Espace Eclair, Escaliers du Marché 25, 1003 Lausanne Mercredi 29 mai à 19h30 Je

Espace Eclair, Escaliers du Marché 25, 1003 Lausanne Mercredi 29 mai à 19h30 Jeudi 30 mai à 19h30 Vendredi 31 mai à 19h30 Samedi 1er juin à 11h Le Pain de Silence d’Adrien Pasquali Le Pain de Silence, un cri d’enfant qu’aucun silence ne pourra jamais réprimer. C’est un miracle tel qu’en peut faire la littérature puisque, aussi bien, ou aussi mal, il n’existe aucun récit d’un miracle divin qui aurait rendu son âme à un enfant à qui on l’aurait arrachée. « …pour ne pas finir, pas en finir que j’ai commencé, suite de mots, pas phrase, “sans doute n’as-tu jamais été un enfant”, et tout, et tout, manque quelque chose pour que quelque chose soit, jusqu’où aller s’il ne faut pas aller trop loin, c’est où trop loin ? où trop ? où loin ? jusque là où tirer sur le fil, c’est briser la corde, au risque de briser la corde, et nous aurions toujours là devant nous le morceau de silence ? » Lire un texte réclame une sérieuse lecture. Celui-ci la réclame plus encore que bien d’autres parce qu’il appelle, il appelle enfermé dans un monde premier et tentant de briser sa coquille, ainsi le poussin à l’intérieur de l’œuf pousse ses premiers cris une semaine avant sa naissance. Appel du sein d’un monde, étrange appel à un corps autre jamais vu, désiré, à un soleil jamais vu, désiré, appel à un monde ouvert. L’écriture ici témoigne d’une énergie vitale à transmettre cachée une voix. Quel est cet acte qui consiste à parler d’un livre, sur un livre, autour d’un livre ? De quelle autorité s’autorise-t-il, de quelle prétention prétend-il ? Le Pain de Silence a cette vertu radicale de nous poser la question, de me poser la question. Le 23 avril 1999, Adrien Pasquali ne s’est pas suicidé parce qu’il n’avait plus rien à nous dire, mais peut-être parce que en ce récit toute l’énergie qui avait fait de lui un disant s’est ruée hors de lui, le laissant sans voix. L’incestueuse relation de la littérature et du silence a été théorisée par Maurice Blanchot. Ici, pas de théorie, ici quelqu’un est acculé dans la monstrueuse relation, où le seul se vit chair dans l’arrêt de mort, où la naissance elle-même offre en sacrifice une vie à la bouche obscène du silence, non du temps. Que veut dire être lecteur face à ces pages ? Sinon d’une sérénité rebelle insuffler à cette suite de mots, pas une phrase, une suite de mots, insuffler une tendre colère rappelée du fond noir de notre enfance. À voix haute, je la rappelle. Le Pain de Silence témoigne d’une lutte à mort ; le dialogue intérieur sans répit qui habite Adrien Pasquali, voilà le dernier cercle de l’enfer. Cercle dans lequel Adrien Pasquali écrit, écrit contre la mort – et c’est cela qu’il nous laisse, la preuve d’un triomphe : « Sans plus rien à parler, je serai tout à fait né ». sans doute n’as-tu jamais été un enfant Par cette suite de mots commence Le Pain de Silence, suite de mots écrits une première fois sans guillemets comme intérieurement prononcés par un sujet impersonnel, suite de mots suivie de la même suite de mots, cette fois entre guillemets, cette fois parole, parole d’une mère, parole étouffée, pas même murmurée, en la présence du fils, dans le même silence, non adressée. L’un s’écrit, l’autre se parle. On déraillerait à penser dialogue. La trame du texte, ce fil déroulé par Adrien Pasquali, ce fil est d’abord ombilical comme cordon, et l’enfant, ici, se fait père et mère de sa mère. Oui, on déraillerait à penser dialogue, à penser adresse. Le Pain de Silence ne nous est donné à lire qu’à la condition que notre regard suivant le fil des mots se tourne sur le silence en nous. Étudier l’intensité du texte comme le proposait Roland Barthes, c’est ici s’attacher à ses rythmes, ses cadences, jusqu’à sentir le texte écrit d’haleine, expirant, et où la respiration n’est accordée que sur le seul palier indépassable et pourtant toujours à dépasser de la question, on dirait flottante : « sans doute n’as-tu jamais été un enfant » Donner à entendre Le Pain de Silence, ce n’est pas fracturer la porte d’une chambre intime – ce soliloque – mais bien, lecteur, tenter d’atteindre la plus haute exigence de la lecture à haute voix : créer ce silence fertile où puisse s’élever l’écoute mutuelle, ici d’une voix qui ne saurait nous être étrangère, la voix d’une souffrance suspendue dans le désir d’éclosion d’une vie possible, viable. Jacques Roman Lausanne, le 26 mai 2013 uploads/Litterature/ pasquali-texte.pdf

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