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1 Veille scientifique et technologique Dossier d’actualité n° 53 – avril 2010 Contenus et programmes scolaires : comment lire les réformes curriculaires ? Par Olivier Rey Chargé d’études et de recherche à la Veille scientifique et technologique La loi de 2006 sur le socle commun de connaissances et de compétences a mis en lumière dans le débat public français une problématique habituellement traitée au sein des communautés professionnelles de l’éducation. Jusque-là, cette question des conte- nus à enseigner restait en large partie une affaire de spécialistes, abordée sous l’angle des « programmes » dans une optique plutôt administrative et dans un cadre avant tout hexagonal. Avec cette loi, les responsables politiques ont initié une réforme curriculaire par bien des aspects sans précédent en France, dont l’originalité n’a peut-être pas été bien mesurée à l’époque. En posant les enjeux à un niveau politique, en introduisant des concepts à résonance internationale et en soulevant immédiatement des interrogations sur l’ensemble du processus scolaire (matières, disciplines, parcours, supports, évaluations…), le socle commun a lancé une réflexion d’ensemble sur ce qu’il est convenu d’appeler le « curriculum». Au sein de la recherche en éducation internationale, l’étude du curriculum présente en effet l’intérêt d’une approche large qui intègre des sujets touchant aussi bien aux disciplines, aux objectifs de l’enseignement, qu’à l’architecture des cursus, à la pédagogie, à la sociologie des savoirs… Plus qu’un champ d’étude totalement nouveau (on fait souvent remonter la sociologie du curriculum aux années 70) c’est une façon d’aborder la culture scolaire qui est ici en jeu et qui s’avère relativement fructueuse, notamment dans une approche comparative pour identifier ce qui est de l’ordre des traits communs ou au contraire des caractéristiques nationales et régionales. C’est pourquoi l’objectif de ce dossier n’est pas d’analyser la substance des transformations curriculaires ou des changements de programme en France et ailleurs, mais plutôt de présenter divers éclairages de la recherche pour appréhender ces évolutions et lire les réformes curriculaires qui se succèdent à un rythme soutenu dans de nombreux pays. 1. Curriculum et savoirs scolaires : questions de définition | 2. Fondamentaux, standards, socle commun, compétences : tendances internationales, traductions nationales | 3. Entre repli sur la tradition et pédagogie invisible : quels contenus de référence pour une école démocratique ? | 4. Bibliographie. Remerciements à Roger-François Gauthier et Maryline Coquidé pour leurs conseils avisés. 2 1. Curriculum et savoirs scolaires : questions de définition En introduisant leur rapport sur l’instauration du socle commun en France (dans le cadre du réseau européen Knowledge a nd Po l ic y ), Roger-François Gauthier et Margaux Le Gouvello remarquaient que « la “politique curriculaire” [...] a ceci de spécifique qu’elle est aussi rarement étudiée, en France, par la recherche qu’abordée publiquement par les politiques » (Gauthier & Le Gouvello, 200 9 , p. 5). Du côté scientifique, malgré le retentissement de l’œuvre de Durkheim au début du XXe siècle (L’évolution pédagogique en France, publié en 1938), l’étude des contenus de l’enseignement et de leur évolution ne constitue pas la part la plus prolifique de la recherche française concernant l’éducation. De ce point de vue, les travaux de Bourdieu et Passeron (La reproduction, 1970), s’ils ont marqué l’analyse sociologique du système éducatif, ont bloqué les recherches curriculaires plus qu’ils ne les ont favorisées, en attirant l’attention sur l’inégale distribution des capitaux culturels et la violence symbolique des savoirs scolaires. Du côté de l’action éducative, si le mot « curriculum » reste en France une notion réservée à quelques spécialistes, il est dans d’autres aires nationales et régionales un terme utilisé pour proposer, désigner et initier des actions éducatives. Diverses organisations internationales mettent ainsi en œuvre officiellement des programmes qui placent le « curriculum » au centre, à l’image du « Progra m me po u r l ’é d ucat i on d e b ase en Afrique développé par l’Unesco » (BEAP en anglais) et le Bureau international de l’éducation (voir aussi les documents de travail du BIE sur l e cur r i c u l u m ). Le curriculum répond, dans ces programmes, à une acception large et prescriptive, qui est loin de se réduire à une façon de nommer les programmes d’enseignement, qu’on décrit plus souvent, au sens restreint, avec le terme de « syllabus ». Dans d’autres pays francophones, comme le Québec ou la Belgique, le curriculum est non seulement un objet de réflexion pour les chercheurs mais aussi un outil de politiques éducatives et un mot familier aux acteurs éducatifs. Une situation encore très différente de la France, par conséquent. 