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Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 nov. 2021 10:47 Nuit blanche, magazine littéraire Zola et Cézanne, l’amitié, la création. Lettres croisées, 1858-1887 Roland Bourneuf Numéro 147, été 2017 URI : https://id.erudit.org/iderudit/85675ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (imprimé) 1923-3191 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bourneuf, R. (2017). Zola et Cézanne, l’amitié, la création. Lettres croisées, 1858-1887. Nuit blanche, magazine littéraire, (147), 50–52. No 147 • NUIT BLANCHE • 50 ’abord presque quotidiennes, souvent de longues épîtres, fié- vreuses et drôles, naïves ou graves, elles s’espacent selon les époques et les aléas de leur parcours, avec des lacunes. Ces silences ont conduit les commentateurs à d’imprudentes in- terprétations alors qu’ils s’expliquent par les fréquentes visites que s’échangeaient les deux amis et parce que les lettres n’ont pas toutes été retrouvées. La ­ correspondance retrouvée en compte cependant plus d’une centaine quand elle s’achèvera, ou se perdra, en 1887. Émile a perdu jeune son père qui était ingénieur, sa mère lutte pour subvenir aux besoins de la famille. Pendant des années il connaîtra une extrême pauvre- té à Paris. Ses romans oseront décrire la misère par l’expérience directe et non comme une fiction. Ses rêves vont se heurter à une impitoyable réalité sociale. En comparaison, Paul, fils de banquier, a une enfance plus confortable, mais il se débattra longtemps contre l’autorité paternelle étouffante. Le récit de leur quotidien respectif tient évidemment beaucoup de place dans leurs échanges adolescents avec des plaisanteries, de l’autodérision, des assurances d’amitié. En 1860 Zola écrit : « […] nous nous connaissons trop parfaitement pour ja- mais nous détacher » – et ils ne le feront jamais. Ces longues missives consignent des espérances amoureuses, des projets, À partir de 1858, entre Aix où est née leur amitié et Paris, deux collégiens commencent à échanger des lettres1. Ils rêvent de gloire et d’amour : Émile veut devenir poète, Paul, peintre. Celui-là sera, après Balzac et Flaubert, le romancier admiré et attaqué des Rougon-Macquart, celui-ci la référence en peinture moderne. Zola et Cézanne, l’amitié, la création Lettres croisées, 1858-1887 Par ROLAND BOURNEUF* D Source : societe-cezanne.fr No 147 • NUIT BLANCHE • 51 accompagnent les envois des premiers textes sortis de leur plume. Intérêt anec- dotique pour le lecteur d’aujourd’hui mais aussi des surprises : tous deux ­ manifestent une infatigable facilité à versifier, par milliers des vers de mir- liton parmi des morceaux poétiques inspirés par leur commune admiration pour Musset. Imagine-t-on Zola poète, et ­ Cézanne aussi ? Déjà, une confiance jamais démentie dans le talent et l’ave- nir de l’autre, des encouragements à persévérer, et tous les deux en auront grand besoin ! Cézanne est sensible à la littérature et formule des critiques pertinentes sur les livres de Zola, et n’oublions pas que ce dernier aura une longue et tumultueuse expérience de la critique d’art quand il dénoncera la peinture académique de Bouguereau, Meissonier et autres ­ Cabanel qui font la loi et qu’il prendra fait et cause pour Manet tant décrié (Zola est un des seuls avec Baudelaire à défendre Olympia en 1863 contre le torrent d’insultes déversé sur l’œuvre), pour Monet, Renoir, Pissaro et bien sûr son ami, l’éternel refusé des salons. Nous lisons évidemment cette cor- respondance dans sa chronologie mais, aidés par les substantielles introduc- tions et synthèses d’Henri Mitterand, grand connais- seur de Zola, nous sommes constamment induits à regarder vers le futur des deux amis. Comment leur œuvre prend forme, com- ment leur esthétique se constitue, dans un commun refus de l’effet séducteur et du plat réalisme. C’est là, bien au-delà du document biographique et du tout-venant factuel, l’intérêt de la correspondance de deux créateurs. Les années passent, qui parfois ­ apportent bien de l’amertume, les échecs, le découragement, une tenace nostalgie de la vie à Aix, de ses paysages et de sa ­ lumière, les souvenirs des réunions, ­ discussions, baignades et beuveries, mais peu à peu les compagnons se ­ dispersent et se perdent. Depuis leur ado­ lescence, tous deux ont cherché à retrou- Il y a dix ans que nous parlons arts et littérature […]. Nous vivions dans notre ombre, isolés, peu sociables, nous plaisant dans nos