Carnets Revue électronique d’études françaises de l’APEF 10 | 2017 Pratiques de
Carnets Revue électronique d’études françaises de l’APEF 10 | 2017 Pratiques de l’errance, vécus de la mémoire Pour une définition de l’exil d’après Milan Kundera La nostalgie ou l’ambiguïté de la mémoire d’un réfugié Ana Maria Alves Édition électronique URL : http://carnets.revues.org/2249 ISSN : 1646-7698 Éditeur APEF Référence électronique Ana Maria Alves, « Pour une définition de l’exil d’après Milan Kundera », Carnets [En ligne], 10 | 2017, mis en ligne le 30 avril 2017, consulté le 11 mai 2017. URL : http://carnets.revues.org/2249 Ce document a été généré automatiquement le 11 mai 2017. Carnets est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons - Atribution – Pas d’utilisation commerciale 4.0 International. Pour une définition de l’exil d’après Milan Kundera La nostalgie ou l’ambiguïté de la mémoire d’un réfugié Ana Maria Alves Qui vit à l’étranger marche dans un espace vide au- dessus de la terre sans le filet de protection que tend à tout être humain le pays qui est son propre pays, où il a sa famille, ses collègues, ses amis, et où il se fait comprendre sans peine dans la langue qu’il connaît depuis l’enfance (Kundera, 1984 : 116). 1 Partons de ce passage de L’Insoutenable légèreté de l’être, où l’émigré est présenté comme un être en permanent équilibre tel un acrobate suspendu sur un fil. Image d’une légèreté qui devient insoutenable quand celle-ci est mise en contraste avec le manque de soutien qu’un filet de protection est censé donner. En outre, « la légèreté est insoutenable, certes, mais elle est aussi salvatrice » (Tallendier, 2011 : 55). Cette représentation fait allusion au fardeau de la destinée de l’émigré ici comparée à la légèreté d’un acrobate qui se prépare « à une constante gymnastique entre sentiments de légèreté et de pesanteur cette dyade essentielle » (Aubron, 2011 : 83). 2 Autrement dit, en arrivant dans un pays d’accueil, l’étranger se trouve face à un sentiment intrinsèque de nostalgie par rapport à son pays d’origine car il sort de son cocon où la langue maternelle était reine pour se retrouver dans un univers anonyme, dans le vide, dans l’abîme, dans l’inconnu que la nouvelle langue représente. Julia Kristeva fait référence à ce déséquilibre entre une langue et l’autre, quand elle affirme : ne pas parler sa langue maternelle. Habiter des sonorités, des logiques coupées de la mémoire (…) du sommeil aigre doux de l’enfance (…), ce langage d’autrefois [qui] se fane sans jamais vous quitter. Vous vous perfectionnez dans un autre instrument (… ) vous pouvez devenir virtuose avec ce nouvel artifice. (…) Vous avez le sentiment que la nouvelle langue est votre résurrection (…). Mais l’illusion se déchire quand Pour une définition de l’exil d’après Milan Kundera Carnets, 10 | 2017 1 vous vous entendez (…) et que la mélodie de votre voix vous revient bizarre (Kristeva, 1998 : 27-28). 3 Il y a là le sentiment d’être autre, étranger à soi-même éprouvant le besoin de se réfugier dans le silence « silence non pas de colère qui bouscule les mots au bord de l’idée et de la bouche ; mais silence qui vide l’esprit » (Kristeva, 1998 : 29). Dans la découverte de cette nouvelle réalité, de cette nouvelle langue l’étranger déraciné ne ressent pas le besoin de : « parler à ceux qui croient avoir leurs propre pieds sur leur propre terre ? L’oreille ne s’ouvre aux désaccords que si le corps perd pied. Il faut un certain déséquilibre, un flottement sur quelque abîme pour entendre un désaccord. (…) quand l’étranger ne dit pas son désaccord, il s’enracine (…) dans son propre monde de rejeté » (idem : 30). Ce sentiment de rejeté renforce le sentiment de nostalgie du pays et de la langue maternelle que tous les étrangers ressentent lorsqu’ils sont bousculés et forcés à un recommencement, à un nouveau départ. 4 Le Livre du Rire et de l’Oubli, confirme ce sentiment de nostalgie comme un « état tourmentant né du spectacle de notre propre misère soudainement découvert » (Kundera, 1985 : 200). La nostalgie, comme le souligne Kundera dans L’Ignorance « n’éveille pas de souvenirs, elle se suffit à elle-même, à sa propre émotion, tout absorbée qu’elle est par sa seule souffrance ». (Kundera 2003 : 42). L’auteur réfléchit à l’étymologie du terme nostalgie tout en explorant les diverses traductions du concept qui s’adapte à tout être qui vie en situation d’émigré : La nostalgie est donc la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner. La majorité des Européens peuvent utiliser un mot d’origine grecque (nostalgie, nostalgia), puis d’autres mots ayant leurs racines dans la langue nationale : añoranza, disent les