Revue française de pédagogie Planification et décision chez les enseignants M.

Revue française de pédagogie Planification et décision chez les enseignants M. Jacques Riff, Marc Durand Citer ce document / Cite this document : Riff Jacques, Durand Marc. Planification et décision chez les enseignants. In: Revue française de pédagogie, volume 103, 1993. pp. 81-107; doi : https://doi.org/10.3406/rfp.1993.1299 https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1993_num_103_1_1299 Fichier pdf généré le 24/12/2018 Planification et décision chez les enseignants Bilan à partir des études en éducation physique et sportive, analyses et perspectives Jacques Riff, Marc Durand La tâche de l'enseignant est complexe, difficile, singulière, insaisissable. L'atteinte des objectifs éducatifs en partie imposés, suppose la maîtrise d'habiletés diverses et affinées. Cette revue de la littérature est consacrée à une analyse du travail de l'enseignant à partir de la distinction opérée par Jackson (1968) entre deux phases bien différenciées de son activité. L'une, dite interactive, correspond au moment où il est en contact avec ses élèves : il s'agit de la leçon proprement dite. L'autre, qualifiée de pré ou post active suivant qu'elle se déroule avant ou après la séance, correspond selon l'expression de Yinger (1986) au « monde de la classe vide ». Cette distinction nous semble une entrée heuristique dans cette réflexion sur l'activité d'enseignement. Elle rend possible un regroupement cohérent des recherches et une réflexion synthétique. De surcroît, elle permet de dépasser une dichotomie plus formelle qu'efficace entre pédagogie et didactique, dichotomie qui, particulièrement en éducation physique et sportive (et en France), redouble des positionnements épistémologiques et idéologiques que nous n'avons pas pour ambition d'aborder (1). Notre intention n'est pas non plus de procéder à une analyse historique ou critique des travaux et méthodes en analyse de l'enseignement, d'autres auteurs s'y étant astreints (Doyle, 1986a; Shulman, 1986) dont notamment Silverman (1991) pour l'éducation physique. Notre objectif est d'établir un bilan des recherches descriptives sur ce sujet qui adoptent, pour l'essentiel, le paradigme de la pensée des enseignants (teachers' thinking) et une lecture critique des modèles plus ou moins explicites qui servent de référence pour l'analyse du travail des enseignants et leur formation. Afin de situer le courant de recherche sur la pensée des enseignants une rapide référence au courant qui l'a précédé, le paradigme processus-produit est nécessaire. Jusqu'à un passé récent, les recherches ont tenté d'identifier les comportements d'enseignants associés à la réussite pédagogique mesurée sur la base des progrès des élèves. L'enseignement était conçu comme une activité dirigée vers les élèves et finalisée par leurs progrès. Les études portaient sur les liaisons (correlationnelles) entre des variables de processus — les comportements de l'enseignant — et des variables de produit — les progrès des élèves — , ces derniers le plus souvent évalués grâce à des tests standardisés. Ce paradigme processus-produit, s'il a permis d'identifier cer- Revue Française de Pédagogie, n° 103, avril-mai-juin 1993, 81-107 81 tains aspects importants du travail des enseignants efficaces (Brophy & Good, 1986 ; Piéron, 1988, 1990), est loin d'avoir atteint ses objectifs : les quelques résultats obtenus contrastent avec la quantité et l'envergure des études menées. On connaît mieux aujourd'hui les limites d'une telle approche qui s'appuie sur une série d'hypothèses pour le moins discutées. 1) Elle envisage le maître comme l'unique, sinon la plus importante des variables influençant l'apprentissage des élèves ; or l'on sait qu'il ne représente qu'une variable parmi d'autres associées au progrès des élèves (Wang, Haertel & Walberg, 1990) et aux interactions en classe (Ryans, 1963 ; Snow, 1968). 2) Les conduites pédagogiques auraient une influence directe sur les résultats des élèves ; or, la nature correctionnelle des liaisons interdit une telle interprétation (Mitchell, 1969), d'ailleurs démentie par les études montrant que les comportements des enseignants se transforment en réaction aux comportements des élèves et suggérant l'existence de processus d'influence réciproques (Sherman & Cormier, 1974). 3) Ce paradigme accorde un statut privilégié à deux modalités comportementales : la fréquence et la stabilité. L'hypothèse est que la fréquence d'un comportement détermine ses effets, ce qui revient souvent à postuler que «plus égale mieux» (Doyle, 1986a). Cette hypothèse n'est guère confirmée par les recherches qui indiquent que de nombreuses relations sont de caractère non linéaire et mettent en évidence l'existence d'une fréquence optimale (Brophy & Good, 1986). On peut d'ailleurs supposer que des comportements peu fréquents peuvent jouer un rôle de première importance dans la compétence enseignante. Enfin, on observe une forte variabilité intra-individuelle même chez les enseignants « chevronnés » en éducation physique et sportive (Schempp, 1987) et dans les autres disciplines scolaires (Crahay, 1988a, 1990 ; Tochon, 1991 ; Zahorik, 1990). En somme, les recherches comportementales ont échoué dans leur tentative pour identifier un ensemble de lois régissant la relation