POUR UN USAGE NON SEXISTE DE LA LANGUE ARABE Jolanda Guardi, Université de Mila
POUR UN USAGE NON SEXISTE DE LA LANGUE ARABE Jolanda Guardi, Université de Milan Dissemino le stelle intorno al mio corpo comunicando con ogni fibra sensibile, con ogni cellula: che cosa sono il nome, il verbo, l’identità? Né il divieto mi annulla né l’imperativo mi plasma né il nome mi contiene. Waf…’ Lamran† On parle souvent des droits de la femme dans le monde arabe et des actions vouées à en faciliter l’émancipation ; toutefois, un aspect qui est rarement souligné est le rapport étroit qui existe entre l’usage de la langue et le genre. Parmi ces actions on ne cite jamais une révision de certains aspects de l’usage de la langue arabe liés au sexisme linguistique. C’est en effet à partir d’une mutation aussi bien culturelle que linguistique que l’on peut repenser le rapport femme-homme. Et comme on s’est interrogé sur ce sujet pour les langues occidentales, on est aussi en train de le faire dans le monde arabophone, en relation à la langue arabe.1 Comme l’affirme Irigaray « Une justice sociale et surtout une justice sexuelle ne peut pas se réaliser sans que les lois de la langue, les concepts de vérité et des valeurs qui organisent l’ordre sociale, changent ».2 Cette remarque n’est pas inutile si on considère que dans le monde arabe on a publié dernièrement des études3 qui, en partant d’approches différentes, se sont interrogé précisément sur ce sujet. Dans la présente contribution, nous allons justement signaler dans quelle direction vont ces études dans le but de suggérer des possibilités de recherche. Il faut avant tout indiquer que, si nous voulons entreprendre un discours sur le sexisme dans la langue arabe, il faut le faire dans le cadre de l’arabe standard car c’est justement au niveau de la langue standard qu’une utilisation liée au genre s’opère : en effet, le pacte silencieux entre langue arabe-élite réligieuse-patriarcat a historiquement cherché à exclure de l’utilisation de la langue soi- disant classique la femme en la confinant dans le domaine du dialecte,4 souvent défini, avec une expression qu’on devrait repenser dans ce contexte, « langue de la famille ou de l’affect ».5 Si les femmes jusqu’à présent doivent être entre elles pour qu’on puisse utiliser le genre féminin, c’est parce que le genre grammatical n’est ni sans raison ni arbitraire. Il suffit de faire une étude synchronique et diachronique des langue pour s’apercevoir que la subdivision en genres grammaticaux a une base sémantique, un signifié lié à notre expérience sensible, corporelle et qui mute selon les temps et les lieux. Pour en venir à la langue arabe, Ibn Man©™r dans son Lis…n al-‘arab à la voix ÷akar nous rappelle que : « La différence entre la formation du féminin et celle du masculin est la différence entre la femelle et le mâle, qui diffère de la femelle. Le pluriel de ÷akar est ÷uk™r, ÷uk™ra et ÷ukr…n. Une journée est mu÷akkar si elle est décrite avec force, pleine de difficultés et beaucoup d’assassinats. Et ÷akar signifie fixe et 1 Voir, par exemple, Y. Suleiman, The Arabic Grammatical Tradition, Edinburgh University Press, Edinburgh 2006, qui aux pages15-24, souligne comme la transmission de la grammaire arabe s’est produite exclusivement par voie masculine et ‘A. al-Ýa÷÷…m†, Al-mar’a wa al-luÐa, Al-markaz aÅ-Åaq…f† al-‘arab†, Ad-d…r al-bayÿ…’ 2006, qui s’interroge sur les modalités à travers lesquels le discours féminin s’est crée un espace dans la culture arabe. 2 L. Irigaray, Je, tu, nous, Edition de Minuit, Paris 3 On se réfère ici principalement aux études de Ab™ R†ša Z., Al-luÐa wa al-ºins. Na|w luÐa Ðayr ºinsawiyya, Markaz dir…s…t al-mar’a, ‘Amm…n 1996. 4 S. Hafez, The Genesis of Arabic Narrative Discourse, Saqi Books, London 1993. 5 Cette affirmation n’a aucune implication de valeur par rapport aux dialectes arabes et ne signifie pas que la discrimination linguistique ne s’opère pas dans les dialectes. elle vise seulement à souligner le rôle que l’arabe classique joue. solide ; š…‘ir ÷akar (poète mâle) c’est un étalon et un homme est ÷akar s’il est fort, courageux, alter et fier »6 Par contre dans la même œuvre on décrit le féminin comme quelque chose de « souple et faible » et on accoste l’adjectif qui dérive de la racine hamza n™n Å…’ (’anÅ) à une terre plaine, qui n’a pas d’accidents.7 C’est ainsi que les grammairiens ont décidé que le masculin est le a¡l et le féminin vient en second. Ainsi S†bawayh : « De toutes les choses la racine est le masculin et après il se distingue, et chaque féminin est une chose, et la chose est masculine parce que le masculin est le premier et il est plus fort du point de vue de