Espagnols; saudade, disent les Portugais. (…) En espagnol, añoranza vient du verbe añorar, avoir de la nostalgie, qui vient du catalan, enyorar, dérivé lui du mot latin ignorare (ignorer). Sous cet éclairage étymologique, la nostalgie apparaît comme la souffrance de l’ignorance. (Kundera, 2005 : 9-11) 5 Il s’agit d’un sentiment que notre écrivain, lui-même émigré, connaît par expérience vécue et qui s’abat sur lui ce qu’évoque bien Le Livre du Rire et de l’Oubli, premier roman qu’il écrit en exil. Par le biais d’une description autobiographique, il nous fait découvrir combien il souffre d’être séparé de ses amis « j’ai dans l’œil [dit-il] une larme qui, semblable à la lentille d’un télescope, me rend plus proches leurs visages » (Kundera, 1978 : 210-11). 6 Cet extrait montre que les souvenirs qu’il retient dans sa mémoire sont encore à la distance d’un regard télescopique dans son passé récent. Cependant, il a conscience que ses souvenirs tendent à s’éloigner, à se dissiper, à disparaître. La grande idée de Kundera, par ailleurs renforcée dans son essai intitulé Rideau, est de suggérer que l’oubli et la mémoire sont « deux forces qui se mettent immédiatement à l’œuvre et coopèrent : la force de l’oubli (qui efface) et la force de la mémoire (qui transforme) » (Kundera, 2005 : 181). 7 L’ambiguïté que nous retrouvons dans ce rapport de forces, mémoire/oubli est un phénomène qui se reproduit inévitablement chez un émigré qui souffre de l’éloignement provoqué par l’exil. 8 Cet exil, selon Monique Selz, (Selz 2002 : 115-125), peut être interprété sous différents angles qui impliqueraient des situations différentes dans leurs problématiques et leurs effets. D’après elle, l’exil peut être territorial/géographique, contraint, provoqué par des Pour une définition de l’exil d’après Milan Kundera Carnets, 10 | 2017 2 circonstances liées à une situation politique ou économique, ou bien langagier. Cet exil peut aussi se révéler comme étant un exil identitaire, un exil choisi. 9 Pour Kundera, représentant de la résistance intellectuelle tchèque qui se positionne contre le système totalitaire, il s’agit d’un exil contraint vu qu’il se retrouve banni de l’univers littéraire, interdit de publication depuis le Printemps de Prague, et donc censuré. Il décide alors de prendre le chemin de l’exil en s’établissant en France. Il s’installe tout d’abord à Rennes pour occuper la chaire de Lettres à l’Université et, plus tard, à Paris où il vit naturalisé français depuis 1981. En 1995, il commence à écrire en français, devenant ainsi une voix migrante au sein de la littérature française actuelle. 10 C’est à travers cette voix migrante que nous découvrons, en 2009, dans son essai Une rencontre, sa position sur le thème de l’exil position qu’il n’a d’ailleurs jamais cachée. Il nous fait part d’une vision non-conformiste et lucide de l’exil, vision en affinité avec celle de Vera Linhartova, poétesse tchécoslovaque qu’il apprécie : La seconde moitié du siècle passé a rendu tout le monde extrêmement sensible au destin des gens chassés de leur pays. Cette sensibilité compatissante a embrumé le problème de l’exil d’un moralisme larmoyant et a occulté le caractère concret de la vie de l’exilé qui a su souvent transformer son bannissement en un départ libérateur « vers un ailleurs, inconnu par définition, ouvert à toute les possibilités » (Kundera, 2009 : 123). 11 Dans les paroles de l’auteur, le concept d’exil tout d’abord perçu en tant que déracinement, errance, souffrance conçue sous la forme dramatique du départ vers la terre promise, peut devenir libérateur, lumineux ouvrant « des horizons insoupçonné » (Kundera, 1987 : 151). 12 L’auteur est convaincu que l’« on ne peut plus parler de l’exil comme on en parlait jusqu’ici » (Kundera, 2009 : 125). Cette idée est renforcée par les propos de François Tallendier qui soutient que « l’exil est chez Kundera une valeur ambiguë, à la fois drame et salut » (Tallendier, 2011 : 55). 13 A l’instar de Kundera, nous pouvons ici rappeler les paroles de Trigano qui défend lui aussi que nous devons, « apprendre à voir l’exil comme un choix libre, un projet créatif que l’homme fait dans la condition de déracinée » (Trigano, 2001 : 31). Trigano ajoute à cette réflexion que « avec l’exil, un tournant radical est vécu : ou bien l’exilé se perd corps et biens avec la dislocation de la ronde de la transmission, ou bien il se fait commencement d’une transmission à venir, se uploads/Litterature/ pour-une-definition-de-lexil-dapres-milan-kunder.pdf
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- Publié le Mai 31, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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