MÉMOIRE ADRESSÉ PAR JOSEPH DE MAISTRE AU DUC FERDINAND DE BRUNSWICK-LUNEBOURG G
MÉMOIRE ADRESSÉ PAR JOSEPH DE MAISTRE AU DUC FERDINAND DE BRUNSWICK-LUNEBOURG Grand-Maître de la Maçonnerie Écossaise de la Stricte-Observance A l'occasion du Convent de Wilhelmsbad (1782) 2 3 Celsissimo Principi Ferdinando de Brunswick, in Ordine Dilectissimo Fratri a Victoria, Viro Qui tanti mensuram nominis implens, Pacis artibus et Belli juxta insignis, Europam quam terruit armis, virtutibus illustrat, hoc de reformanda Liberorum-Latomorum Societate Tentamen, summi obsequii leve monumentum, D. D. D. Fratris titulo superbus, addictissimus servus, Comes Josephus-Maria M..., in ordine Frater J. M. a Floribus. Camberii Anno R. S. M. D. CC. LXXXII 4 Disciteque o miseri ! et rerum cognoscite causas ! Quid sumus ? Et quidnam victuri gignimur ?... Ordo Quis datus ?... Humana qua parte locatus es in re ? A PERS., Sat. [III, vv. 66-68, 72] (1) A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince de Brunswick MONSEIGNEUR, Si jamais on conçut un projet utile à l'humanité et capable d'illustrer un auteur, quand même le succès ne répondrait pas à l'espérance, c'est celui dont Votre Altesse Sérénissime nous fit part dans sa lettre circulaire du 14 septembre 1780. Porter l'ordre et la sagesse dans l'anarchie maçonnique, rassembler les membres épars d'une so- ciété de gens qui s'appellent frères et ne se connaissent pas; proposer à des hommes divisés par l'in- térêt, par la jalousie nationale, par les systèmes politiques, religieux et philosophiques, de se réunir, de s'entendre, de signer un traité éternel au nom du ciel et de l'humanité, c'est une entreprise sainte et magnifique, tout à fait digne de Ferdinand de Brunswick. Votre A. S. mérite trop les éloges pour les aimer. Qu'elle permette néanmoins qu'on lui exprime, quoique bien faiblement, les sentiments d'admiration et de reconnaissance dont nous a pénétrés la lecture de sa lettre circulaire. Le projet admirable qu'elle développe ne pouvait partir que de Votre A. S., et le génie qui en conçut le plan est seul capable de l'exécuter. Souffrez, Monseigneur, qu'on vous exhorte, au nom de tous les maçons qui ne déshonorent pas ce titre, d'employer pour le bonheur de l'humanité l'influence impérieuse que vous aurez nécessai- rement sur l'assemblée projetée. Sera-t-il dit que la Providence aura réuni en vain sur la même tête, la puissance, la sagesse et les lumières ? Non, Monseigneur ! On ose l'espérer. Servez-vous de vo- tre ascendant, réunissez toutes les volontés. Faites taire tous les préjugés. Si vous êtes arrêté par des obstacles imprévus, qui mieux que vous, Monseigneur, est fait pour les surmonter ? Secondé par le zèle de tant de frères respectables, triomphez des passions, des préjugés, de l'égoïsme national ou particulier, s'il osait se faire entendre, élevez enfin un monument qui mérite à Votre A. S. les béné- dictions de tous les âges. La Préfecture de Chambéry a déjà eu l'honneur de faire parvenir à Votre A. S. une réponse aux différentes questions sur lesquelles vous avez voulu, Monseigneur, recevoir l'avis de tous les Frè- res. Mais il est impossible que cette réponse, ouvrage de la multitude, réponde aux vues de quel- ques Frères plus heureux que d'autres, qui paraissent appeler à contempler des vérités d'un ordre supérieur, et qui n'ont pu s'expliquer librement dans une lettre rédigée de l'avis de tout le (2). Mais puisque le zèle de Votre A. S. l'a engagée à demander non seulement l'avis des sociétés mais celui de différents individus, j'espère qu'elle voudra bien permettre qu on lui présente ce faible écrit. Daignez, Monseigneur, le recevoir comme un monument de respect pour le Prince de Bruns- wick, d'attachement pour le Frère a Victoria et de zèle pour l'ordre entier. (1) Instruisez-vous, ô malheureux ! et apprenez les raisons des choses. Que sommes-nous ? Et pourquoi venons- nous au monde ? … Quel ordre a été donné ? … quelle est la place dans l'humanité ? (Perse, Satires). (2) Ici le manuscrit porte une croix gammée, qui signifie « Directoire Écossais ». 