Revue d'histoire et de philosophie religieuses La « parabole » du Jugement Dern

Revue d'histoire et de philosophie religieuses La « parabole » du Jugement Dernier (Matthieu 25/31-46) Jean-Claude Ingelaere Citer ce document / Cite this document : Ingelaere Jean-Claude. La « parabole » du Jugement Dernier (Matthieu 25/31-46). In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 50e année n°1,1970. pp. 23-60; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1970.4000 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1970_num_50_1_4000 Fichier pdf généré le 23/11/2019 LA α PARABOLE » DU JUGEMENT DERNIER (MATTHIEU 25/31-46) Depuis ces dernières années, la « Parabole » du Jugement Dernier est au centre des discussions pour une nouvelle théologie. Notre dessein n'est pas de prendre position dans ce débat général, mais de tenter une étude exégétique d'un texte devenu important (a). Généralement, cette péricope est comprise comme une évocation du Jugement universel de la fin des temps, dont le critère serait l'amour du prochain, et plus particulièrement du pauvre, avec lequel le Fils de l'Homme affirmerait très clairement sa solidarité. Prenant au sérieux cette dernière affirmation, des théologiens contemporains en font le fondement d'une nouvelle compréhension du Christ et de l'homme 1. Un second courant d'interprétation se situe dans la ligne d'Origène et de Luther : soucieux de donner un enseignement à l'Église, ces commentateurs préfèrent y voir le Jugement des chrétiens selon leur attitude envers les membres de la communauté les plus défavorisés. Enfin, une minorité propose une solution toute différente : ce texte décrirait le Jugement des païens d'après leur comportement à l'égard des chrétiens. Les divergences portent donc essentiellement sur les réponses données à ces deux questions : qui sont les nations jugées par le Fils de l'Homme ? qui sont les plus petits frères du Fils de l'Homme ? Mais il n'est pas inutile d'examiner l'ensemble de la péricope. Il est difficile de se prononcer avec certitude sur l'authenticité de ce texte. La présence de nombreux traits secondaires, caractéristiques du pre- a) Cet article reprend les principaux chapitres d'une thèse de Licence. Nous remercions tout particulièrement M. le Professeur Trocmé, de l'Uni¬ versité de Strasbourg, qui a dirigé notre travail. Nous devons beaucoup aux entretiens qu'il a bien voulu nous accorder sur le sujet. Peu après la rédaction de cette étude, achevée en janvier 1969, un exégète américain a publié un article où il défend des thèses pour l'essentiel identiques aux nôtres : Lamar Cope, « Mt 25/31-46, « The sheep and the goats » reinterpreted », Novum Testamentum, 1969, pp. 32-44. Nous sommes plus réservé sur les implications qu'il en tire. Par contre, nous n'avons pu nous procurer l'article de J. Winandy, « La Scène du Jugement dernier », Sciences Ecclésiastiques, 1966, pp. 170-186. 1 Ainsi J. A. T. Robinson, Dieu sans Dieu, Paris, 1964, p. 81. Cf. aussi les remarques de R. Mehl, « La Catholicité de l'Eglise », RHPR, 1968, p. 369, à propos des tendances exprimées lors des conférences œcuméniques : pour certains théologiens « le sommaire de l'Evangile- c'est Matthieu 25/31 à 46 ». 24 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES mier Évangile, suggère que l'ensemble de la péricope a été pour le moins largement retouché2. L'absence de parallèle synoptique rend délicate la recherche d'un noyau authentique et de son sens originel. Nous nous con¬ tenterons donc d'étudier le texte tel qu'il se présente à nous dans le cadre du premier Évangile. Ce texte constitue la conclusion du dernier grand discours de l'ouvrage : le Discours eschatologique de Mt 24-25. Cette composition peut être considérée comme une instruction3 centrée sur la Parousie (Mt. 24/3). La première partie du discours prépare la venue du Fils de l'Homme (Mt. 24/30s). Cette apparition est suivie chez Matthieu de paroles que l'auteur a vraisemblablement regroupées pour la circonstance. Cette collection de sept « paraboles de parousie » 4 explicite la signification de l'événement. Les quatre dernières décrivent le Jugement, déjà évoqué en Mt. 24/37-42. Il est permis de penser que les Paraboles de l'Homme de confiance (Mt. 24/45-51), des Dix vierges (Mt. 25/1-13), et des Talents (Mt. 25/14-30), ont été comprises par l'Évangéliste comme des allégories du Jugement des chrétiens 5. Faut-il voir dans notre texte la simple récapitulation des exemples précédents ? A notre sens, ce tableau décrit un nouvel acte du drame final. Après avoir jugé les siens, ceux qui le connaissent et l'attendent, le Fils de l'Homme se révélera dans toute sa gloire aux nations, à ceux qui ne le connaissent pas, pour les juger à leur tour®. β « « I. LA VENUE DU FILS DE L'HOMME L'Évangile selon Matthieu a une prédilection pour le titre de Fils de l'Homme : cette expression apparaît en effet trente fois dans le premier Évangile, contre quatorze fois dans le second, et vingt-cinq fois dans le a Cf. les remarques de G. Haufe, « Soviel ihr getan habt einem dieser meiner geringsten Brüder ... », in Ruf und Antwort, Festg. E. Fuchs, Leipzig, 1964, pp. 485s ; et de J. Jeremias, Les Paraboles de Jésus, Le Puy, 1962, pp. 87s, 198. Ce travail rédactionnel peut être attribué soit à l'Evangéliste, soit à la communauté active avant lui (cf. n. 3). Cf. aussi Lamar Cope, op. cit., pp. 36ss, 42ss (qui ne cite pas G. Haufe). 