Nicole Boulestreau L'épreuve de la nomination dans le premier Manifeste du Surr
Nicole Boulestreau L'épreuve de la nomination dans le premier Manifeste du Surréalisme In: Littérature, N°39, 1980. Les manifestes. pp. 47-53. Citer ce document / Cite this document : Boulestreau Nicole. L'épreuve de la nomination dans le premier Manifeste du Surréalisme. In: Littérature, N°39, 1980. Les manifestes. pp. 47-53. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1980_num_39_3_2134 Nicole Boulestreau, Paris x. L'ÉPREUVE DE LA NOMINATION DANS LE PREMIER « MANIFESTE DU SURRÉALISME » Si l'on cherche à préciser l'acte ou les actes qui spécifient un manifeste, on doit sans doute poser d'abord l'urgence d'une épiphanie : faire voir ou se faire voir constituent les gestes sinon suffisants du moins nécessaires de ce type d'intervention. Ainsi sont en jeu, pour qu'il y ait manifeste, l'accès à la visibilité d'un groupe, ou l'illustration particulière d'une production. Si l'on s'en tient aux manifestes artistiques, les leçons de l'histoire semblent bien montrer que la manifestation du nouveau ne s'opère pleinement, dans le champ culturel, que grâce à des opérations ou des discours de soutien. Courbet, pour sa contre-exposition, Dada, pour ses scandales, se sont servis des armes du spectacle; et l'on sait que la percée du cubisme pictural fut due en grande partie à la prédication de tiers, écrivains ou poètes. Il faut enfin mentionner un fait d'importance : l'épiphanie et la prédication * d'une œuvre peuvent elles-mêmes se produire à retardement, selon des dévoilements posthumes. Les Chants de Maldoror ne prirent la dimension d'un manifeste que lorsque Breton, en 1937, réordonnant sous le regard surréaliste la littérature, les donna à voir pour tels : « Les beau comme de Lautréamont constituent le manifeste même de la poésie convulsive» (L'Amour fou). Cependant la virulence d'un manifeste (si on le conçoit comme un geste de dévoilement), sa force d'intervention dans la vie publique sont directement liées d'abord à des effets de présence active : à pro duire des apparitions à posteriori, on n'y fête jamais que des mânes tutélaires; ensuite à l'ampleur de sa portée. Son impact est fonction de la volonté et sur tout des moyens qu'ont les auteurs d'intervenir directement dans l'institution artistique. Je voudrais montrer par une lecture docile aux méandres du texte (dont Breton lui-même a reconnu « les lignes serpentines, affolantes ») que le retenti ssement du premier Manifeste du surréalisme (Oct. 1924) vint sans doute de ce 1. Je reprends ces termes à G. Péninou (Communication, n° 15 p. 101). 47 que c'est davantage à la fortune d'un nom : Surréalisme, qu'à faire montre des productions textuelles qu'il recouvrait, que le discours était voué; ou du moins que l'écriture nouvelle qu'il instituait n'était que la condition d'accès à l'espace d'un nom qui devait rayonner dans le naufrage de l'époque comme le visage déjà visible de l'homme nouveau, sauvé des périls d'un tout puissant réalisme. Mettre l'accent sur l'appel d'un nom, réaliser ce qu'a pu être sa force structu rante pour plusieurs générations, c'est définir le premier manifeste comme une interpellation, qui, en marge des autres discours, a pu avoir sa portée propre et son action spécifique. Techniques de l'épiphanie Epiphanie du nom « II est clair qu'avant nous ce nom n'avait pas fait fortune » Dans son étude très documentée sur les premières années du surréalisme, M. Bonnet a montré avec toute sa finesse comment, dans le duel pour le label « Surréalisme » qui opposa Breton à P. Dermée, et Y. Goll, durant l'été 1 924, l'enjeu n'était pour ceux-ci qu'un prestigieux parrainage, (celui d'Appolinaire) tandis qu'il était, pour celui-là, le nom d'un véritable mouvement social, que devait produire l'introduction de l'automatisme dans la parole et l'écriture2. La hauteur avec laquelle Breton toise ensuite ses adversaires dans son Manifeste, en déclarant que les termes « supernaturalisme » (invention de Nerval) ou « Idéoréalisme » (invention de Saint-Pol-Roux) auraient aussi bien fait l'affaire, ne doit pas cacher que, si arbitraire soit-il, il fallait un signe pour lancer le mouvement, un signe pour que se reconnaissent tous les hommes prêts à engager « une guerre d'indépendance » contre la société matérialiste. On s'interrogera plus loin sur l'efficacité de ce nom. Il suffit ici de prendre acte de ce que Breton lui-même a reconnu : à savoir son désir d'assurer le succès du mot, au prix de regrettables concessions à un certain idéalisme « pour des raisons de simplification et de grossissement volontaires destinées dans mon esprit à faire la fortune de cette définition 3 ». Je rappellerai que, sur le plan typographique, le mot se trouve traité et illustré comme un article de diction naire : isolé en majuscules, précédant sa double définition (linguistique et encyclopédique). Il reçoit ainsi apparemment le statut d'un mot de la langue, officiellement validé et enregistré avant la lettre. Suivi de 24 occurrences bien visibles de l'adjectif « surréaliste » il reçoit une consécration d'autant plus 2. M. Bonnet *A. Breton. Naissance de l'aventure surréaliste» Ch. VIII, J. Corti, 1975. 