pensées. Nous nous sentions perdus au milieu de la foule com- plaisante et légère. Nous […] voulions dans chaque œuvre, tableau ou poème, trouver un accent personnel. Nous affirmions que les maîtres, les génies, sont des créateurs qui, chacun, ont créé un monde de toutes pièces. […] Sais-tu que nous étions des révolu- tionnaires sans le savoir ? Zola, 20 mai 1866. Paul Cézanne, Une lecture de Paul Alexis chez Zola (1869–1870) No 147 • NUIT BLANCHE • 52 ver ­ l’amitié stimulante et joyeuse de petits groupes – même si le caractère ombra- geux et difficile de Cézanne est bien connu. En 1870, le « groupe des Bati­ gnolles » se disperse lors de la mobi­ li­ sation contre la Prusse. Cézanne, ­ réfractaire, se cache. Zola va à Bordeaux. L’Empire de Napoléon III s’effondre dans la honte. L’insurrection de la Com- mune éclate, qui sera, comme on le sait, réprimée dans le sang par le gouver- nement de l’ordre bourgeois reconstitué. Zola, très cri- tique, est également suspect à la Commune et aux te- nants de la IIIe République qui lui succède. Il poursuit une intense activité de jour- naliste à la fois artistique et politique. Infatigable tra- vailleur, il met en forme dans Thérèse Raquin son premier véritable succès littéraire (1867), sa théorie du roman : montrer l’élémentaire chez les êtres ­ humains, les pulsions refoulées, et hor- reur ! les composantes physiologiques et héréditaires, mais aussi un souci de construction rigoureuse, d’accord des couleurs, préoccupations proches de celles de Cézanne. Le lecteur de la correspondance ­ attend impatiemment d’être éclairé sur l’épisode de L’œuvre (roman publié en 1886). Zola aurait pris Cézanne pour modèle de son peintre Claude Lantier dont la vie se solde par un échec et un suicide. ­ Cézanne se serait reconnu et aurait rompu avec Zola. Mitterand montre que cette hypothèse repose sur un contresens. Claude et son prétendu modèle n’ont ni le même âge ni la même esthétique. Des témoignages contra- dictoires existent sur les critiques que se seraient adressées les deux créateurs et qui auraient conduit à leur rupture. Une lettre de 1887 récemment retrouvée montre qu’il n’en fut rien. Certes tous deux ont évolué dans des directions ­ différentes. Cézanne a besoin de solitude et de silence, alors que Zola s’engagera dans l’affaire Dreyfus avec son célèbre « J’accuse…! » Zola, quand il a connu la célébrité et la fortune, a continué d’aider financièrement Cézanne, qui peine tou- jours à se faire reconnaître. Le succès de Zola a son envers, car il a été férocement pris à partie et insulté par la critique bien-pensante : il s’attaquait à des tabous bien enracinés, il dérangeait en dénonçant la corruption de la socié- té française de l’époque, la toute-puissance de l’argent et la condition des classes populaires (en particulier dans L’assommoir, 1877). Quand en 1906 Zola est mort dans des circonstances obscures qui laissent croire à un meurtre, Cézanne a « éclaté en sanglots ». Certes le dialogue semble s’être ­ réduit dans les dernières années mais, dit Mitterand, « qui peut assurer que l’essentiel n’a pas survécu jusqu’à la fin, muet mais intact, dans l’identité de la quête et l’accord des mémoires ? » Cette correspondance est riche et souvent émouvante, mais plus que cela. Elle éclaire l’histoire de deux vocations créatrices tôt pressenties, qui se réali­ seront à force de travail, de volonté, d’exigence, d’obstacles surmontés et – il faut employer des mots aujourd’hui tombés en désuétude – portées par un rêve de beauté et de vérité. 1. Paul Cézanne et Émile Zola, Lettres croisées, 1858-1887, édition établie, présentée et annotée par Henri Mitterand, Gallimard, Paris, 2016, 435 p. ; 41,95 $. * Roland Bourneuf, écrivain et ancien professeur de littérature à l’Université Laval, a publié une quin- zaine d’ouvrages dont Le chemin du retour (1996), Venir en ce lieu (1997), Le traversier (2000), L’usage des sens (2004), Pierres de touche (2007 ; prix Victor-Barbeau 2008), L’ammonite (2009), Points de vue (2012) et L’étranger dans la montagne (2017). Mais vois-tu, tous les tableaux faits à l’intérieur, dans l’atelier, ne vaudront jamais les choses faites en plein air. En représentant des scènes du dehors, les oppositions des figures sur les terrains sont étonnantes, et le paysage est magnifique. Je vois des choses superbes, et il faut que je uploads/Litterature/ zola-et-cezanne-l-x27-amitie-la-creation-lettres-croisees-1858-1887.pdf

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