trilogie X-Men, etc. Viennent aussi les différentes adaptations télévisées telles que Loïs et Clark, Batman et Robin, Wonder Woman, et tous les dessins animés adaptés des X-Men ou de la Justice League of America. Ainsi, les super-héros font partie de notre imaginaire depuis près de 70 ans. Et les trois phases de création/renouvellement de cet univers correspondent, à peu de choses près, à trois générations distinctes (tous les trente ans). Les comic books, à la croisée de la science fiction, de l’épopée et de la mytho- logie, sont un lieu d’expression privilégié des mutations que connaissent nos socié- tés. Ils sont à la fois espace d’expérimentation (cités imaginaires, gadgets) et espace d’expression de grandes thématiques mythiques (métamorphose, justice, tragédie humaine). Ce sont des symboles. Et, comme l’écrit Henri Corbin, « le symbole… n’est jamais expliqué une fois pour toutes, mais [il est] toujours à déchiffrer de nou- veau, de même qu’une partition musicale n’est jamais déchiffrée une fois pour tou- tes, mais appelle une exécution toujours nouvelle »1 . On comprend dès lors pourquoi chaque génération s’est réappropriée les dif- férentes figures de super-héros. L’étude systématique et l’analyse exhaustive de l’imaginaire des comic books demanderaient un exposé trop long pour être présenté ici. C’est pourquoi nous avons choisi de n’exposer qu’un nombre d’aspects limités caractéristiques des comics books et de la figure des super-héros. 1. H. Corbin, cité in Durand (1964, 2008), p. 16. AURÉLIEN FOUILLET 27 Sociétés n° 106 — 2009/4 Dans un premier temps nous nous attacherons à montrer en quoi l’on peut rapprocher la figure du super-héros de la notion de symbole. Nous chercherons alors à montrer la structure et la fonction mythique de ces symboles. Enfin, nous étudierons plus particulièrement l’imaginaire de la ville dans les comics books con- temporains. Les super-héros comme symboles Une corrélation peut être établie entre la mythologie grecque – et plus particulière- ment son panthéon héroïque – et les différentes figures de super-héros auxquels le vingtième siècle a donné naissance. Il ne s’agit pas de dire ici que ces héros revê- tent les habits des dieux, mais plutôt qu’ils portent en eux une fonction mythique et une fonction symbolique qui sont propres à l’imagination humaine. La plupart des super-héros représentent un destin, un fatum. Au cours de notre recherche, nous avons pu remarquer deux cas de figures, deux forces de symboli- sation, deux archétypes : les héros possédant des facultés hors normes dès leur naissance (Superman, par exemple) et les héros ayant acquis leurs pouvoirs ou ayant choisi de s’engager comme héros (Batman, par exemple). Dans le premier cas, le héros porte en lui, et ce depuis sa naissance, le poids de ses pouvoirs. C’est le cas d’Hercule chez les Grecs, et de Superman qui en est aujourd’hui l’exemple typique. D’origine extraterrestre, celui-ci est recueilli enfant par une famille de fermiers texans qui l’élèveront dans des idéaux de justice et de morale bien définis. Les deux créateurs du héros Superman ont, à l’origine, créé un récit illustré, The Reign of The Super-Man (le règne du surhomme), présentant l’histoire d’un homme doué de pouvoirs surhumains et les mettant à son propre profit. Ils créèrent ensuite le personnage de Superman tel que nous le connaissons. Le surhomme alors représenté par cette figure est le garant de l’ordre du monde et de la justice. On ne peut s’empêcher de voir ici l’incarnation d’une certaine vision de l’Amérique comme garante de l’ordre mondial, une vision qui sera confirmée par le personnage de Captain America. Dans le second cas de figure, le héros acquiert ses pouvoirs à la suite d’un épi- sode tragique, comme c’est le cas pour Wolverine (qui est le résultat d’une expé- rience militaire) ou pour Spider-Man (qui s’engagera dans la lutte contre les super- vilains à la suite de la mort de son oncle) ou encore pour Batman (qui, suite à l’assassinat de ses parents, choisira de lutter contre le crime). Ce second type de héros est beaucoup plus ambivalent et navigue constamment entre la justice et la vengeance. Le personnage de Batman est paradigmatique de ce type de héros, notamment par son choix d’incarner une chauve-souris, c’est-à-dire d’incarner sa propre peur et de terrifier ainsi ses ennemis. La justice de Batman est toujours tein- tée de vengeance. De plus, dans l’ombre de l’héroïsme, de la figure de la justice, se cachent très souvent les problématiques de la monstruosité et de l’anomie. Être un super-héros, c’est se mettre hors la loi, mais c’est aussi assumer une double identité et se retrouver 28 De Dédale à Batman. Étude sur un imaginaire contemporain : les super-héros Sociétés n° 106 — 2009/4 en marge. Des comic books tels que Civil War, Watchmen, ou encore The Twelve, développent particulièrement cette problématique anomique liée au super-héros. Dans The Twelve, il s’agit de super-héros de la Seconde Guerre mondiale se trou- vant projetés dans le monde contemporain. Il s’agit alors de présenter leur inadap- tation à cette réalité qui les dépasse. On retrouve aussi une thématique importante des Teen Comics qui est parti- culièrement flagrante chez Spider-Man. En effet, Peter Parker est un adolescent rejeté par ses camarades. En devenant Spider-Man, il acquiert une certaine noto- riété et assume alors bon nombre de choses qu’il n’oserait pas faire en tant que Peter Parker. Au-delà de la figure du héros, Spider-Man représente toutes les trans- formations du corps et de la personnalité auxquelles sont confrontés les adolescents. On retrouve également cela chez les X-Men, qui sont des adolescents mutants et qui représentent la prochaine évolution de l’humanité. On pourrait aussi dire que Batman est doué de la mètis grecque, c’est-à-dire de cette ruse qui est double. uploads/Litterature/ foulliet-de-dedale-a-batman.pdf
Documents similaires
-
17
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1601MB