REVUE ------------------------------------ --------------- NUMISMATIQUE Dirigée

REVUE ------------------------------------ --------------- NUMISMATIQUE Dirigée par C. Morrisson, M. Amandry, M. Bompaire, O. Picard Secrétaires de la rédaction Fr. Duyrat, A. Hostein C. Grandjean ISSN 0484-8942 2011 (167e volume) SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE NUMISMATIQUE Diffusion : Société d’édition « Les Belles Lettres » 2011 ---------------------------------------------------- Publiée avec le concours de l’Institut National des Sciences Humaines et Sociales du Centre national de la recherche Scientifique RN 2011, p. 19-32 Lucia Travaini* Monnaies, marchands et mathématique Les listes des monnaies dans les traités de mathématique et les traités de marchandise du Moyen Âge italien Résumé – La plupart des livres d’abaque et des livres de marchands italiens des xiiie-xive siècles fournissent sur les monnaies médiévales des données abondantes qui n’ont guère été exploitées. L’étude des monnaies citées dans chacun d’eux apporte beaucoup à la recherche numismatique mais elle permet aussi de dater ces textes eux-mêmes (comme pour le traité d’abaque de l’université de Columbia). Le travail consacré par Philip Grierson à dater la liste des monnaies figurant dans le manuel de Pegolotti a ouvert la voie à cette enquête qui m’a permis de réunir et de présenter dans Monete mercanti e matematica bien d’autres listes similaires qui sont ici soumises à la discussion. Summary – Most Italian abacus books and merchant’s books of the 13th and 14th centuries offer important data on medieval coins but had not been investigated accurately; a careful study of the coins named in each of them can help our research on coins, but it can also help dating the texts themselves (like for the Columbia University abacus). Philip Grierson has been the first to open up this field of investigation, re-dating the Pegolotti coins list; many more are lists of similar structure, and they will be discussed, in the light of the work gathered in the book Monete mercanti e matematica by the present author. Dans cette introduction1, je chercherai à expliquer les premiers pas de mes recherches sur la matière qui nous occupe dans ces journées. Le point de départ était les listes de monnaies retrouvées dans les manuels d’arithmétique et dans les livres des marchands italiens. Je voudrais ajouter que j’étudie les monnaies médiévales depuis plusieurs années et que, bien sûr, j’ai eu à réfléchir au sujet des marchands, des ateliers monétaires comme lieux de frappe ou des techno- logies d’essai et d’affinage des alliages métalliques, en onces et carats, tarì et grains. Je n’avais pourtant jamais pensé à la mathématique et à l’histoire de la mathématique pour la numismatique, ce qui aujourd’hui me semble incroyable, * Università degli Studi di Milano. Facoltà di Lettere e Filosofia. Dipartimento di Scienze dell’Antichità. Via Festa del Perdono, 7, 20122 Milano Italie. Courriel : ltravai@tin.it. 1. Ce texte a été présenté en introduction lors du colloque international Culture monétaire, aspects mathématiques, technologiques et marchands (xiii-xvie siècle), Orléans–Paris 2-4 sep- tembre 2004. Ce colloque a été le fruit d’un long parcours. Le projet primitif était de l’organiser à Rome. Pour diverses raisons et par bonne fortune, la manifestation s’est déroulée à Orléans et à Paris sur une échelle plus vaste que celle qui était envisagée à l’origine. Je tiens à remercier chaleureusement tous ceux qui, dès le début, ont voulu y participer et surtout Marc Bompaire et Cécile Morrisson, qui ont pris en charge cette idée à laquelle nous travaillions ensemble, la développant et incluant avec leur enthousiasme plusieurs autres collègues. LUCIA TRAVAINI 20 RN 2011, p. 19-32 leur lien m’apparaissant maintenant évident. En guise d’excuse, je ne peux que répliquer que les historiens de la mathématique n’ont guère étudié la numisma- tique. À Cambridge, j’ai découvert les premiers manuels d’arithmétique avec des listes de monnaies médiévales, pendant que je cherchais à approfondir l’étude des listes figurant dans les livres des marchands. À Cambridge, il est toujours possible faire des grandes découvertes, surtout si on a la chance de travailler avec un grand et généreux maître tel que Philip Grierson (1910-2006). Depuis 50 ans, Philip Grierson recueillait tous les documents utiles au sujet des monnaies de l’Europe médiévale et dans une « boîte magique » nommée COIN VALUATION, il avait inclus les listes de monnaies tirées des textes publiés de marchands, tels que Lippo di Fede, la « Pratica Datiniana », Saminiato de’ Ricci, le Pseudo-Chiarini, et aussi les transcriptions de manuscrits inédits de livres des marchands et de manuels d’arithmétique2. Ces transcriptions du dossier de Philip Grierson se réfèrent à