LETTRES D’AMOUR ROBERT ET CLARA SCHUMANN LETTRES D’AMOUR Traduites de l’alleman
LETTRES D’AMOUR ROBERT ET CLARA SCHUMANN LETTRES D’AMOUR Traduites de l’allemand par Marguerite et Jean Alley Préface de Michel Schneider Publié avec le concours du Centre national du livre M U S I Q U E Malgré les démarches entreprises par l’éditeur, les ayants droit des traducteurs n’ont pas pu être joints dans les délais de publication. L’éditeur les invite à se mettre en relation avec ses services. © Libella, Paris, 2015 ISBN : 978-2-283-02884-1 PRÉFACE Deux cœurs en morceaux S’il connut plusieurs femmes et s’éprit de deux ou trois, Schumann n’eut qu’une femme dans sa vie, Clara. Il commença à l’aimer quand il avait dix-huit ans et elle huit. Il ne parvint à l’épouser qu’après une longue lutte. Et, peut-être pour se convaincre qu’elle était bien sa femme et lui bien un homme, il lui fit huit enfants. Pendant la durée de leur vie commune, entre le mariage (1840) et l’internement de Robert (1854), et même au plus fort de sa folie, il consignait leurs rapports sexuels dans son Journal. Ce n’est pas qu’il n’y eût pas de mystère dans cet attachement. Clara n’était pas une banale Hausfrau, mais une pianiste extra- ordinaire, fille de Friedrich Wieck, qui avait été le professeur de Schumann, une musicienne d’exception, qui se mesurait à des hommes et devint la première femme virtuose de l’histoire du piano. Quand il la rencontre en 1830, Robert comprend que la pianiste, c’est elle, et s’arrange pour s’abîmer tellement la main qu’il sera forcé de devenir compositeur et non interprète. À l’inverse, elle renoncera à composer, parce qu’elle sait que le génie est en lui et qu’elle devra faire vivre avec ses doigts la maison Schumann. 8 LETTRES D’AMOUR Lettres d’amour ? C’est le titre du recueil qu’on va lire. Il serait plus exact de dire, comme l’édition allemande : Lettres de jeunesse, car les lettres entre Robert et Clara ne cesseront pas en 1840 au moment où enfin ils se marient après avoir obtenu gain de cause en justice, tandis que l’amour, lui, aura peut-être cessé. Car beaucoup de froid surprend dans cet amour romantique. Ainsi, Clara, qui en deux ans et quatre mois d’internement psychiatrique de son mari ne trouva pas un instant pour venir le visiter. Inquiet de n’avoir plus aucune nouvelle, Schumann demanda un jour à Brahms si Clara était morte. Froid aussi chez Robert. Froid mortel devant cette union aussi crainte que désirée. À la fin, Robert demande lui-même à être interné : « Tu veux abandonner ta femme ? » interroge Clara. Il acquiesce : « Mais ce ne sera pas long. » Lettres d’enfants ? Chacun se veut la mère de l’autre : « Si je ne t’écris pas pendant quatre semaines, ne m’en veux pas. Ce ne sera que par manque de temps. Comme je dois, en principe, mener ce qu’on appelle la grande vie, mes soirées seront sans doute occupées. » C’est une jeune fille de dix- huit ans qui écrit ces mots à un homme de vingt-sept. Alors qu’ils ne sont pas encore mariés, Clara Wieck écrit à Robert Schumann comme une mère à son fils. Il est vrai que dès sa première lettre (elle avait onze ans), Robert lui déclarait : « Je pense souvent à vous – pas comme un frère à une sœur, ni comme un ami à une amie, mais comme un pèlerin à la Madone. » Mais pour Clara, qui fut abandonnée par sa mère à l’âge de quatre ans, elle qui parlait peu et mal jusqu’à ce qu’à cinq ans on la mette au piano et qu’elle trouve dans la musique une sorte de langue maternelle, que fut Robert sinon une autre mère, celle qui la nourrissait de musique, comme l’autre, la vraie, avait manqué de la nourrir d’amour ? Lorsque chacun accepte ainsi d’être enfant devant l’autre, cela DE ROBERT ET CLARA SCHUMANN 9 s’appelle l’amour. Au risque de souffrir si l’autre en abuse, et d’en mourir s’il fait défaut, l’amour, c’est ouvrir à l’autre l’enfant en soi, devenir l’enfant de l’autre, et l’âge réel de ceux qu’il unit ne fait rien à l’affaire. Lettres de musique ? Souvent séparés, d’abord par le père, puis par la carrière de concertiste de Clara et enfin par l’inter- nement de Robert, les deux amants se sont beaucoup écrit, et quand ils se retrouvaient, ils rédigeaient à deux un Journal. Les lettres, les mots, les lectures, l’écriture, sont partout pré- sents à l’intérieur et autour de la musique de Schumann. « C’est étrange, mais quand je t’écris beaucoup, comme en ce moment, je ne puis composer. C’est comme si toute la musique passait dans mes lettres. » Il est vrai, en retour, que les musiques écrites à cette époque sont toutes des lettres secrètes adressées à Clara… « Ah ! mon chéri, mon cœur est en morceaux ! » écrit-elle. Entendons-le littéralement : ces morceaux sont des pièces de musique, des Stücke, Stückchen, Stücklein, que Clara compose, puis donne à Robert, qui s’en inspire puis lui retourne pour qu’elle les joue. Lettres de deux enfants qui s’aiment en mots et en notes. L’année suivante, Robert écrit : « Ce que j’ai fait, c’est comme l’écho de ce que tu m’as écrit un jour : “Moi aussi je t’apparais quelquefois comme un enfant !” En un