1 Colloque international « Les Russes en France en 1814 : des faits, des imagin
1 Colloque international « Les Russes en France en 1814 : des faits, des imaginaires et des mémoires » (Paris, 16-17 octobre 2014) Ce colloque, consacré au séjour des Russes en France en 1814, était organisé par le Centre de recherches sur l’histoire des Slaves de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Dans son exposé d’ouverture, Marie-Pierre Rey, son organisatrice, souligna le caractère asymétrique des représentations des événements du printemps 1814 dans les historiographies française et russe. Les Russes en France en 1814, ce n’est pas seulement la capitulation de Paris et la présence des vainqueurs (l’armée russe dans la capitale de la France après l’abdication de Napoléon), ce sont aussi les combats qui ont précédé la capitulation, la fameuse « campagne de France ». Or, même s’il est paradoxal, c’est un fait indubitable : les Français, alors qu’ils l’ont perdue, la jugent brillante, et ils expliquent la défaite de Napoléon par l’inégalité des forces en présence ; en revanche, les Russes, bien qu’ayant gagné, n’en parlent qu’à contrecœur. Dans les publications historiographiques soviétiques, l’habitude avait été prise d’en parler en termes négatifs (non pas une guerre « patriotique » et populaire, mais une bataille pour le prestige de l’empereur). Cette habitude n’a cédé la place en Russie que durant les deux dernières décennies : ce surprenant retournement fait l’objet du dernier exposé, qui clôt le colloque, prononcé par Julie Grandhaye. Mais ce colloque de 2014 n’a pas tant été consacré à l’histoire militaire qu’à l’histoire des pratiques sociales et culturelles. Les intervenants se sont proposé d’étudier la vie quotidienne à Paris durant l’occupation des troupes russes au printemps 1814, de préciser quelle influence cette occupation a exercée sur la littérature et les arts, sous quelles formes elle s’est inscrite dans la mémoire historique. Le premier exposé fut prononcé par Marie-Pierre Rey (université Paris I Panthéon Sorbonne) : « La campagne de France de 1814 et ses objectifs géopolitiques, sociétaux et culturels : une mise en perspective. » Son auteur souligna la diversité des objectifs que s’était fixés l’empereur Alexandre au printemps 1814. D’une part, Alexandre avait une claire conscience de l’obligation qu’il avait, afin d’instaurer une paix durable en Europe, d’abattre définitivement Napoléon et de le chasser sans coup férir du pouvoir ; d’autre part, il n’entrait pas dans son dessein de rendre la France exsangue, car il était de l’intérêt de la Russie de faire en sorte que ce pays puisse, comme devant, constituer un contrepoids à l’Angleterre et à l’Allemagne. En termes de géopolitique, Alexandre rêvait de redessiner le continent européen de manière à rétablir l’équilibre entre les Etats. Quant à la France, il voulait, sous l’influence de son précepteur Laharpe, y établir un régime constitutionnel, car il était convaincu que la France ne voulait plus de la monarchie absolue. D’ailleurs, sur la question du régime politique qu’il convenait de mettre en place dans la France postnapoléonienne, Alexandre hésita longtemps, et ne finit par se rallier à la restauration des Bourbons (pas en tant que monarques absolus, mais comme monarques constitutionnels) que sur l’insistance de Talleyrand. Mais les buts militaires, géopolitiques et politiques étaient loin d’être les seuls. L’intervenante insista sur le fait qu’Alexandre était très préoccupé par l’image de la Russie que les Européens conserveraient après son départ. Il souhaitait que la Russie leur apparaisse comme un pays civilisé, alors que la propagande napoléonienne ne se privait pas de représenter l’armée russe en campagne comme une horde de sauvages, ce que semblait étayer l’allure inhabituelle pour 2 des Européens des Cosaques, des Kalmyks et des Bachkires. C’est la raison pour laquelle Alexandre mit à profit son séjour à Paris pour combattre ces préjugés. Par exemple, il ne descendit pas au Palais, mais dans la résidence de Talleyrand, ceci afin d’opposer sa propre modestie à l’amour de Napoléon pour le luxe. Il ne permit pas que l’on détruisît la colonne Vendôme, bien qu’elle fût fondue avec des canons russes, pris par les soldats de Napoléon aux Russes et aux Autrichiens (on se contenta d’ôter de son sommet la statue de l’empereur des Français). Il posa pour le peintre Gérard et rendit visite à l’ex-impératrice Joséphine à la Malmaison : en un mot, il mobilisa toutes les ressources au service de sa « stratégie de la séduction », pour laisser durablement dans la mémoire des Français l’image d’une Russie, pays européen. Claude Muller (université de Strasbourg et institut d’histoire de l’Alsace) a donné le titre suivant à son exposé : « Sans difficulté majeure : l’invasion de l’Alsace par les Russes ». Il apparaît que non seulement la « campagne de