5 Qu'étions-nous ? Que sommes-nous ? Avons-nous des maîtres ? Devons-nous subsister ? Sous quelle forme devons-nous subsister ? Telles sont à peu près les questions que Votre A. S. a bien voulu soumettre à l'examen des Frères. Il n'existe peut-être pas de maçon un peu capable de réflexion qui ne se soit demandé une heure après sa réception : « Quelle est l'origine de tout ce que (je) vois ? D'où viennent ces cérémonies étranges, cet appareil, ces grands mots, etc. ? » Mais après avoir vécu quelque temps dans l'ordre, on fait d'autres questions : « Quelle est l'origine de ces mystères qui ne couvrent rien, de ces types qui ne représentent rien ? Quoi ! des hommes de tous les pays s'assemblent (peut-être depuis plu- sieurs siècles) pour se ranger sur deux lignes, jurer de ne jamais révéler un secret qui n'existe pas, porter la main droite à l'épaule gauche, la ramener vers la droite et se mettre à table ? Ne peut-on extravaguer, manger et boire avec excès sans parler d'Hiram, du temple de Salomon et de l'Étoile Flamboyante ? etc., etc... » Ces questions sont très naturelles, très sensées. Malheureusement, on ne voit pas que l'histoire, ni même la tradition orale ait daigné répondre. Notre origine est toujours couverte d'épaisses ténè- bres et tous les efforts des frères bien intentionnés pour éclaircir un fait aussi intéressant ont été jusqu'à présent à peu près inutiles. Depuis quelques années on a taché de nous montrer sous l'enve- loppe des allégories maçonniques les vicissitudes de l'ordre des T[empliers]. A cet égard, il est bon de rappeler un axiome qui paraît incontestable en fait de types et d'allégories, c'est que le type qui représente plusieurs choses ne représente rien. Il y aurait des choses infinies à dire sur le caractère des vraies allégories, et sur l'excès de déraison où des écrivains d'ailleurs très estimables se sont vus entraînés par la fureur de chercher et d'expliquer des mystères. Mais il faut se restreindre, et l'on se contentera d'une seule observation. Le type d'Hiram est antérieur ou postérieur à la ruine des T[empliers]. Dans la première supposition ce n'est plus qu'une allégorie fausse, ou du moins arbi- traire et tiraillée, quant à l'ordre des T[empliers], et il faut chercher plus loin la vraie explication d'Hiram. Dans la seconde il n'est pas encore prouvé que nos cérémonies aient été réellement insti- tuées pour représenter ce fameux événement et en éterniser la mémoire, à moins que nous ne vou- lions tomber dans le sophisme populaire : Post hoc, ergo propter hoc. Et si nos cérémonies sont vraiment l'emblème des vicissitudes de l'ordre des T[empliers], il ne nous reste que le regret d'avoir été maçons ; car nous aurons employé dans ce cas notre temps et nos facultés d'une manière bien peu philosophique. Qu'importe à l'univers la petite aventure de Casal ? Et pour trancher le mot, qu'importe à l'univers la destruction de l'ordre des T[empliers] ? Le fanatisme les créa, l'avarice les abolit : voilà tout. Quant aux cruautés qui accompagnèrent ce coup d'autorité, il faut gémir sur cette page de l'histoire, comme sur presque toutes les autres. Mais il n'est pas impossible que des crimes réels de la part des T[empliers] aient fourni des prétextes plausibles à l'avidité de Philippe le Bel. Quoiqu'il en soit, s'il fallait instituer des sociétés pour déplorer périodiquement les grandes catas- trophes et les crimes fameux de l'autorité coupable ou égarée, la population de l'univers ne pourrait y suffire. Il paraît donc qu'on ne devrait pas être flatté de trouver l'origine de la Maçonnerie dans l'ordre des T[empliers]. Mais tout nous engage à croire que nos mystères tiennent à quelque chose de grand et de vraiment digne de l'homme. En faisant abstraction de cette multitude de grades faux ou même dangereux inventés par la fraude ou le caprice, qui pourrait n'être pas frappé de l'accord de tous les maçons sur les trois premiers grades de la Maçonnerie ? La licence et l'anarchie malheu- reusement introduites dans la plupart des (3) n'ont jamais pu effacer ces traits primitifs, et malgré le (3) Ici le manuscrit porte deux rectangles enchevêtrés, qui signifient « Loges ». 6 laps des temps, l'éloignement des lieux, la diversité des langues, ils sont toujours demeurés les mêmes à quelques légères différences près. Encore une fois l'on ne s'assemble pas, ou du moins, on ne s'est pas toujours assemblé pour répé- ter quelques formules évidemment ridicules si elles n'ont point de but. Certainement, l'on ose le dire, l'ordre n'a pu commencer par ce que nous voyons. Tout annonce que la Franc-Maçonnerie vulgaire est une branche détachée et peut-être corrompue d'une tige ancienne et respectable. Néan- moins, malgré les espérances dont la plupart des Frères se flattent à cet égard, on se croit obligé de mettre sous les yeux de Votre A. S. l'extrait d'un livre anglais imprimé depuis peu de temps et qui paraît jusqu'à un certain point contrarier ces espérances (4). L'auteur du livre cité dans la note (dont on n'a pu lire que cinq à six fragments dans les jour- naux) parle de l'état des arts en uploads/Litterature/ joseph-de-maistre-memoire-au-duc-de-brunswick.pdf
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- Publié le Nov 22, 2021
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