mot j’avais des ailes et je me suis mis à écrire une trentaine de petites pièces dont j’en ai gardé douze et je les ai appelées Kinderscenen (« Scènes d’Enfants »). » S’ils se perdent, c’est avec la musique qu’ils se cherchent dans le noir, comme à colin-maillard. S’ils se trahissent ou se trom- pent, c’est avec la musique encore qu’ils cherchent à oublier le manque de l’autre. Clara écrit : « Quelquefois je joue du piano jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Mon cœur s’allège au contact de la musique, et quelle sympathie il y rencontre ! Elle est ma consolation dans les larmes. » Elle lance un jour : « Robert n’est 10 LETTRES D’AMOUR plus que musique. » C’était un éloge plein d’amour, mais aussi une prémonition scellant un destin. Lettres de folie et de mort ? Non pas. Bien que sa folie appa- raisse très tôt, Schumann a trouvé en Clara la tendre lumière que son nom faisait rayonner dans ses ténèbres intérieures. Et comme tout amour, le leur faisait entendre la musique de l’autre, cette voix de passion qui conjure la mort. Ces lettres sont des lettres de bonheur et de désir. Mais entre les lignes surgissent parfois l’angoisse que tout finisse, l’amour, le chant, les mots, et que Schumann se noie dans le désir de ne plus avoir de désir, dans la haine de l’amour. En 1838, il décrit une pièce qu’il vient d’écrire, La Fin du chant : « À la fin tout se résout par de joyeuses noces, et pourtant, avant de terminer, une grande douleur surgit quand je t’évoque et alors intervient au milieu de ces noces un son qui résonne comme le glas de la mort. » Entre eux, l’amour et la musique sont une seule chose qui protège les enfants contre la mort. Mais tant qu’il put nom- mer sa douleur, lui donner le nom de sa femme aimée et man- quante, tant qu’il sut prendre du plaisir à composer d’innom- brables pages où il dissimulait les cinq lettres de son nom sous les notes d’un motif descendant, Schumann tint la folie en lisière. Jusqu’au jour où elle fit taire en lui la musique. Composées dans la nuit du 17 au 18 février 1854, « sous la dictée des anges », selon Schumann les Variations sur un thème des esprits ont la beauté douloureuse des choses qui déjà disparaissent. Elles sont toujours dédiées à Clara, mais, si le piano parle une dernière fois, ce sont les ultima verba d’un poète qui a déjà rejoint les gens et les pays étranges. La folie de Robert a éteint l’amour de Clara. Le 27, il essaie de se noyer dans le Rhin. Quand Brahms arrive, le 3 mars, les Variations sont recopiées au propre et données à Clara pour qu’elle les joue. Le lendemain, DE ROBERT ET CLARA SCHUMANN 11 Schumann est enfin conduit à l’asile d’Endenich où elle ne le reverra que le 23 juillet 1856, six jours avant sa mort. Elle ne jouera jamais les Variations sur un thème des esprits et refusera de les recueillir dans les œuvres de Schumann. Michel SCHNEIDER INTRODUCTION Diderot écrivait à Sophie Volland : « Jamais passion ne fut plus justifiée par la raison que la mienne. » Si baroque que cela paraisse, ce philosophe du dix-huitième siècle, se peignant lui-même, définit ainsi, et sans la moindre préméditation, la nature de l’amour qui fut celui de Clara et de Robert Schumann. Couple romantique s’il en fut et qui nous confond par son exaltation et sa sagesse, sa patience et son impatience, son acceptation de l’obstacle à franchir, sa fierté et son humilité, une égale générosité de cœur, une égale ardeur dans uploads/Litterature/ lettres-d-x27-amour-robert-schumann-clara-wieck.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/fF35zOMJRn9ASpnFBoeC81LlCHt2Q4v5e5EuZ2XrywzPGfSUJNjKEfaYM1aLcgkJBIdn8AL7CAPjGVnNKns8hNSQ.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/vj9LlURvDcRuaImQEiFKAXsijvgwBrH7xKWmTgMMQAZbLo0VVLdbqhkuX29ddI2WRYNhCJq1AWKsv46HwbrhI4xs.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/aO3Y1EglTuP0SigNeK6vEy3Da4zzTTKI2Q4HsntdqSzajTCtHZEG3edNkAU8qiLwkxnXtGUImFF4iaGtZo4FgX44.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/JFgrjAEZ8OtvRNWW9e2DyeBF2r553HUFK9TIl2XSlyt6TYVxipuaKM8h8LmX5xPTfN7YQUqJCGuuoJaIQxE7taQK.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/aLIHFyCThajPsXBx6JQfwfbdxg7rZpifDwYFek89xbFK0urgnsfasbuKKZKRZ4UTOu2q8uGrdiTz5IRxi5kvEHnd.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/ApKCCStv7vL4yzTci7mPSbGEAjeTdcnlwlD3mEkmw6jeKOws2PCQvhOVn5Xa6XU5NhWjiEoZMxLjME9adRcJSky3.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/52Tr4lFM5IKtjQWIYCsmuMD9LfCi3AroSGhwB6cinvwFpxb3USg5D4loTagUi5AojfZFBS8YFI9t9vtEpEsYxHgD.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/CiqYL3xZ6DTViuVQ7RqKfNYlF0uQwkNebntror6H3Lr9mrAcPmp3BqtTBGkvKaeaAjNmh03vNNx65dDvSp7UkfSX.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/bg5sRvlR2XqZ59mNFXTEsze6OuDXp3CyfrU7VoP0hQjRXlVqRw2jw73rJ2kZWXklJU8EGbT8CzVVpX13ghmEYj63.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/jMoJaeIL36oScZlp7SlLOiASmbI1S9jv5y4GD0x8ga3YSNnCYyKAY3CBDdGJegwAQ5XKXRG06NxDtsJmTv8W3nEM.png)
-
16
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 01, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 1.5500MB