Dr. Didier De Brouwer. Psychiatre psychanalyste. Chaussée de Vleurgat, 22 B-105

Dr. Didier De Brouwer. Psychiatre psychanalyste. Chaussée de Vleurgat, 22 B-1050 Bruxelles didier.debrouwer@skynet.be De quelques difficultés dans le transfert psychotique. La plupart des psychanalystes ont longtemps refusé de s’engager dans une cure lorsque la symptomatologie psychotique était avérée. La clinique analytique se base on le sait non pas sur le souci premier d’un diagnostic mais sur une clinique du transfert. Si pour Freud on trouve chez les névrosés une amplification extraordinaire de cette capacité transférentielle, elle est bien ce qui fait problème dans l’établissement d’une relation avec une personnalité psychotique. ‘’Ce que le patient a vécu sous la forme d’un transfert, jamais plus il ne l’oublie et il attache une conviction plus forte qu’à tout ce qu’il a conquis par d’autres moyens’’1. Le savoir sur le symptôme est donc mis du côté du patient, à l’analyste de susciter l’émergence de ce savoir. La règle de l’association libre qui devint dès lors le fondement du travail analytique est pourtant inapplicable voire dangereuse avec les structures psychotiques. Cela impose une technique inventive. Souvent une intervention à plusieurs est nécessaire pour diffracter le transfert, permettre une médication qui tempérera l’intensité pulsionnelle et l’angoisse. Le travail dans une institution ambulatoire sectorisée est ici d’un grand intérêt. A la demande « dites-moi ce qui vous passe par la tête » une personne délirante pourrait rétorquer : « impossible, c’est dans le ventre que cela se passe »2. L’association libre proposée comme cadre des entretiens peut très vite être prise comme une injonction en lieu et place d’un Surmoi persécuteur et cruel. Une tentative d’intrusion destructrice dans l’appareil psychique. Le barrage infranchissable du narcissisme suffit-il à expliquer la psychose et sa ‘’guérison’’ passerait-elle par une sorte de normalisation de la relation d’objet ? Cet idéal thérapeutique peut se révéler très normatif et situe l’impasse du côté du narcissisme de l’analyste dans le refus d’accepter un autre mode d’existence qui est d’abord un autre rapport à la parole et au langage. Freud n’a pas toujours été aussi radical sur les présupposées incompatibilités de la psychanalyse avec la psychose, ses avancées théoriques ont été profondément remaniées par 1 S. Freud, « La technique psychanalytique » Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF 2 S. Rabinovitch, « Les Voix » Ed. Erès1999.p.13 1 son étude et principalement ses productions écrites (Cf. son analyse des écrits du Président Schreber). L’étude psychanalytique était pour lui une préparation à une meilleure compréhension des psychoses. La psychose lui a permis de ‘’jeter un coup d’œil tantôt ici tantôt là, par dessus le mur’’. Mur du langage dirais-je reprenant la formule à Lacan. Mur car notre nature d’être parlant nous fait buter sur un réel défini comme un impossible, retrouvaille à jamais interdite avec l’objet d’une jouissance originaire. Le cadre analytique n’est à priori pas celui dans lequel viendront se situer des personnalités psychotiques parce qu’elles résistent au transfert nous dit Freud, il dira même que ces personnalités sont ‘’cuirassées’’ contre toute tentative à leur égard. Contrairement au névrosé dont le conflit inconscient est sous le couvercle du refoulement, le psychotique vit son conflit à ciel ouvert et ce conflit est insoutenable car il n’est pas orienté par un objet de désir constitué dans le fantasme. Le refoulement qui permet le compromis avec les exigences pulsionnelles n’opère pas. A l’analyste d’entendre le délire comme une forme de suppléance, une pièce rapportée ainsi que le propose Freud, venant boucher le trou béant d’un narcissisme menacé d’effondrement. Le délire c’est un savoir dont on souligne à juste titre la conviction (pas toujours inébranlable d’ailleurs), le psychotique s’y accroche et tente de rendre du sens à son monde déserté ou rejetant, pour ne pas sombrer dans un réel néantisant. Contrairement à ce que dit Freud ce n’est pas tant l’investissement de la libido du moi dans le circuit fermé du narcissisme qui ferait l’impasse pour l’établissement d’un transfert, mais plutôt une très grande difficulté à résister au transfert une fois qu’il s’y engage. Pour étayer cette importante donnée de la clinique il faut retourner aux premières avancées théoriques de Lacan sur la genèse du Moi3. L’unité du Moi se construit d’abord dans un rapport imaginaire à l’autre. Sa structure est donc fondamentalement de nature paranoïaque puisqu’aliénée dans l’image de l’autre. Si le grand Autre pour Lacan est premier, avant la question même de l’objet, c’est éclairé par la structure cristalline de la psychose qu’il en avance le concept. Il dira dans son Séminaire sur Les Psychoses pour expliciter ce qui est en jeu dans l’hallucination verbale pour le Moi psychotique ; ‘’c’est comme si un tiers, sa doublure parlait et commentait son activité’’4. Si ce tiers envahit le Moi au point de s’y confondre il est à situer pourtant comme une instance distincte du Moi mais faisant retour du dehors. La prise en compte du phénomène psychotique établit clairement la prédominance de l’axe imaginaire dans toute relation transférentielle. Le moi du psychotique est en danger de coller à l’autre, au point de 3 雅克 拉康 [ 前镜 期 犹如我的攻能之形成] Edition bilingue de ‘’Psychanalyse en Chine’’, Montpellier 2009. 