Sappho de Lesbos… et l’anandrisme Synergies Monde Méditerranéen n°4 - 2014 p. 1
Sappho de Lesbos… et l’anandrisme Synergies Monde Méditerranéen n°4 - 2014 p. 121-136 121 Reçu le 09-06-2014 / Évalué le 29-06-2014/Accepté le 22-10-2014 Résumé Sappho de Lesbos, que Platon nommait la dixième Muse, nous laisse sur le monde antique un singulier regard féminin. C’est à Alexandrie que Sappho fut classée à l’égal des hommes, parmi les neuf grands poëtes lyriques grecs… En l’état actuel des connaissances, nul ne peut se faire une idée précise d’un seul texte intégral de Sappho. Ses Livres sont perdus… Ce qui demeure pour la lecture des poèmes de la dixième Muse est seulement constitué de fragments provenant de sources diverses. Sappho de Lesbos était, contrairement aux idées mal reçues, une grande mystique du paganisme grec archaïque et d’un point de vue géographique, une authentique Lesbienne, une Mytilènienne. Après avoir été auréolée de gloire pendant toute l’antiquité, elle est devenue tardivement, depuis la fin du XXe siècle et après plusieurs métamorphoses, l’icône du lesbianisme… Elle doit cette identification en grande part au procès que l’on fit à Baudelaire au nom de la morale lorsque celui-ci fit éditer Les Fleurs du Mal. La signification contemporaine du mot lesbienne en français est bien surprenante. En effet, comme synonyme artificiel, il relie, sans détour, Sappho à l’homosexualité féminine. Pourtant la langue française a d’autres ressources que cette banale locali sation grecque des amours entre femmes qu’il serait bien plus judicieux de nommer anandrisme (andros = homme + a privatif) afin d’éviter toute confusion entre cette identité et celles des habitantes de l’île éolienne de Sappho, les Lesbiennes… Mots-clés : poésie, Sappho, Pythagorisme, Baudelaire, Procès Sappho de Lesbos… et l’anandrisme Abstract Sappho of Lesbos that Platon nammed the Tenth Muse leaves us with a particular and unique view of Antiquity. In Alexandria, she was recognized as equal to men as one of the Nine Great lyric poets. As far as we know, no one has knowledge of one single complete text of Sappho’s work. Her “books” are lost. What poetry remains of the Tenth Muse are merely fragments coming from diverse sources. Despite our misconceived notions, Sappho of Lesbos was a great mystic of Greek archaic paganism, and from a geographical point of view, an authentic Lesbian, a Mytilenian. After basking in glory throughout antiquity, and following several metamorphoses over time, she became an icon of lesbianism at the end of the 20th century. This identification in great part the result of Baudelaire’s “in the name of morality” when he published “Les Fleurs du Mal”. The contemporary definition of lesbian in French is really surprising. In fact, as a Pierre Landete L2RCavocats@wanadoo.fr GERFLINT Synergies Monde Méditerranéen n°4 - 2014 p. 121-136 factitious synonym, it directly links Sappho to feminine homosexuality. There are other resources in French than a simple Greek geographical location to name love between women. It would be wiser to name it anandrisme (andros = man + a private) to avoid any confusion between this lesbian identity and that of the female inhabitants of the Aegean island of Sappho, the Lesbians… Keywords : Poetry, Sappho, Pythagorism, Baudelaire, Trial Sous l’influence de Pythagore (580-494 av. J.-C.) et de ses disciples qui avaient fait du nombre 10 un symbole de perfection, Platon (429-347 av. J.-C.), en écrivant que Sappho (640-570 av. J.-C.) était la dixième Muse, donnait à Zeus et Mnémosyne, la déesse de la mémoire, une fille supplémentaire. Il y a 26 siècles, Sappho jetait les bases de la littérature de l’Occident et de l’Orient méditerranéen. À Lesbos, la poëtesse dirigeait un thiase, un lieu d’enseignement nommé Maison des Muses qui inspira de nombreuses Écoles au premier rang desquelles le Temple des Muses de Pythagore ou l’Académie de Platon puis indirectement le Lycée d’Aristote (384-322 av. J.-C.), le Jardin des épicuriens, le Portique des stoïciens, le Gymnase des cyniques ou encore le Musée des alexandrins… C’est à Alexandrie que Sappho fut classée, parmi les neuf grands poëtes lyriques grecs des VIIe, VIe et Ve siècles av. J.-C : Alcman, Stésichore (630-550 av. J.-C.), Ibycos, Alcée (650-580 av. J.-C.), Simonide (556-467 av. J.-C.), Anacréon (575-464 av. J.-C.), Pindare (522-438 av. J.-C.) et enfin Bacchylide (507-430 av. J.-C.), neveu de Simonide et oncle d’Eschyle (525-456 av. J.-C.) le Père de la tragédie grecque. Dans ce classement majeur, elle est la seule femme, placée ainsi à l’égal des poëtes conformément aux vœux d’Aristote, probable initiateur de l’introduction à Alexandrie de la copie des Neufs Livres écrits par La lesbienne. C’est aux rivages du phare de La Perle que s’opéra, dès le IIIe siècle av. J.