Les nouvelles thématiques et les mutations dans le théâtre noir africain franco

Les nouvelles thématiques et les mutations dans le théâtre noir africain francophone au détour du XXIème siècle (des années 90 aux années 2000) DAHOU Malika (1) Une nouvelle vague théâtrale voit le jour, de nouvelles écritures s’affirment avec des pionniers tels que Koffi Kwahulé, Kossi Efoui, Koulsy Lamko, Rodrigue Norman et José Pliya. Dans tous les cas, les pièces de ces dramaturges, quand bien même elles se réclament de la fiction, se situent, pour la plupart, à la frontière d’une étude sociologique et culturelle. Les réalités sociales sont leur matière. Plusieurs auteurs s’y mettent avec ironie, d’autres avec humour, d’autres encore avec un cynisme parfois provocateur dont les auteurs se défendent allègrement. Quand il s’agit de choisir un titre, de présenter les personnages ou d’avertir le lecteur, nous remarquons que certains dramaturges prennent de multiples précautions pour se protéger contre la censure. Même s’ils sont certains que l’avenir de leur pièce dépend uniquement de la lecture et du jugement d’un jury (au concours de Radio France) qui, a priori n’a pas d’autre censure à faire que celle qui est relative à la valeur littéraire de l’œuvre. D’abord morale et psychologique, cette vigilance se présente aussi de façon esthétique comme le montre Koulsy Lamko dans Ndo Kola ou l’initiation avortée (1988). Après avoir averti le lecteur qu’il évolue dans un univers culturel réel, celui du groupe ethnique Sara du Tchad, il prend soin d’expliquer le nom de chaque personnage. Explication littérale, symbolique et mythologique. Ce qui à l’évidence n’est pas superflu pour la lecture de la pièce. Il en est de même pour son petit guide phonétique et des détails qu’il apporte sur la complicité entre spectateurs et acteurs. Ce qui oriente davantage l’intérêt demeure le fait que l’auteur précise à juste titre qu’il ajoute ces éléments dans le sens du renforcement de la « communion autour de la tragédie ». Sans vouloir trop insister sur ces indications extérieures aux textes des pièces choisies, nous avons constaté qu’à partir de ces détails, certains projets des dramaturges se perçoivent mieux. Surtout une volonté d’être en harmonie ou en désaccord avec une tradition culturelle ou littéraire donnée. Ces précautions, au- delà de la banale prudence politique, ouvrent à un désir. Celui d’abandonner le confinement à un espace et à un temps pour se livrer et livrer l’œuvre à l’humanité, à l’universel. Ce projet- là est esthétique. 1- Les différents thèmes de l’engagement : Actuellement, la plupart des pièces, et cela est un fait notoire, abordent désormais des sujets qui, globalement, concourent à l’avènement dans les pays francophones de systèmes politiques démocratiques qui reconnaîtraient les libertés d’opinion et favoriseraient éventuellement la créativité intellectuelle, au détriment de la répression des écrivains. Le jury du Concours œuvre constamment dans ce sens. C’est bien ce que confirment les propos d’Alain Ricard : « L’attribution en 1989 à Kossi Efoui du Grand Prix du 16 ème Concours théâtral interafricain, pour sa pièce Le Carrefour, puis à nouveau en 1990 à Kangui Alem du Prix du Concours théâtral interafricain pour Chemins de croix, est venue récompenser deux très bons dramaturges engagés dans le processus de démocratisation au Togo et alors que l’un des deux était encore en prison ». Et il ajoute cette remarque assez saisissante : « K. Efoui et K. Alem ont chacun écrit des pièces portées par le mouvement étudiant au Togo et le jury a, sans doute, été sensible à la dynamique de leur écriture et a voulu, à sa manière, renforcer leur audience au pays, promouvoir en quelque sorte l’influence morale de la littérature. »(2) Quelquefois, le choix des thèmes, des personnages et des éléments dramaturgiques tient beaucoup de ce paramètre politique qui semble au cœur de l’engagement de plusieurs dramaturges. Une dynamique de dénonciation ainsi génère, dans plusieurs pays, un esprit de didactisme tel que cela se perçoit dans plusieurs œuvres. D’où le retour systématique des mêmes fictions, des mêmes personnages et aussi, en filigrane, des mêmes objectifs de création à savoir à la fois « distraire et instruire ». Le théâtre africain peut se réclamer d’être l’interprète d’une façon de vivre et de penser, d’agir et de réagir des peuples du continent noir dans sa partie subsaharienne. Ainsi, il part à la quête de l’universel avec ses thèmes et son esthétique. Du traitement multiforme des mêmes thèmes, nous sommes arrivée à l’introduction de sujets nouveaux, c’est un théâtre qui dépasse l’engagement politique national. Avec Cette vieille magie noire primée, le dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé investit le monde de la boxe et passe au peigne fin les enjeux économiques, financiers et les problèmes raciaux qui habitent cet univers. Une perception des choses qui, tout en s’appuyant sur la réalité, sort des sentiers battus. En effet, toute l’aventure se déroule à New York et l‘auteur de cette pièce s’est projeté aux Etats – Unis pour l’écrire. La lutte pour le respect des droits de l’homme, autre préoccupation universelle, se trouve au cœur de plusieurs œuvres dont Bintou (Koffi Kwahulé, 1997), le drame de l’excision dont Bintou est victime est le sujet de la diégèse réaliste de la pièce et n’est finalement que le symptôme d’une grave maladie qui menace les sociétés modernes : la violence d’une jeunesse délinquante. Le rite de l’excision est surtout la conséquence d’un désir qui mène jusqu’à la mort. Bintou finit par mourir et par se libérer des contraintes sociales hypocrites qui divisaient son âme rebelle : Se résigner à son sort en tant que femme se devant d’obéir aux us et aux coutumes de son pays ou de mener une vie libre et sans tabous comme elle l’espérait. Toutes ces intrigues qui se veulent empreintes d’universalisme délaissent la banalité, pour témoigner d’une réelle recherche esthétique. On leur reconnaîtra une certaine authenticité dans le jeu, avec des messages d’une violence plus élégante c'est-à-dire nettement maîtrisée. Cela confère à plusieurs de leurs personnages une force psychologique plus grande et des libertés de parole et d’action plus audacieuses Tout cela reste malgré tout enraciné, textuellement parlant, dans un environnement social qui sollicite en permanence les réalités africaines et mondiales. Le cœur de ce débat s’avère donc être une quête de l’universalité. Le proverbe dit « Nul n’est prophète en son pays ». Or, à lire certains textes, on peut être surpris par la manière dont leurs auteurs se projettent de façon implicite ou explicite dans l’avenir pour le prédire et le soumettre aux lecteurs et aux spectateurs. Ces approches de visionnaires qui renforcent la fonction didactique qu’on reconnaît au théâtre africain expliquent par la valeur de l’écriture dans la vie et l’univers des intellectuels. Sont – ils des « illuminés » qui ont l’avantage de pouvoir réfléchir et de consigner par écrit leurs idées, au lieu de prendre le risque de les exprimer ouvertement au péril de leur vie ? Nous avons expliqué que le dramaturge africain ne se sent pas en sécurité dans son travail compte- tenu du fait que les pouvoirs politiques et le public établissent en permanence des liens entre la signification des pièces et les intentions de l’auteur, voire des acteurs. Si cet état des choses présente de véritables inconvénients, l’un des avantages à en tirer sera juste de s’appuyer sur le présent pour avertir sur l’avenir. Certains auteurs le font sans aucun détour. D’autres y parviennent avec beaucoup de subtilité. Mais le résultat est le même : mettre la mémoire en éveil et la préparer à affronter et à apprécier à la fois le prévisible et l’imprévisible. 2- La quête identitaire : La plupart des recherches dramaturgiques des auteurs africains de cette dernière décennie s’inscrivent dans une quête identitaire. Ce théâtre contemporain se dresse contre tous « les intégrismes culturels », pour reprendre le mot de Koffi Kwahulé. Car ce théâtre ne se passe pas dans ce qu’il « aurait été », mais se pense en devenir, se pense « dans ce qu’il a à être pour une humanité chargée des images de Dallas, de Rambo, de Maradona, de Michael Jackson, du chômage, des missiles, de la conquête spatiale, de l’écoulement du Mur, de Mandela libre….. ». (3) Les dramaturges d’aujourd’hui revendiquent « une esthétique du danger face au pouvoir inquisiteur des normes qui sanctionnent et censurent l’imagination créatrice »,(4) c’est la liberté même qu’ils affirment, la liberté d’être à l’écoute du monde, la liberté d’une identité nécessairement plurielle et en devenir. : « Je me sens appartenir au monde entier, non plus seulement à ma tribu, mon pays. Et mon art, je le veux universel »,(5) déclare le dramaturge tchadien Koulsy Lamko. Cette quête de soi et de l’autre est au cœur du théâtre africain de cette dernière décennie, peut – être en est – elle le sujet fondamental. Espace de représentation, le théâtre se donne sans doute comme le lieu privilégié de cette interrogation sur soi. La recherche identitaire prend des formes diverses suivant les auteurs mais elle est suffisamment récurrente pour entraîner un réel questionnement. Prenons quelques exemples : Dans Tout bas…si bas,(6) la pièce de Koulsy Lamko, nous perçevons la quête identitaire à uploads/Litterature/ le-theatre-africain-du-xxe-sieclle.pdf

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