4 J. Lacan, « Les Psychoses » Séminaire III, Paris 1955-1956. 2 s’y perdre, d’en être colonisé y compris dans son fonctionnement corporel ou de l’expulser violemment dans la réaction paranoïaque. Nous voilà arrivés à une autre question majeure : si l’analyse est toujours analyse dans le transfert elle ne se déploie véritablement qu’en relançant une capacité de métaphorisation. La résistance au transfert est fixation de la libido sur un objet que le sujet névrosé s’ingénie à maintenir inaccessible ou impossible. Qu’en est-il dans la psychose dont la structure se caractérise par la non opération de la métaphore paternelle, la non séparation avec l’objet du refoulement originaire? Cette question ne peut vraiment se traiter qu’à développer ce qu’il faut entendre par le concept de Nom-du-père et son opération. Lacan a voulu traiter de celle-ci en la dégageant de la mythologie de l’Œdipe trop psychologisante, clé passe-partout ne correspondant pas au particulier de la clinique. La métaphore paternelle est une opération logique, identique à une fonction mathématique mais dans le rapport d’un sujet au langage, son appropriation dans la parole. Cette question parcourt toute l’œuvre de Lacan il la traitera finalement comme un véritable nouage, nouage du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire dont les modalités sont encore à découvrir, voire inventer. La non opération de la métaphore paternelle situera le transfert sur l’axe imaginaire et pose la question du bon usage de cet imaginaire. Intervenir sur le sens du discours délirant ne peut qu’arroser le délire en entrant dans un labyrinthe ou la conviction délirante restera la plus puissante. Le psychotique est dépositaire d’un savoir, savoir délirant certes mais savoir dont il est radicalement seul à faire la douloureuse expérience car ce savoir même s’il ne cesse de parler en lui jusqu’à lui ordonner sa conduite voire ses actes, passe bien difficilement par la parole. Cette parole est vécue comme un véritable parasite, puisque ce qui caractérise le psychotique est que ‘’ça parle’’ en lui sous la forme d’une voix qui vient d’un dehors. Son expérience quotidienne est plutôt fin de non recevoir de la plupart des personnes qu’il trouve sur le chemin de son existence. Il revient donc à l’analyste d’accueillir cette parole sans l’invalider ou la traiter comme déformée par de fausses perceptions pour reprendre les termes d’une théorie de l’hallucination en psychiatrie. Ce n’est évidemment pas réalisable dans tous les cas, les manifestations symptomatiques ou passages à l’acte empêchant une neutralité suffisante. La prise en charge institutionnelle avec les différents rôles et fonctions qu’elle implique modère cependant cette apparente impasse. Offrir aux tourments psychotiques l’écoute analytique revient à tenter de donner un habillage imaginaire à un objet qui n’en a plus aucun car enclavé dans le corps propre du sujet, réel. Abandonner son savoir et n’offrir que le semblant de sa personne implique une position de l’analyste qui suscite directement le souvenir de cette ‘’cicatrice narcissique’’ qu’a 3 laissée la liquidation du transfert de sa propre analyse. C’est à cette condition qu’un transfert pourra s’engager. La disposition de l’entretien dans le face à face localise l’objet regard si présent dans la structure psychotique. L’axe imaginaire proposé par l’analyste dans une disposition face à face vient donc se constituer comme espace intermédiaire entre ce lieu insituable du regard persécuteur et le sujet en perdition. Ceci identifie tout de suite les écueils entre lesquels il faudra naviguer : celui de l’érotomanie ou celui de la persécution qui n’est que son renversement.et sa conséquence habituelle. C’est bien ici que la clinique est à toujours réinventer, l’analyste trop silencieux présentifiera le réel de l’objet c'est-à-dire son manque et attisera le risque hallucinatoire (je me souviens à ce propos d’un jeune schizophrène qui voyait autour de moi une sorte d’aura magnétique dont le champ influençait sa personne dans la séance), soit sa trop grande présence dans la parole empêchera l’ouverture d’un réel travail de transfert. Ce travail est un véritable travail d’évidement de l’objet. Objet devenu persécuteur dans la paranoïa et la schizophrénie, éteignant uploads/Management/ de-quelques-difficultes-dans-le-transfert-psychotique-2.pdf

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  • Publié le Oct 03, 2022
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