YESHUA BEN PANTHERA : L’ORIGINE DU NOM. STATUS QUAESTIONIS ET NOUVELLES INVESTI

YESHUA BEN PANTHERA : L’ORIGINE DU NOM. STATUS QUAESTIONIS ET NOUVELLES INVESTIGATIONS Thierry MURCIA Université d’Aix-Marseille-Centre national de la recherche scientifique (UMR 7297) murcia.t.murcia@gmail.com À mon maître Gilles Dorival, amicalement Summary Yeshua ben Panthera is the most ancient name attributed to Jesus in the rabbinical literature: we find it in the Tosefta (c. 300 C.E.). The author of this article examines the various assumptions which have already been proposed by several scholars to explain the name “Pantera” – also attested by Celsus (c. 170 C.E.) – and the surname “Ben Panthera”. The name Panthera is also attested by epigraphy and various Christian documents present Panther(a) as Joseph’s father or Mary’s grandfather. Thus, the author estimates that, in fact, there are two different questions here. On the one hand: is “Ben Panthera” really an infamous designation? And, on the other hand: has the tra- dition of the name any historical value? He concludes that Panthera might be nothing but a family name or the second name – or eventu- ally the nickname – of Jesus’ father (Joseph). Résumé Le nom le plus ancien attribué à Jésus dans la littérature rabbinique est Yeshua Ben Panthera : il figure dans la Tosefta (ca 300 de notre ère). L’auteur de cet article examine les différentes hypothèses savantes proposées jusqu’ici pour expliquer le nom « Panthera » – également attesté par Celsus (ca 170 de notre ère) – et le patronyme « Ben Pan- thera ». Le nom Panthera est également attesté par l’épigraphie et divers documents chrétiens présentent Panther(a) comme étant le père de Joseph ou le grand-père de Marie. Aussi, l’auteur estime-t-il qu’en ++""+ © BREPOLS PUBLISHERS THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY. IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER. T. MURCIA 158 fait, les deux questions suivantes doivent être distinguées : d’un côté, « Ben Panthera » est-il réellement une appellation infamante ? Et, de l’autre : la tradition concernant ce nom a-t-elle une quelconque valeur historique ? Il arrive à la conclusion que Panthera ne devait être rien d’autre qu’un nom de famille voire le deuxième nom – ou éventuelle- ment le surnom – du père de Jésus (Joseph). Le nom le plus ancien sous lequel Jésus est connu dans la littéra- ture talmudique est Yeshua ben Panthera 1, Panthira ou Panthiri. Il est attesté à plusieurs reprises dans la Tosefta 2 : « Vint alors Jacob [homme] de Kephar Sama pour le guérir au nom de Yeshua Ben Panthera – ڽەۅۍۑ یھ ۏۂۖۆ – » 3. « J’ai rencontré Jacob [homme] de Kephar Sikhnin –یۆۍۈێ ەۑۈ ۖۆڽ – et il m’a dit une parole [ou un enseignement] de minut [“hérésie”] au nom de Yeshua ben Panthiri – ۆەۆۅۍۑ یھ ۏۂۖۆ – 4. » Ce nom n’apparaît sous cette (ou ces) forme(s) pour la première fois que dans la Tosefta. La Mishna l’ignore. Quant au Babli, quand il renvoie aux sources palestiniennes, il lui préfère la forme Pandera 5 – ڽەۆۀۍۑ –. Mais, dans les évangiles, Jésus est connu pour être le fils de Joseph 6. Aussi, de nombreuses hypothèses ont été émises pour expliquer ce nom de Panthera, transmis par la tradition juive 7. 1. Hypothèses diverses sur l’origine du nom Panthera. David-Friedrich Strauss, le premier, dans un article publié en 1839 sur les noms Panther, Panthera et Pandera dans les textes juifs et patristiques, a proposé de rapprocher Panthera du grec ϫϠϨϣϠϬϷϭ, 1. Sauf exception, je conserverai cette orthographe. 2. T Hullin 2, 22 et T Hullin 2, 24. 3. Dans l’édition de Zuckermandel. Yeshua Ben Panithera –یھ ۏۂۖۆ ڽەۅۆۍۑ– dans le manuscrit de Vienne. 4. Dans l’édition de Zuckermandel. Yeshua Ben Panthera (ou Panthira) – ڽەۆۅۍۑ یھ ۏۂۖۆ– dans le manuscrit de Vienne. 5. B. Shabbat 104b ; B. Sanhédrin 67a. 6. Lc 3, 23 ; 4, 22 ; Jn 1, 45 ; 6, 42. 