Mythocritique et mythanalyse" Simone VIERNE Détails: | Affichages : 3583 Simone
Mythocritique et mythanalyse" Simone VIERNE Détails: | Affichages : 3583 Simone VIERNE (Université Stendhal) (in IRIS, n° 13, 1993, p. 43-56) L’étude qui va suivre ne prétend pas à l'originalité, mais se voudrait seulement une mise au point sur la méthode de lecture des textes que j'ai pratiquée, avec mes étudiants, depuis une quinzaine d'année. C'est dire qu'elle a un côté pragmatique, mais évidemment basé sur des principes théoriques qui étaient déjà exprimés dans un numéro de « Recherches et Travaux » par Gilbert Durand en 1975 et reprises par lui en 1979 dans Figures mythiques et Visages de l'ceuvre(1), dont la réédition porte dès la couverture le sous-titre explicite: «De la mythocritique à la mythanalyse» ; ce sous-titre renvoie ainsi explicitement à la troisième partie, méthodologique, de l'ouvrage. Si je tiens à préciser ces dates, c'est qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler que, contrairement à ce qu'affirme un peu légèrement un ouvrage récent intitulé Mythocritique, cette démarche a existé et produit ouvrages, articles et travaux de recherches bien avant 1992... De quelques définitions et principes Dans L'Air et les Songes (2), Bachelard a ouvert la voie à la recherche d'une profondeur mythique, dans la lecture des textes littéraires, en soulignant le caractère «oniriquement naturel» des vers de La Fontaine dans «Le Chêne et le Roseau» : Celui de qui la tête au ciel était voisine Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts. S'il faut, pense-t-il, tenir compte de la culture antique du fabuliste pour expliquer cette image, il ne faut pas «sous- estimer la rêverie personnelle», car la culture nous donne, en quelque sorte «la permission de rêver» En rêvant à l'arbre immense, à l'arbre du monde, à l'arbre qui se nourrit de toute la terre, à l'arbre qui parle à tous les vents, à l'arbre qui porte les étoiles... je n'étais donc pas un simple rêveur, un songe-creux, une illusion vivante! Ma folie est un rêve ancien. En moi rêve donc une force rêvante, une force qui a rêvé jadis, dans des temps très lointains, et qui revient ce soir s'animer dans une imagination disponible! (p. 253). Cet appel au mythe, (et un peu plus loin à un retour d'une culture mythique dans l'éducation) comme force imaginante n'est évidemment pas encore formalisé, mais il situe bien la ligne de pensée dans laquelle se situent toutes les recherches ultérieures. Il faut cependant s'entendre sur quelques définitions. Sans prétendre qu'elles sont exclusives, elles sont indispensables pour asseoir une méthode sur une base solide. Et d'abord, évidemment, qu'entend-on par mythe ? Bachelard insiste surtout sur l'universalité et l'atemporalité du mythe, qui donne à la rêverie personnelle et subjective une valeur objective, permet de la classer dans les grandes rêveries qui ont hanté depuis toujours l'humanité, apportant en outre un surcroît de compréhension et surtout de bonheur au lecteur. Mais si le mythe doit nous servir de façon plus opératoire dans notre lecture, une définition plus précise s'impose. Basée aussi bien sur les travaux de Mircea Eliade (voir sa définition dans le Dictionnaire des mythologies dirigé par Yves Bonnefoy (3), et de Lévi-Strauss, notamment, on pourrait la résumer ainsi : • il s'agit d'un récit, qui a d'abord été oral (et l'est encore dans certains lieux préservés du monde), puis a été fixé par des écrits qui présentent un nombre plus ou moins grand de variations. Le caractère diégétique est important : le mythe raconte une histoire ; • cette histoire comporte, dans son déroulement, des éléments non naturels, magiques, absurdes au regard de la logique et du vécu quotidien. Ces éléments, que les ethnologues appellent «mythèmes», peuvent être aussi bien des événements que des décors, des person-nages (humains, divins, animaux, végétaux ou des mixtes de tout cela), dont la signification doit être recherchée dans leur valeur symbolique ; • cette histoire implique de celui qui la dit comme de celui qui l'écoute (ou de celui qui l'écrit et de celui qui la lit) une croyance, qui était, à l'origine de nature religieuse. Au fil du temps, la croyance a pu changer de nature (4) : mais il suffit de songer à la manière dont on entre dans un livre, ou un film, pour comprendre que là aussi est à l'oeuvre une forme de croyance, qui atteint évidemment sa dimension la plus forte quand on «entre» en poésie, ou en musique. Freud parlait avec raison du «je sais bien (que ce n'est pas vrai) mais quand même... » ; • les récits mythiques ne