3. Qu'est-ce que le surréalisme?, p. 11 (Bruxelles, 1934). 48 forte que Breton se présente, en 1924, comme un nouveau Du Bellay, investi de la mission d'assurer « la défense et illustration de l'écriture surréaliste 4. Epiphanie du texte « Voici le poisson soluble qui m'effraie bien encore un peu. » Si l'on considère que l'acte manifestaire majeur est l'epiphanie d'un « pro duit » nouveau, à coup sûr c'est « Poisson soluble », recueil de poèmes auto matiques auxquels prépare un long discours préliminaire, qui constitue le manifeste de 1924. Il est l'illustration au sens double de : mise en lumière et célébration du surréalisme, dont le reste du livre est la défense. Il faut néan moins remarquer qu'il ne constitue pas, à lui seul, le <r texte exposé », dans le <r texte-cadre » qui lui sert d'ailleurs à la fois de défense et de préface. Les nombreux exemples d'écriture surréaliste proposés, sous forme de citations ou de poèmes-collages, constituent aussi une suite de décrochements dans la sinueuse linéarité du discours. Leur mise en lumière, leur visibilité est assurée selon une technique particulièrement efficace, qui repose sur la confrontation d'objets : les énoncés « surréalistes » renvoient aux énoncés ou modèles cités dans la première partie du plaidoyer, et les transforment. Ainsi, dans la série des exemples devenus classiques : — les énoncés commençant par « sur le pont » et « dans la forêt », trans forment les vaines « images de catalogue » et « cartes postales » 5 des descrip tions classiques; — « la couleur des bas d'une femme... » renvoie à la pauvreté de la « petite observation » des romanciers réalistes 6; — « l'église se dressait » évoque le roman proustien7; — « un peu à gauche j'aperçois » se réfléchit sur la longue citation de Dostoïevski8. Quant aux collages, c'est leur traitement typographique et l'utilisation du blanc qui assurent leur relief dans la mise en page. Le bref exposé qui précède montre à l'évidence que l'epiphanie ne saurait à elle seule constituer l'acte manifestaire. Dans ce geste toujours risqué, un homme, un groupe s'exposent, avec leurs œuvres et leurs projets : ils s'exhibent et bravent les forces de résistance de l'époque. Mais l'exposition à laquelle Breton se soumet, il la lie à un combat dans lequel il a foi, et il l'exige aussi de ses alliés (membres du groupe et lecteurs). Son discours peut ainsi être lu comme le texte d'une initiation et d'une intronisation qui comporte 4. Rappelons que la référence à Du Bellay est centrale dans le 1er manifeste (Cf. Man. du Surreal. Idées p. 29). Elle reste cependant lointaine mais sera plus effective dans le second manifeste : en effet si Du Bellay défendait la nouvelle langue poétique contre la latine, il la défendait aussi contre la langue orale populaire et il procède donc dans son manifeste à des exclusions sévères. 5. Manifeste, p. 15-16 et p. 53. 6. Id. p. 15. 7. Id. p. 18. 8. Id. p. 16. 49 pour l'aspirant une série d'épreuves décisives. Seules ces dernières attestent sa transformation (il faut qu'à la fin du manifeste un énoncé comme « cet été les roses sont bleues » soit devenu acceptable), et lui confèrent le droit de participer à la croisade et à l'aura de son nom. Les épreuves de l'adhésion « II fallut que Christophe Colomb partît avec des fous pour découvrir l'Amérique. » Le proverbe inaugural du discours : « Tant va la croyance à la vie... » marque la faillite de ce qui est imposé comme « le réel » dans une société pragmatiste, où se trouve partout brandi l'argument de la raison et du bon sens contre la folie. Le manifeste, en pariant sur cette folie, reprend à son compte, au xxe siècle, la lutte qui depuis le xixe siècle oppose la pensée non-logique à sa rivale « occidentale ». Il engage l'avenir et le salut sur des valeurs mal définies, l'imagination et la surréalité; tout un inconnu mental pressenti pour redonner de nouveaux pouvoirs à l'homme dégradé. Mais c'est en fonction de cet inconnu, posé comme le seul critère de pertinence pour uploads/Litterature/ nicole-boulestreau.pdf
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- Publié le Mai 08, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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