la déclination »8 Cette opinion sera partagé par les grammairiens les plus importants tels Mubarrad, Zaººaº† et Zab†d† qui vont soutenir que le mâle est le premier et la femelle, la deuxième et dérive du mâle. Ainsi le masculin dans la langue est la base du genre et le féminin une dérivation (far‘). Le masculin, n’a alors pas besoin d’une marque parce que « il est l’a¡l et il est le premier, tandis qu’on ajoute au féminin le plus souvent une marque parce qu’il dérive du masculin »9 Le partage entre les genres grammaticaux est alors formé sur une base qui fait toujours référence à la différence sexuelle. Ibn Ya‘†š, par exemple, en expliquant le féminin réel (al-mu’annaÅ al-|aq†q†) affirme : « Le masculin et le féminin sont connues (ma‘l™m…ni) parce qu’ils sont perceptibles (ma|s™s…ni) et ça puisque le masculin possède un interstice qui diffère de l’ouverture du féminin, comme l’homme de la femme ».10 Cette opinion, c'est-à-dire que la partition entre féminin et masculin en grammaire a une origine sociale est même partagée par les savants qui se sont occupés des langues sémitiques en général et de la langue arabe en particulier. Féghali et Cuny, par exemple, soutiennent que « la première subdivision des noms a été entre vivant et non vivant, animé et inanimé, l’animé étant subdivisé en masculin et féminin, ce dernier absorbant progressivement l’inanimé »11 Et Louis Gray nous rappelle que « Le masculin renvoie en général à une être vivant actif tandis que le féminin indique un être passif, puisque la passivité est spécifique de la femme par rapport à l’activisme de l’homme ».12 Sabatino Moscati, pour sa part, affirme, dans son An Introduction to the Comparative Grammar of Semitic Languages, que « les langues sémitiques ont deux genres et le masculin n’a pas besoin d’une marque finale comme le féminin et cela renforce l’idée que la raison soit à rechercher dans l’organisation sociale »13 6 Ibn Man©™r, Lis…n al-‘arab, D…r i|y…’ al-Åal…Å al-‘arab†, Bayr™t 1992. 7 Ibi, vol. 1, pp. 229-230. 8 S†bawayh, Al-kit…b, ‘ƒlam al-kutub, Bayr™t, s.d., 5 voll., vol. 3. pp. 240-242, p. 241. 9 Burh™ma ‘A., Al- luÐa wa al-ºins. ðafriy…t luÐawiyya f† a÷-÷uk™ra wa al-un™Åa, Aš-šur™q, ‘Amm…n 2002, p. 54. 10 Ibn Ya‘†š, Šar| al-mufa¡¡al, Maktabat al-Mutanabb†, Al-q…hira, s. d., vol. 5, p. 62. 11 Féghaly et Cuny, Du genre grammatical en sémitique, Geuthner, Paris 1924, p. 83. 12 L. H. Gray, Introduction to Semitic Comparative Linguistics, Gorgias Press, Piscataway 2006, p. 45. Pour Diakonoff la subdivision s’opère entre noms « socialement actifs » qui sont masculins et noms « socialement passifs » c'est-à-dire les féminins. En sémitique sont aussi féminins les noms « passifs dans leur essence » de même que les adjectifs d’action, les parts d’un tout, les diminutifs, les notions abstraites et les termes qui se réfèrent aux êtres de sexe féminin ayant une fonction active.14 On pourrait continuer à citer grammairiens arabes et savants occidentaux qui, finalement, trouvent une explication au partage du genre grammatical en sémitique et en arabe en particulier dans une supposée subdivision sociale ou, pire encore, naturelle15 dont le langage serait le miroir. Sans parler d’al-Anb…r†, qui n’a même pas besoin de trouver des pareilles explications, affirmant que le masculin vient avant le féminin simplement parce qu’on dit q…’im wa q…’ima, º…lis wa º…lisa16 ou al-mu÷akkar qabl al-mu’annaÅ, kam… al-qal†l qabl al-kaņr, ou bien parce que « la raison pour laquelle l’a¡l est de genre masculin vient tout simplement du fait qu’on décrit les hommes avec ces mot plus souvent que les femmes ».17 Pour nous il s’agit simplement du fait que la langue est fondée sur un principe androcentrique, c'est- à-dire que le mâle est le paramètre autour duquel s’organise et roule l’univers linguistique.18 Encore aujourd’hui l’état des choses n’a pas beaucoup changé : dans son At-tan†Å f† al-luÐa al- ‘arabiyya,19 un livre de 384 pages sur le féminin dans la langue arabe, Ibr…h†m Ibr…h†m Barak…t, après avoir présenté le féminin par rapport aux autres langues et en se referant souvent au Coran, nous dévoile un chapitre intitulé « Le féminin et la vie sociale arabe »20 où il présente la subdivision du genre grammatical comme miroir de la société arabe qui « tenait en grand compte le masculin et le féminin ».21 Pour placer le féminin en grammaire, Barak…t commence par décrire la place de la uploads/Litterature/ pour-une-usage-non-sexiste-de-la-langue-arabe.pdf
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- Publié le Jui 05, 2021
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- Langue French
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