3 Nous nous rallions d'une façon générale à l'hypothèse formulée par K. Stendahl, The School of St. Matthew, Lund, 2e éd., 1968, pp. 21ss, selon laquelle le premier Evangile aurait été élaboré dans une école, un cercle de théologiens où aurait été dispensé un enseignement destiné aux responsables d'Eglises. Pour cette raison, cet Evangile a pris « la forme d'un manuel pour l'enseignement et l'administra¬ tion à l'intérieur de l'Eglise » (p. 35), dont les cinq grands discours forment l'ossature. * J. Jeremias, op. cit. p. 97. 8 II faut remarquer que les personnages ont reçu une mission et attendent le retour d'un maître qui tarde. N'est-ce pas une allusion à la situation de l'Eglise matthéenne ? Matthieu semble décrire ici trois jugements : celui des chefs de com¬ munauté (Mt. 24/45ss), celui des morts (Mt. 25/lss) et celui des vivants (Mt. 25/14ss). Cet enseignement rappellerait celui de 1 Thes. 4/13ss. β Le changement de forme littéraire nous paraît important. Nous n'avons plus comme précédemment une parabole à proprement parler, mais un tableau de Juge¬ ment, genre dont les apocalypses donnent de nombreux exemples. Cf. Strack-Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, Munich, 1922ss, IV, 2, 33. Exk. : Gerichtsgemälde aus der altjüdischen Literatur, pp. 1199-1212. Le mot « parabole » ne peut être conservé que dans un sens très large (cf. J. Jeremias, op. cit., Îi. 196). Lamar Cope, op. cit., pp. 33ss, aboutit aux mêmes conclusions concernant a forme du texte, et la structure du discours eschatologique. LA PARABOLE DU JUGEMENT DERNIER 25 troisième. Il est remarquable que la majorité des paroles sur le Fils de l'Homme qui lui sont particulières concernent la venue eschatologique (Mt. 10/23, 13/41, 16/28, 19/28, 25/31 ; autrement : Mt. 13/37, 16/13, 26/2). On a coutume de dire que la caractéristique essentielle des paroles sur le Fils de l'Homme dans le premier Évangile consiste en ce fait que l'auteur identifie totalement Jésus et cette figure7, au point que le titre et le moi de Jésus sont pour lui interchangeables. Dans l'explication de la Parabole de l'Ivraie (Mt. 13/36ss), propre à Matthieu, et généralement considérée comme secondaire8, il est fait deux fois mention du Fils de l'Homme. Au v. 37, le Fils de l'Homme est le semeur ; il désigne ainsi l'activité terrestre de Jésus. Par contre, le v. 41 évoque l'activité eschatologique souveraine du Fils de l'Homme. Pour Mat¬ thieu, Jésus est donc le Fils de l'Homme dans deux sens : en tant que prédicateur terrestre du Royaume et comme Juge eschatologique9. Le logion de Mt. 10/32s a été emprunté à la source Q : il a un parallèle en Le 12/8s qui met en scène le Fils de l'Homme. Matthieu au contraire fait parler Jésus à la première personne. Si la version lucanienne est primitive, comme l'a montré Kümmel, il faut admettre que Matthieu a remplacé la troisième personne par la première. Ces versets sont alors la référence pré¬ férée de ceux qui affirment l'identification de Jésus et du Fils de l'Homme par l'Évangéliste 10. Mais Klostermann remarque justement que cet έγώ n'est pas le Juge lui-même, comme en Mt. 7/21ss, 16/27, 25/31 : Jésus est ici témoin u. Ce fait nous donne l'explication de cette modification peu com¬ préhensible au premier abord : Matthieu a éliminé la mention du Fils de l'Homme parce que ces versets ne correspondaient pas à l'image qu'il s'en faisait ; selon Matthieu, le Fils de l'Homme est Juge, non intercesseur ou témoin 12. Nous remarquerons également que dans l'introduction au discours eschatologique, les disciples interrogent Jésus sur « sa » Parousie (Mt. 24/3). Mais Jésus parle de la « Parousie du Fils de l'Homme » (24/27, 37, 39). Ainsi les disciples identifient Jésus et le Fils de l'Homme, mais Jésus maintient une distinction. Par conséquent, il n'est pas suffisant de dire que pour Matthieu Jésus est le Fils de l'Homme 13. C'est vrai, mais « Matthieu uploads/Litterature/ rhpr-0035-2403-1970-num-50-1-4000.pdf

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