18/11/2018 Une brève histoire de la lutte contre le plagiat dans le monde acadé
18/11/2018 Une brève histoire de la lutte contre le plagiat dans le monde académique | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2015-1-page-171.htm 1/13 Une brève histoire de la lutte contre le plagiat dans le monde académique Michelle Bergadaà Dans Questions de communication 2015/1 (n° 27), pages 171 à 188 Article ous avons lu avec intérêt l’article de Brigitte Simonnot « Le plagiat universitaire, seulement une question d’éthique ? » (2014). Ce texte est fort utile puisqu’il encourage un débat sur le thème. Partant d’une expérience personnelle vécue il y a dix ans, l’auteure présente divers points relatifs au plagiat universitaire qui permettent de se faire rapidement une idée de l’ampleur du thème. De tels écrits interpellent ceux qui refusent encore de s’informer et d’appréhender la gravité du phénomène. Nous ne pouvons donc que saluer l’initiative de Brigitte Simonnot et son désir de contribuer à porter le débat sur la place publique. En e÷fet, l’actualité est chargée en matière de plagiat, comme l’illustre une semaine « normale » en ce qui nous concerne. Ainsi, le 17 avril 2015, Educpros titrait : « Thèse : attention au plagiat ! » [1]. La journaliste Morgane Taquet présentait les cinq conseils pour éviter de tomber dans ce grave travers lors de la période de construction intellectuelle et personnelle des années de doctorat. Le 22 avril, nous étions au Luxembourg, en tant que présidente de la commission d’intégrité scientifique de la recherche du Fonds national de la recherche (FNR, Luxembourg), pour inaugurer le lancement d’une structure nationale pour l’intégrité scientifique de la recherche [2]. Le 23 avril, nous présentions une conférence – « Le plagiat : de la négligence à la fraude » – au 16 congrès de la Society Dental Science à Genève. Le 24 avril, nous participions à une séance d’expertise concernant une plainte pour plagiat qui mettait dos à dos un établissement académique et un membre d’un gouvernement. Pourquoi ce qui était, il y a dix ans encore, un phénomène marginal,est-il en train d’exploser sur la scène publique ? 1 N e C’est le fait de la conjonction de cinq mutations convergentes. La première est l’« infobésité » due à l’internet. Alors que, il y a 20 ans encore, la recherche se fondait sur l’aptitude à débusquer l’information rare et à lui donner un sens, notre métier repose aujourd’hui sur nos compétences à trier dans une masse sans cesse croissante (de quelques 2,5 millions de nouvelles publications par an) les informations fiables et valides. La deuxième mutation est certainement le phénomène de « peopolisation ». Le web est devenu une vitrine qui permet à chacun d’exposer ses réalisations, de s’exposer. Une majorité de jeunes collègues ont des pages personnelles sur les réseaux sociaux ou des blogs dédiés, et ils contribuent à des portails thématiques. Il est déprimant de réaliser des travaux, des work in progress ou des thèses qui ne seront lus que par un nombre limité de personnes, voire seulement par leur directeur de thèse… Nombreux sont ceux qui publient des ébauches de recherches dans des revues en ligne n’ayant pas de comité de lecture sérieux. La troisième mutation est sans doute cet impérieux « sentiment de l’urgence », alors même que l’esprit humain ne se satisfait pas de l’instantanéité. Il a besoin de temps pour comprendre de nouveaux concepts, classer les éléments, opposer les idées en les contredisant, lier les éléments portés à sa connaissance en fonction d’une logique de la cause ou de la conséquence, développer sa propre synthèse en liant divers concepts entre eux. Mais, en plongeant dans le web pour « legoliser » leur « produit de recherche », beaucoup empruntent, ici et là, des petites « briques » de connaissance à l’un ou l’autre des auteurs parcourus rapidement. Puis, ils reconstruisent les paragraphes afin de personnaliser leurs textes. La quatrième mutation est bien sûr « le poids de la quantification de la recherche ». La loi de l’H-index et de l’impact factor conduit les établissements et les laboratoires à viser une productivité croissante et ciblée. Par conséquent, leur posture vis-à-vis de leurs chercheurs, de leurs doctorants et de leurs collaborateurs scientifiques ne repose plus sur le questionnement : « Que publiez-vous ? », encore moins « Que cherchez-vous ? », mais « Quand publiez-vous ? ». Enfin, la cinquième mutation est le résultat d’un postmodernisme assumé qui conduit à réaliser des « publications salami » (« salami slicing ») qui consistent, à partir d’une seule recherche, à trouver les plus petites unités de recherche publiables afin d’obtenir le plus grand nombre d’articles possible (et ainsi augmenter le nombre de ses autocitations). Bien entendu, dans cette mosaïque de produits sur le marché, la perte de sens est immédiate. 