d’autres correspondances scientifiques et amicales : on y voit par exemple que la liste de monnaies du traité d’arithmétique de la Biblioteca Marciana de Venise et celle du livre du marchand Acciaiuoli de la Biblioteca Nazionale de Florence lui furent transmises de la part de Robert-Henri Bautier par Cécile Morrisson, en juin 1982. Chaque liste diffère des autres par quelque détail et demande des explications particulières. Pourtant la liste du plus grand intérêt pour moi fut d’emblée celle du manuel d’arithmétique de la Columbia University Library qui avait été daté du xive siècle : cette liste me semblait antérieure à la partie la plus ancienne de la liste de Pego- lotti, jusqu’ici la plus connue ; on n’y trouve pas le ducat de Venise et j’estimais que la liste devait être antérieure à 1284. Cela me semblait important, mais il fallait vérifier les dates, les stratifications dans la formation des diverses listes dans les divers manuscrits : c’est de cette façon que j’ai commencé le travail qui a produit le livre Monete mercanti e matematica, et m’a conduite à souhaiter ce colloque. Les découvertes ne s’arrêtaient pas là. Par exemple, l’examen de la liste d’arithmétique de la Marciana, datée à peu près de 1305 se révélait pleine de surprises pour les collègues français : dans la transcription du professeur Bautier on lisait « reali d’oro di San Luigi » et « fiorini d’oro di San Luigi parigini ». Saint Louis fut canonisé en 1297, et on pouvait ainsi justifier en 1305 le développement des abréviations proposé par R.-H. Bautier comme SL pour « saint Louis», mais en réalité l’abréviation SL pouvait se résoudre d’une autre façon, comme soldi 50 (50 sous) ; il s’agissait en effet d’une indication sur la valeur et le poids des deux monnaies d’or3. 2. Sur ces textes voir Travaini 2003, p. 72-73. 3. Je suis très reconnaissante à Michel Dhénin pour cette explication. MONNAIES, MARCHANDS ET MATHÉMATIQUE 21 RN 2011, p. 19-32 Reali d’oro di S L (=soldi 50 [tornesi]) l’uno XXIIII. Pari[gi]ni (?) d’oro di S L (=soldi 50) parigini l’uno XXIIII men 1/10. Les parigini coll’agnus dei des listes de Jacopo da Firenze e Datiniana, probablement relatifs à une émission de saint Louis n’ayant pas survécu, étaient une autre de ces surprises4. En cherchant à élucider les divers problèmes soulevés par chaque liste de monnaies, une méthodologie d’étude s’est progressivement établie : 1) les listes des monnaies des manuels en question devaient être étudiées dans leur totalité, chacune individuellement et en examinant leur fonction dans le texte ; ensuite elles pouvaient être comparées les unes aux autres en vue d’établir une séquence chronologique, ce qui a été fait, avec des résultats plus ou moins satisfaisants, qu’on pourra toujours améliorer et affiner (tableau 1) ; 2) le travail ne pouvait pas être fait isolément, et les numismates et les historiens de la mathématique devaient travailler ensemble sur les divers problèmes apparaissant pour chaque liste et pour chaque document ; 3) il fallait mettre ces listes à la disposition des étudiants et chercheurs, les rendre facilement consultables, afin que chacun puisse ensuite contribuer à la reconstruction de l’ensemble. Tableau 1 - Datation des listes de monnaies dans divers livres de marchands et manuels d’arithmétique (Travaini 2003, p. 86).5 Texte5 Datation de la liste de monnaies Columbia c.1280 Pegolotti c.1290 (ajouts : c.1305 et c.1320) Datiniana c.1300 Jacopo da Firenze c.1302 Acciaiuoli c.1306 Marciana c.1305 Paolo Gherardi Or, c.1250 ? Argent, c.1306 ?, c.1315 ? Lippo di Fede c.1314 Saminiato 1396 Pseudo-Chiarini c.1380 Antonio da Pescia (continuateur de Saminiato) 1418 Uzzano c.1425 Camaiani c.1420 ? peu après 1432 ? 4. Travaini 2003, p. 77, 102-103 ; hypothèse accueillie par Bompaire, Hourlier 2005. 5. Les problèmes de datation des textes sont discutés dans Travaini 2003. LUCIA TRAVAINI 22 RN 2011, p. 19-32 L’accessibilité des textes était un problème déjà pour les listes publiées : par exemple pour la liste de Pegolotti on trouve souvent citée en Italie l’édition de Pagnini del Ventura de 1766, puisque l’édition d’Allan Evans y est introuvable. Les chapitres comportant les listes de monnaies du livre de Giovanni di Antonio da Uzzano se trouvaient seulement dans la même médiocre édition de Pagnini del Ventura de 1766. Le livre de Charles de la Roncière concernant Lippo di Fede del Sega, avec une liste importante, est disponible en peu d’exemplaires et seulement dans quelques bibliothèques. J’ai donc repris les transcriptions de ces textes, à côté de celles de manuscrits inédits6, en y ajoutant quelques commentaires, un glossaire, et sur cette base ont surgi plusieurs questions pour lesquelles les réponses sont à chercher dans les uploads/Litterature/ revue-numismatique.pdf

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