-C., la mise en ordre de toute la paideia grecque, de la littérature, des sciences, de tous les savoirs et de toutes les fables d’Homère (IXe siècle av. J.-C.). La dixième Muse nous laisse sur le monde antique un singulier regard féminin mais elle ne fut pourtant pas la seule femme à partager l’aventure intellectuelle grecque. Exempli gratiae, il sera suffisant de citer… les poëtesses Erinna (VIIe siècle av. J.-C.), Anyté de Tégée, Nikô de Samos (Ve siècle av. J.-C.), Corinne de Tanagra (IVe siècle av. J.-C.) et… les philosophes Aspasie de Millet (470-400 av. J.-C. sa demeure fut un important centre de la vie intellectuelle à Athènes) ou Hypatie (370-415 à Alexandrie, elle dirigea une école de philosophie)... Les œuvres de ces femmes sont presque toutes perdues et c’est de Sappho dont on retient encore aujourd’hui le génie à l’instar du grec Strabon (64 av. J.-C.- 25). Il y a deux mille ans, le savant écrivait que Sappho était un être extraordinaire … car il n’est, en aucun temps, si loin que l’on puisse remonter, 122 Sappho de Lesbos… et l’anandrisme d’autre femme capable de rivaliser avec elle en matière de poésie. Pour lui, comme pour tant d’autres, Sappho, une femme, résumait à elle seule toute la paideia dont le peintre Raphaël (1483-1520) réunissait les membres, quinze siècles plus tard, au Parnasse et sur L’école d’Athènes. Ces deux chefs d’œuvres illustrent avec éclat le propos. Rappelons qu’ils sont Salle de la Signature au Musée du Vatican. Le Maitre de la Renaissance a peint, au Parnasse la Muse Calliope, la mère d’Orphée, en l’associant à sa sœur putative : Sappho. Sur sa toile, pour la distinguer, il écrit même son nom : Sappho. Mais c’est une autre femme qu’il fait apparaître sur la peinture intitulée L’école d’Athènes… une femme dont la fin tragique marque celle définitive de la paideia. Après elle, il faudra des siècles pour qu’une femme ait une quelconque renommée dans le domaine de la pensée : Raphaël peint la grande philosophe néoplatonicienne Hypatie… torturée et assassinée par de fanatiques croyants de la chrétienté primitive. Ceux-là même qui voulaient en finir avec le libre savoir grec et avaient déjà entrepris de brûler un peu partout les écrits de tant d’auteurs. Le meurtre d’Hypathia et les autodafés de livres attestent toujours du drame de l’intolérance religieuse envers tous et envers les femmes en particulier. Lorsque Raphaël représenta Hypathia, il reçut, du Pape, l’ordre de ne pas le faire car, comme pour Sappho, la foi ne devait rien savoir d’elle. Ainsi, sur le tableau, Hypatie prit les traits d’un personnage efféminé : un neveu du Pape qui n’avait rien à voir avec L’école. En prenant tous les risques, le peintre réussit avec grâce à rendre hommage à ces deux icones féminines de la pensée antique qui vit le jour avec l’une pour mourir avec l’autre : Sappho de Mytilène et Hypatie d’Alexandrie. Ces femmes sont aux limbes avec Aspasie que Delacroix (1798-1863) n’oublia pas en peignant les siennes pour le Palais du Luxembourg à Paris. En l’état actuel des connaissances, nul ne peut se faire une idée précise d’un seul texte intégral de Sappho. Ce qui demeure pour la lecture des poèmes de la dixième Muse est seulement constitué de fragments provenant de sources diverses : d’abord de citations d’auteurs anciens et ensuite de ses textes retrouvés en Egypte à Oxyrhynchus à la fin du XIXe siècle sur des papyri détériorés. Au début du XXe siècle, on découvrit à Rome, une mystérieuse Basilique souterraine à côté de la Porte Majeure. Dans cette Basilique au décor de stucs blancs, la repré sentation de Sappho est centrale conformément à ce que les pythagoriciens avaient souhaité pour leur liturgie. En accord avec les vers écrits par Ovide (43 av. J.-C. -17) dans sa XVe Héroïde, on peut en effet contempler Sappho dans ce temple sur le stuc principal de l’abside. La dixième Muse y exécute le saut rituel du haut de la falaise de l’île blanche de Leucade, résumé du credo pythagorique, acte de foi et de confiance dans l’espérance du salut de l’âme humaine et de sa vie éternelle… Sappho était de Lesbos, une île à l’Orient de la Grèce. Leucade, une île à l’Occident. Sappho était, contrairement aux idées mal reçues, une grande mystique du paganisme grec archaïque 123 Synergies Monde Méditerranéen n°4 - 2014 p. 121-136 et d’un point de vue géographique, elle est toujours une authentique Lesbienne de Mytilène. Si, plus près de nous, elle est devenue uploads/Litterature/ sappho-et-l-x27-anandrisme.pdf
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- Publié le Mai 25, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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