7. Pour un très rapide survol, voir : Origène, Contre Celse, traduction de H. CHADWICK, Cambridge, 1965, p. 31, n. 3 ; texte grec et traduction de M. BORRET, I, Paris, 1967, p. 163, n. 4 (SC 132). Plus approfondi : R. DI SEGNI, Il V angelo del Ghetto, Rome, 1985, p. 113-116 ; et surtout : M. STERN, Greek and Latin Authors on Jews and Judaism, II, Jérusalem, 19922, p. 224-305. YESHUA BEN PANTHERA 159 le « beau-père » 8. D’après Paulus Cassel les Juifs auraient trans- formé parthenos en panthera pour discréditer Jésus et sa mère : la panthère, associée à Bacchus, aurait été considérée comme une bête lascive 9. Heinrich Laible défend la même idée 10. Elle est vivement critiquée par Hugh Schonfield 11. Pour Samuel Krauss il s’agirait en fait d’une déformation de ϫϷϬϨϪϭ 12. Il n’exclut pas cependant abso- lument la possibilité d’une influence concomitante du grec ϫϜϬϣϘ- ϨϪϭ, la « vierge » 13. Hermann L. Strack juge ce rapprochement avec ϫϷϬϨϪϭ indéfendable 14. Panthera serait plutôt, selon lui, un surnom donné au père nourricier de Jésus 15. Robert Eisler met Pandera en relation avec Pandaros, le nom d’un héros troyen parjure – dans l’Iliade (IV, 88-126) – et voit dans « Ben Pandera » une injure cou- rante chez les Juifs de l’époque 16. Mais pour Walter Ziffer il s’agirait plutôt du « fils de Pandore » 17. Travers Herford pense, pour sa 8. Cité par J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überliefe- rung, Darmstadt, 1978, p. 263 et p. 314, n. 599. 9. P. CASSEL, « Caricaturnamen », dans Aus Literatur und Geschichte, Berlin, 1885, p. 333-337. 10. H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge, 1893 (= Jesus Christus im Thalmud, Leipzig, 1891), dans G. DALMAN, Jesus Christ in the Talmud, Midrash, Zohar, and the Liturgy of the Synagogue, Cambridge, 1893, p. 22-24. D. JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de Jésus : Ben Pantera. Essai d’analyse philologique et historique », Theologische Zeit- schrift 64 (2008), p. 258-270, écrit que ce critique « estimait que le terme provenait du patronyme grec όϜϨϣϙϬϜ qui correspond au nom d’un sol- dat romain, amant de Marie et véritable géniteur de Jésus ». Ce n’est pas l’opinion de H. LAIBLE, Jesus Christ in the Talmud, Cambridge, 1893, p. 23, qui défend exactement les mêmes idées que P. Cassel et précise : « What then was intended to be expressed by the designation “Son of the panther”, from which there came later, “Son of Panther”? We answer, “Son of the Panther” meant “Son of sensuality” ». 11. H. SCHONFIELD, According to the Hebrews, Londres, 1937, p. 143-144. 12. S. KRAUSS, Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Berlin, 1902, p. 276, n. 12. 13. S. KRAUSS, « The Jews in the Works of the Church Fathers », Jewish Quarterly Review 5 (1893), p. 143-144. 14. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 21*, n. 3 (fin). 15. H.L. STRACK, Jesus, die Häretiker und die Christen nach den ältesten jüdischen Angaben, Leipzig, 1910, p. 21*, n. 3. 16. R. EISLER, The Messiah Jesus and John the Baptist, Londres, 1931, p. 408 (II, p. 352 dans l’édition allemande). 17. W. ZIFFER, « Two Epithets for Jesus of Nazareth in Talmud and Midrash », Journal of Biblical Literature 85 (1966), p. 356-357. Une idée que l’on trouve déjà chez Huldreich (1705) : voir R. DI SEGNI, Il Vangelo del Ghetto, Rome, 1985, p. 114, n. 5. © BREPOLS PUBLISHERS THIS DOCUMENT MAY BE PRINTED FOR PRIVATE USE ONLY. IT MAY NOT BE DISTRIBUTED WITHOUT PERMISSION OF THE PUBLISHER. T. MURCIA 160 part, qu’il s’agit d’un surnom donné à Jésus dont on a perdu la sig- nification d’origine 18. Johann Maier contourne la difficulté. Selon ce critique, Ben Pandera serait un magicien idolâtre qui aurait vécu au IIe siècle et que l’on aurait, à tort, confondu avec Jésus 19. Il estime que les passages des sources tannaïtiques qui mentionnent Jésus ne sont pas authentiques et que ceux des sources amoraïques sont des interpolations médiévales. D’autres explications ont été avancées qui ne méritent pas forcément toutes d’être rapportées ici (Ben Pantiri, déformation de « Ben Patri » qui viendrait du latin filius patri, par exemple 20). On pourrait toutefois citer, à titre anecdotique, la thèse hautement fantaisiste de John Allegro qui relie Panther au « cham- pignon sacré » auquel « les mycologues modernes ont donné le nom d’Amanita pantherina » et qui, selon lui, « montre d’une manière concluante que les Juifs étaient au courant de la nature mycologique du culte chrétien, même si, plus tard, les persécutions et le temps firent oublier ce fait ou qu’ils l’empêchèrent de l’exprimer » 21. Aujourd’hui, deux explications restent principalement en concur- rence et, tout récemment, Edward LipiȪski en a proposé une nou- velle 22 : – Panthera serait une déformation volontaire du grec ϫϜϬϣϘϨϪϭ, la « vierge ». Cette proposition, déjà ancienne 23, est celle qui, à ce jour, a réuni le plus de suffrage. C’est notamment l’opinion de Joseph Klausner 24, Maurice Goguel 25, Joseph Hoffmann 26, Riccardo 18. uploads/Litterature/ yeshua-ben-pantera.pdf

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