processus-produit qui soient résistantes au contexte. Cet échec est dû à une vision simplificatrice du processus d'enseignement, et à un idéal implicite du « bon enseignant » en termes comportementaux, dont la pertinence serait indépendante du contexte. A un autre niveau, ces recherches posent le problème du rapport entre la compétence de l'enseignant et la mesure des progrès à partir de performances d'élèves évaluées par des tests standardisés. Au delà des critiques qui portent sur la difficulté de mesurer l'apprentissage, il faut noter qu'une telle procédure engendre un double risque : comparer des enseignants qui n'adoptent pas les mêmes objectifs et mesurer chez les élèves, des compétences étrangères aux objectifs poursuivis par le maître (Doyle, 1986a). Ce paradigme de recherche a évolué en incluant progressivement des données relatives aux comportements des élèves, à leurs caractéristiques et au contexte (Tousignant, 1990). Selon cette perspective, l'objet de la recherche n'est pas de répertorier les comportements spécifiques aux « enseignants à succès », mais d'identifier les conditions d'apprentissage les plus efficaces dans le contexte naturel d'enseignement des activités physiques. En éducation physique et sportive, ces nouvelles approches ont permis de souligner l'importance de la notion de temps d'apprentissage et de mettre au point des systèmes destinés à l'évaluer (Siedentop, Tousignant, & Parker, 1982). 82 Revue Française de Pédagogie, n° 103, avril-mai-juin 1993 Parallèlement, sur la base des critiques formulées à rencontre du courant comportementaliste, l'étude des processus d'enseignement s'est orientée, à partir des années 1970, vers la description et la modélisation de l'activité cognitive des enseignants. Ce nouveau corps de recherches s'appuie sur un postulat : les comportements des enseignants sont largement influencés par ce qu'ils pensent (Shavelson & Stern, 1981). On regroupe sous le vocable pensée, des processus variés : réflexion, résolution de problème, décision, analyse, jugement, etc. Mais les chercheurs ont en commun de considérer comme centraux l'acquisition des connaissances par les enseignants et le contexte de leur utilisation (Clark, 1986). Au sein de ce paradigme, un secteur de recherche important s'intéresse aux différences entre enseignants novices (ou débutants) et experts. La vogue que connaît actuellement ce dernier terme, hérité des recherches en psychologie cognitive et en intelligence artificielle (Caverni, 1988a) n'est pas synonyme de consensus. Il recouvre, particulièrement dans le domaine de l'enseignement, une variété de présupposés qui offre un large espace de conflits relatifs notamment au problème de la définition de l'expertise enseignante et se traduit pour le chercheur par des options lors de la sélection des experts (voir Tochon, 1990a pour une réflexion plus complète sur ce sujet). En ce qui nous concerne nous avons choisi de conserver le terme d'expert lorsque l'étude relatée comportait des critères précis et spécifiés. Dans les autres cas, nous qualifions les enseignants d'expérimentés. La prééminence de ce paradigme qui bénéficie des avancées de la recherche relative à l'analyse des activités expertes (Berliner, 1986 ; Carter, Sabers, Cushing, Pinnegar & Berliner, 1987 ; Tochon, 1989a, 1990a) a déterminé un déplacement de l'intérêt des chercheurs, des comportements vers les cognitions des enseignants et un recours à des méthodes nouvelles : il ne s'agit plus de quantifier des comportements observables, mais de rendre compte de processus cognitifs par définition inobservables que l'on est contraint d'inférer (Caverni, 1988b). Au sein de ce secteur de recherche qui connaît un essor important à l'heure actuelle en Amérique du nord et dans certains pays d'Europe (Allemagne, Angleterre, Belgique) la France fait preuve d'une présence discrète. Pourtant, les résultats disponibles dès à présent sont de nature, sinon à modifier, du moins à interroger la manière actuelle de concevoir l'enseignement et l'apprentissage en milieu scolaire et la formation des professeurs (Cf. Durand, Riff & Cadopi, 1992 concernant l'éducation physique et sportive). Cette revue est organisée en trois parties. La première est consacrée aux études portant sur l'activité des enseignants hors interaction, suivie d'une discussion des modèles ou des conceptualisations qu'elles alimentent. La seconde présente les recherches, résultats et modélisations relatives à l'activité de l'enseignant pendant l'interaction. La troisième propose des éléments de réflexion pour une conception générale de l'activité d'enseignement et envisage les conditions d'utilisation de cette conception dans les stratégies de formation des enseignants. I. - L'ACTIVITÉ DE PLANIFICATION Parler de planification dans le domaine de l'enseignement peut paraître paradoxal tant l'environnement est incertain, conduisant l'enseignant à Planification et décision chez tes enseignants. Bilan à partir des études en éducation physique et sportive, analyses et perspectives 83 s'adapter en permanence au contexte particulier de la situation présente (Yinger, 1987). Pourtant, uploads/Management/ planification-amp-decision-chez-les-enseignants.pdf

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  • Publié le Jul 13, 2021
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