30 A n n a l e s d e s M i n e s L’innovation est plus que jamais le moteur de

30 A n n a l e s d e s M i n e s L’innovation est plus que jamais le moteur de la croissance dans les pays développés. Mais les problèmes traditionnels de son management n’ont rien perdu de leur actualité. Ce qui a changé, c’est sa place dans l’entreprise : au-delà des seuls technologues, c’est l’ensemble des fonctions de l’entreprise qu’elle mobilise. C’est leur capacité à dialoguer et à travailler en réseau, à l’intérieur comme au dehors, qui est désormais le gage d’une compétitivité durable. par Thierry Weil, École des Mines de Paris, Equipe de recherche sur le management de l’innovation et de la technologie (Ermit) Sans innovation les entreprises ne peu- vent différencier leur offre par un conte- nu plus riche, proposer des fonctionnalités nouvelles ou des services à valeur ajoutée ; leurs produits devien- nent alors des commodités banalisées que le client n’achètera qu’en fonction de leur prix, c’est-à-dire auprès de four- nisseurs produisant dans des pays à bas salaires. De plus, dans une société de satiété, les consommateurs solvables renouvellent plus volontiers leurs équi- pements pour intégrer des innovations, abandonnant par exemple leurs lecteurs de disques en vinyle ou de vidéocas- settes pourtant en bon état pour des lec- teurs de disques compacts et de DVD plus modernes. Les économistes confir- ment que les secteurs les plus innovants ont des taux de croissance plus élevés que les autres. Le moteur de la croissance Les conditions d’émergence des innova- tions ont cependant beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Bien qu’une concurrence intense pousse les entreprises à améliorer leur offre, Schumpeter montre que les innovations majeures apparaissent plutôt dans des grandes organisations qui jouissent d’une rente ou d’une quasi-rente, pou- vant ainsi s’offrir le luxe d’explorer des voies nouvelles et de financer des recherches audacieuses plutôt que de se focaliser sur l’amélioration incrémentale des coûts de production. Ainsi, jusque dans les années 70, les grands innova- teurs sont des entreprises comme AT&T, jouissant alors du monopole des télé- communications américaines et qui met au point le transistor et les fibres optiques, ou IBM, dont la domina- tion est alors écrasante sur le marché des gros ordinateurs et qui perfectionne les composants et l’architecture de ceux-ci ; ou les laboratoires publics qui jettent les bases du génie génétique, ou encore le secteur largement subventionné de la défense qui développe les circuits inté- grés, les matériaux à haute performance, les architectures sophistiquées de traite- ment du signal et des données, les réseaux de communications, y compris le protocole Internet. Avec la dérégulation des marchés des communications et de l’énergie, l’évolu- tion des modalités d’achat de la défense, la globalisation de l’économie et l’ac- croissement de la pression concurren- tielle, la plupart de ces quasi-rentes ont progressivement disparu. Les grands pro- grammes nationaux ne sont plus d’ac- tualité, sauf récemment aux Etats-Unis dans les domaines des technologies bio- médicales, de la défense et de la sécuri- té intérieure. On constate, dans le même temps, une croissance des coûts de R&D dans des secteurs comme la pharmacie et les semi-conducteurs, qui exclut les petits acteurs et provoque une consolidation de ces secteurs. Par ailleurs, une part croissante des inno- vations repose plus sur de nouveaux agencements et combinaisons de tech- nologies existantes que sur le perfection- nement de composants isolés. Ainsi les fabricants d’automobiles ne se conten- tent pas de perfectionner les fonctions traditionnelles du véhicule. Ils intègrent des services d’aide à la conduite (GPS et cartographie), d’aide à la maintenance (autodiagnostic), de financement et d’en- tretien (on vend la disponibilité d’un véhicule, en appor- tant une voiture de remplacement pen- dant la maintenan- ce de l’automobile achetée). De telles offres intégrées reposent sur la maîtrise de nombreuses compétences (électro- nique, télécommunications, gestion de la relation avec la clientèle, etc.). Intégrer toutes ces compétences au sein de l’entreprise devient difficile et coû- teux, et il est souvent plus efficace de pouvoir s’appuyer sur un réseau de spé- cialistes. Enfin, pour intégrer rapidement des connaissances nouvelles, les entreprises