2 18/11/2018 Une brève histoire de la lutte contre le plagiat dans le monde académique | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2015-1-page-171.htm 2/13 Les années de la prise de conscience « (1) du plagiat au sens strict relativement peu fréquent malgré tout (2) aux camouølages recourant à des techniques assez grossières (mots remplacés par des synonymes, lignes sautées ou inversées, passage de l’actif au passif ou vice versa... ) puis (3) aux camouølages recourant à des techniques plus sophistiquées comme la modification plus travaillée de phrases finissant par constituer un texte dont l’essentiel (la structure) est emprunté, à l’insu du lecteur et enfin (4) aux textes parasites qui reprennent d’un auteur l’essentiel de son langage en parvenant à faire sonner des phrases très sensiblement comme celles de cet auteur dont la notoriété garantit alors crédibilité et succès à ce qui se rattache à sa pensée ». Dans cet univers, force est de constater que notre système fonctionne encore selon des règles de contrôles et de sanctions qui étaient peut-être e÷ficaces au XX siècle mais qui sont totalement inappropriés aux mutations irréversibles. Dès lors, les cas de plagiat se manifestent en tout lieu et à tout moment au niveau interpersonnel mais aussi inter- institutions. Cependant, les réactions sont en train de poindre, laissant présager une restructuration prochaine de notre univers académique. Afin de mieux cerner comment se sont ordonnées ces réactions au cours de ces dernières années et ce qui se profile, nous adoptons une perspective historique des recherches sur le plagiat, essentiellement de l’espace francophone. Cela permettra également au lecteur souhaitant approfondir le sujet de disposer de références des auteurs qui ont fondé ce champ de recherche. 3 e Parmi les textes fondateurs de ceux qui devinrent les principaux artisans de l’action contre le plagiat universitaire, celui de Maurice Lagueux (1982) [3] sur le « Plagiat inconscient » occupe une place à part. Maurice Lagueux est un philosophe. Sa proposition fondamentale est de s’attacher au plagiat, non à l’acteur, et d’en proposer quatre types (ibid. : 12) : 4 5 En 2015, de nombreux acteurs sont encore convaincus que l’usage d’un logiciel de détection des plagiats su÷fira à les dédouaner de toute négligence dans la surveillance du plagiat. Mais il est tellement simple, pour un tricheur, de les utiliser pour éviter d’être démasqué ! À ces personnes s’obstinant à promouvoir un contrôle automatique et quantifié du plagiat, nous proposons, suivant l’idée de Maurice Lagueux (1982), une méthode de qualification des modes opératoires [4] des plagieurs [5] dans tous les cas d’expertise que nous conduisons. Il ne s’agit plus de savoir « combien » de plagiats contient un article, un livre ou une thèse, mais « comment » s’articule ce comportement du plagieur. 6 Une autre auteure a marqué les prémisses de la lutte contre le plagiat : Hélène Maurel-Indiart (1999) a fait du plagiat littéraire son objet de recherche. Certes, sa perspective est littéraire et historique, mais, en 2007, un nouveau livre lui vaut une des premières plaintes en di÷famation déposée par un universitaire mis en cause. Elle obtient la protection juridique de son université et le plagiat acquiert ainsi ses lettres de noblesse d’« objet de recherche ». Elle gagne sa cause et ce cas révèle la manière dont sont imbriqués les mondes académiques, sociaux, médiatiques et légaux. À la même époque, outre-Manche, Jude Carroll (2004), pédagogue, se lance dans des travaux touchant à l’impact du plagiat dans le domaine de l’éducation. Elle publiera plus d’une dizaine de textes dont nous ferons état dans les pages suivantes. 7 La porte d’entrée dans ce sujet fut pour nous les nouvelles technologies. En 2003, nous dirigions un diplôme dédié à la e- communication, aux réseaux sociaux et au e-business [6], et nous avons pris la mesure de la gravité d’un phénomène porté par les cinq mutations décrites en introduction. Ces cinq facteurs se conjuguaient déjà pour conduire à une explosion de la « maladie » que personne ne saurait endiguer [7]. Considérant l’ampleur du problème pour notre société du savoir, notre choix méthodologique fut de créer le site Responsable.unige.ch afin de traiter ce fait social total de manière collaborative via l’internet. L’urgence fut de proposer à di÷férents acteurs majeurs de s’impliquer tout en portant la connaissance du phénomène sur la place académique. Le second objectif fut d’articuler une méthode de recherche- intervention qui s’appliquerait progressivement au niveau individuel, puis uploads/Litterature/ une-breve-histoire-de-la-lutte-contre-le-plagiat-dans-le-monde-academique-cairn-info.pdf
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- Publié le Apv 03, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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