1.1 Le curriculum appréhendé par les chercheurs Dans un champ de politique éducative où s’entremêlent les savoirs savants (universitaires) et les savoirs ex- perts (issus de la pratique), la réflexion sur le système éducatif a donc en large partie été dominée depuis les années 60, d’une part par une sociologie de l’éducation qui s’intéresse avant tout à la démocratisation scolaire et aux inégalités dans l’accès à l’éducation, et d’autre part par une centration sur ce qui se passe « dans l’école » voire dans la classe, des éléments comme les contenus étant considérés comme un cadre donné d’avance dont on discute peu. Pourtant, les enseignants restent attentifs aux prescriptions des programmes officiels (parfois via les manuels), élaborés dans une chaîne administrative assez mal connue. Les discussions sur les méthodes d’enseignement passionnent fréquemment au-delà du cercle des experts et des militants pédagogiques. Les historiens approchent souvent de façon très fine la généalogie et les déplacements des sujets d’enseignement et de leurs cadres institutionnels. Les didacticiens, à partir de la fin des années 70, ont exploré de manière approfondie la façon dont les contenus sont élaborés, transformés et transmis au sein des disciplines scolaires. Dans l’ensemble, néanmoins, les études qui ambitionnent de tenir dans un seul regard l’ensemble de ces dimensions restent rares. Disparu il y a peu, Jean-Claude Forquin a été un de ceux qui, dans la recherche française, a introduit le concept de curriculum, à partir d’une entreprise de sélection et de traduction des auteurs de ce que l’on a appelé la « nouvelle sociologie anglaise » des années 70. Dans son dernier ouvrage, J.-C. Forquin rappelait ainsi que « la problématique des contenus d’enseignement est restée longtemps la parente pauvre de la réflexion sociologique sur l’école, laquelle a trouvé historiquement ses principales voies de développement soit du côté d’une ana- lyse des structures des institutions éducatives dans leur rapport aux structures sociales (en privilégiant notamment la problématique des inégalités), soit du côté d’une description des interactions au sein du monde scolaire considéré comme monde social » (Forquin, 200 8 , p. 7). Pour lui, c’est « […] cette insistance sur les « contenus », la substance de ces contenus mais aussi leur forme ou leur structure, la façon dont ils sont sélectionnés, façonnés, organisés, validés, distribués à travers les différentes phases de la “chaîne didactique” » que l’on retient le plus souvent lorsqu’on parle de « théorie du curri- culum » ou de « sociologie du curriculum » (Forquin, 20 0 8 , p. 9). J.-C. Forquin avait choisi d’intégrer dans son analyse du curriculum la notion de culture scolaire, dans sa dimension de transmission formalisée par l’école d’un ensemble de connaissances, de compétences, de références et de valeurs. Il ambitionnait ainsi de tenir dans une même approche non seule- ment les contenus prescrits et systématiquement enseignés mais aussi la mise en forme spécifiquement scolaire à travers la codification didactique de ces contenus (notamment dans les programmes). La culture scolaire est alors pour lui moins une culture « vécue » qu’une culture « enseignée », un « ensemble de connaissances, de compétences, de références ou de valeurs qui font l’objet d’une transmission délibérée dans le cadre de programmes d’études formellement prescrits » (Forquin, 2 0 0 8 , p. 17). Isabelle Harlé identifie pour sa part trois ancrages théoriques et disciplinaires, à partir des années 80, qui structurent les démarches des chercheurs pour aborder le curriculum : – dans le prolongement de la nouvelle sociologie anglaise du curriculum, des sociologues français s’intéressent aux relations entre stratification sociale et stratification des savoirs ; 3 – dans le registre de la didactique, la notion de « transposition didactique » permet d’analyser la façon dont un savoir savant est importé et transformé dans le champ scolaire, autrement dit le déplacement entre l’objet de savoir et l’objet d’enseignement ; – les historiens, pour leur part, explorent la généalogie des savoirs et de leur institutionnalisation scolaire et soulignent ainsi la part contingente et contextualisée de savoirs dont on a tendance à naturaliser la forme disciplinaire. Elle souligne que l’introduction des nouveaux types d’enseignements (technologie, matières artistiques, informatique, éducation civique...) à côté des disciplines « nobles » traditionnelles a favorisé l’évolution des modèles explicatifs : la référence aux savoirs savants, qui va de soi dans le cas de certaines disciplines comme les mathématiques, a été complétée par la référence à des pratiques sociales qui ne font pas nécessairement l’objet d’une formalisation de type académique à l’université (Harlé, uploads/Management/ 06-comment-lire-les-reformes-curriculaires.pdf

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  • Publié le Dec 12, 2021
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