France » dans sa totalité a été privée de l’attention des chercheurs, mais aussi, à l’intérieur de cette période, des zones entières ne sont pas étudiées. C’est le cas en particulier de la présence des troupes russes en Alsace. L’exposé mit en lumière un fait étonnant : en Alsace, il n’y eut pas à proprement parler de « campagne de France ». Bien entendu, les troupes russes, comme les troupes des autres pays membres de la coalition antinapoléonienne, sont bien entrées en Alsace, puisque, quand on vient de Moscou ou de Vienne, il est impossible d’éviter cette province ; et elles ont encerclé les 15 forteresses qui s’y trouvent (précisons que ce sont les Prussiens, et non les Russes qui furent les plus actifs parmi les assiégeants). Cependant, à la nouvelle de l’abdication de Napoléon le 6 avril 1814, les défenseurs des forteresses reçurent le droit de se rendre et s’en servirent, ce qui facilita considérablement la vie des deux parties en conflit. L’Alsace était une riche région agricole et à ce titre représentait une proie facile pour les pillards ; pourtant les habitants n’eurent pas à se plaindre particulièrement des Russes sur ce point, peut-être parce que les Alsaciens les comparaient aux Autrichiens, leurs vieux ennemis. C’est ainsi que les Russes restèrent dans leur mémoire comme les alliés les moins terrifiants et les plus disciplinés. Olivier Varlan (université Paris-Sorbonne), dans son exposé intitulé « Le Congrès de Châtillon : l’impossible diplomatie», s’intéresse à un événement connu du printemps 1814, mais qui n’a pas été étudié à fond: le congrès, qui s’est déroulé du 5 février au 19 mars, dans la ville française de Châtillon. Ce congrès se caractérisa principalement par le fait qu’aucune des deux parties, ni les Français, ni les Alliés, ne désirait vraiment obtenir un résultat concret, et que tous se contentèrent de faire traîner les choses. Le seul qui espérait sérieusement établir la paix grâce à ce congrès était Armand de Caulaincourt, ministre français des Affaires étrangères et ambassadeur de France en Russie de 1807 à 1811. Cependant, cet épisode fut une tentative essentielle, même si elle a échoué, d’écrire désormais l’histoire non plus avec des moyens militaires mais avec des moyens diplomatiques ; en un certain sens, pour les puissances alliées, le congrès de Châtillon apparut comme un répétition générale d’un autre congrès, celui de Vienne, qui se tiendra, lui, après la capitulation de Paris et l’abdication de Napoléon. L’exposé d’Olivier Varlan se concentra autour de deux grandes figures : Caulaincourt et le représentant de la Russie, le comte A.K. Razoumovski, le premier étant présenté comme un personnage positif, le deuxième, au contraire, étant fortement noirci par 3 l’intervenant. Le contenu du rapport officiel de Razoumovski sur le Congrès de Châtillon, qui est conservé dans les Archives de Politique Etrangère de la Fédération de Russie (AVPRF) à Moscou, a à ce point frappé Olivier Varlan par son ton sarcastique et par ses moqueries à l’adresse de Caulaincourt, que l’intervenant l’a plusieurs fois mentionné dans son exposé, tant est si bien qu’il finit par provoquer chez l’un des auditeurs présents le désir de prendre la défense de Razoumovski, qui, dans ses fonctions d’ambassadeur russe à Vienne, avait laissé le souvenir d’un « homme tout à fait comme il faut ». Dmitri Goutnov (université d’Etat de Moscou MGU) prononça un exposé intitulé « Le général V.F. Osten-Saken au poste de gouverneur général de Paris en 1814 ». Parcourant brièvement la carrière militaire de son héros, depuis le service au régiment de mousquetaires Koporski jusqu’au poste de commandant de corps d’armée et de général d’infanterie dans la guerre de 1812-1814, l’intervenant représenta avec moult détails très vivants la multitude de problèmes matériels auxquels Osten-Saken, dans l’exercice de ses fonctions de gouverneur général de Paris, apportait immanquablement des solutions. Comme Marie-Pierre Rey l’avait déjà indiqué, l’un des objectifs du commandement russe était de faire en sorte que les Français se fassent une opinion favorable des occupants et voient en eux des Européens bien élevés. Or, les vainqueurs, une fois entrés dans la capitale française, souhaitèrent naturellement fêter leur victoire par de généreuses libations, qui pouvaient causer de grands désordres. C’est la raison pour laquelle les Alliés décidèrent de ne cantonner dans Paris intra- muros que les troupes les plus disciplinées (la Garde), et d’installer les autres au-delà des anciennes barrières de l’octroi, c’est-à-dire à l’extérieur des fortifications qui entouraient alors Paris. On fit plus : le commandement uploads/Litterature/ les-russes-en-france-en-1814-des-faits-des-imaginaires-et-des-memoires-pdf 1 .pdf
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- Publié le Mar 13, 2022
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