sont pas une pure fantaisie, ou une illusion mensongère, ou un ornement gracieux ou didactique comme l'a cru l'âge classique. Le mythe cherche à résoudre une question essentielle (au sens philosophique du terme) et existentielle pour l'homme, que la logique ne peut résoudre. Les spécialistes nomment ces questions des mythologèmes. Elles ne sont finalement pas très nombreuses: la question de la vie et de la mort, le rapport du Moi et de l'Autre, la place de l'homme dans le cosmos et/ou la société (l'individu et la totalité ou la masse), d'où vient l'homme et où va-t-il (du Big-Bang à Apocalypse now, pour donner un exemple contemporain), le Bien et le Mal («vérité en deça des Pyrénées, etc.»). Il peut y avoir d'autres mythologèmes, assurément, mais à l'étude, on s'aperçoit que les grandes questions qui se posent à l'être humain entrent dans l'une ou l'autre de celles proposées ci-dessus ; • il faut insister sur le fait que ces questions ne peuvent recevoir de solution satisfaisante si l'on s'en tient à la logique courante dite du «tiers exclu», celle que nous pratiquons dans le vécu quotidien et aussi sur laquelle a vécu la science jusqu'à une époque récente, et une grande partie de la réflexion philosophique. En critique littéraire, le «structuralisme» en a été en quelque sorte l'apogée. La science contemporaine, dans ses aspects les plus pointus, aussi bien que notre démarche de lecture, qui donne la place majeure à l'imaginaire, fonctionne au contraire sur la logique du tiers inclus. L'on peut en avoir une illustration dans une figure de rhétorique (la rhétorique m'est forcément plus familière que, par exemple, la physique des particules ou l'astrophysique...) : l'oxymoron, la «noire et pourtant lumineuse» de Baudelaire (5), ou le «soleil noir» de Nerval, qui maintiennent dans une même image des pôles opposés, de sorte que l'on n'a pas affaire à du gris, mais à un noir plus profondément sombre et à une lumière plus éclatante, en même temps. On voit bien aussi que cette «coïncidence des contraires» a des référents non seulement dans l'alchimie, mais aussi dans la troisième structure de l'imaginaire selon les théories de Gilbert Durand, et l'on doit songer à l'affirmation d'André Breton dans le Second manifeste du surréalisme (6) : T out porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or, c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. (p. 92) De la pertinence du mythe, pour la lecture des textes littéraires (entre autres) Ce qui précède amorce déjà la réponse à la question : pourquoi le mythe, et en somme pourquoi la mythocritique ? On pourrait dire déjà, et Bachelard le suggérait, que le mythe est la première expression de l'art médiatisé par la parole, puis par l'écrit : l'épopée de Gilgamesh, retrouvée sur les tablettes d'argile, montre bien que ce n'est pas seulement l'histoire qui commence à Sumer, c'est aussi la littérature grâce à cette première épopée initiatique (7). La manière mythique dont les Grecs concevaient le monde, sa création et celle de l'homme nous sont transmises par un poème, celui d'Hésiode. Il ne faut pas, en outre, négliger dans la création artistique le poids de la culture, et même de ce qu'on appelle maintenant «inconscient cognitif» : même si l'éducation ne fait plus que peu de place à une connaissance mythologique, celle-ci demeure assez vivante pour se retrouver, curieusement, dans des formes apparemment très peu liées à cette connaissance, comme la publicité (8). Ce qui prouve au moins, en passant, que l'imaginaire et ses lois jouent, consciemment ou non, un rôle déterminant dans les domaines les plus divers ! Faut-il rappeler que ce qu'on a appelé le «nouveau roman», qui se voulait très consciemment destructeur de ce qu'il appelait l'illusion romanesque, a fait appel abondamment au substrat mythique, à Œdipe pour Les Gommes, au mythème du labyrinthe dans Dans le labyrinthe, pour Alain Robbe-Grillet, à Thésée pour L'Emploi du temps, et à diverses légendes dans La Modification, pour Michel Butor, leur modèle étant naturellement l'Ulysse de James Joyce. Les références sont d'ailleurs explicites, et même si le dessein est de contester le geste primitif commun à l'auditeur de mythe et au lecteur de roman, celui de l'adhésion à la fiction, je suis persuadée non seulement que cela prouve la force du mythe, mais qu'il subsiste une prégnance mythique dans sa uploads/Litterature/ mythocritique-et-mythanalyse.pdf
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- Publié le Nov 06, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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