tendent à localiser des services de recherche ou de développement à proxi- mité des sources de savoir et de compé- tences pertinentes. Il peut s’agir de bien prendre en compte les spécificités locales d’un marché (développements Le management de l’innovation dans les entreprises Les économistes confirment que les secteurs les plus innovants ont des taux de croissance plus élevés que les autres 31 D é c e m b r e 2 0 0 3 d’adaptation) ou d’interagir avec les équipes qui développent de nouveaux concepts et de nouvelles technologies (recherches à proximité de grands centres universitaires ou de laboratoires publics). Le management de l’innovation Pour toutes ces raisons, le management de l’innovation dépasse largement le seul cadre des équipes de R&D. Nombre d’innovations ne sont pas issues de la technologie, même si leur mise en œuvre peut réclamer la solution de pro- blèmes techniques complexes. Il peut s’agir de l’offre de nouveaux services autour d’un produit ou d’une prestation (comme le service de mise à disposition d’un véhicule évoqué plus haut), d’une nouvelle architecture de la prestation (comme la vente d’ordinateurs assem- blés à la demande et livrés rapidement après un achat par correspondance ou par Internet chez Dell, ou l’offre d’un service « chez vous en 48 heures » par les entreprises de vente par correspon- dance, ou la distribution de livres par Internet). Les nouvelles idées de produits ou de prestations peuvent venir d’un ser- vice de marketing ou émerger n’importe où au sein de l’entreprise, notamment chez les collaborateurs en contact avec le client ou confrontés à un problème particulier. Le management de l’innovation prend des formes variées selon le contexte par- ticulier de l’entreprise et met en œuvre différents dispositifs pour sensibiliser les collaborateurs à l’importance de l’inno- vation, pour les encourager à expri- mer leurs idées, à faire part des obser- vations sur le com- portement des clients, des fournis- seurs ou des concurrents et, sur- tout, pour pousser la hiérarchie intermédiaire et supérieure à valoriser ces contributions, à répondre rapidement aux suggestions, soit pour les mettre à l’étude soit pour expliquer pourquoi elles ne sont pas retenues, à valoriser les innovateurs. Citons, sans ordre particulier, les journées passées par des ouvrières de Tefal dans les maga- sins à observer les attitudes des consom- mateurs face à leurs produits et à ceux de la concurrence [Chapel 1999], les prix de l’innovation dans des entreprises comme Suez [Tossan 2000], le prix de la meilleure imitation d’invention faite ailleurs chez Hutchinson, la gestion de l’innovation participative chez EDF, à la RATP ou à la DGA [Durieux 2001], les séances de créativité mises en place dans plusieurs entreprises [de Brabandère et Mikolajczak 2002]. Nous nous limitons ici au management de la technologie, en restant conscient que celui-ci ne représente qu’une partie du dispositif. Nous utiliserons cepen- dant le mot techno- logie dans un sens assez large, incluant en fait tout ensemble organisé de compétences et une partie de ce que nous évoque- rons pourra s’appliquer à un domaine plus vaste. Nous allons considérer successivement les problèmes traditionnels du manage- ment des équipes de R&D, puis montrer la nécessité d’une gestion intégrée de la technologie fondée sur la capacité de l’entreprise à détecter et intégrer des techniques exogènes, à piloter la gestion de ces compétences en harmonie avec sa stratégie, à augmenter ses capacités d’apprentissage, de capitalisation et de gestion des connaissances, à valoriser ses savoir-faire au-delà de son champ d’activité. Le management des équipes Longtemps la littérature sur le manage- ment de la technologie s’est focalisée sur la gestion de la R&D. Si, comme on va le voir, le cadre de réflexion s’est beaucoup élargi depuis, un certain nombre de pro- blèmes n’ont cependant rien perdu de leur actualité. Première difficulté : Comment gérer une activité dont les résultats sont incertains, lointains et ambigus ? On dit qu’en pharmacie (hors biotech- nologie) il faut synthétiser dix mille molécules pour trouver un médicament. Comment alors juger les chercheurs sur leurs résultats, si le hasard joue un rôle si important ? Dans l’idéal, il faudrait pou- voir évaluer la qualité des procédures plus que celle des résultats, mais un biais rétrospectif nous fera apprécier la straté- LE MANAGEMENT DE LA TECHNOLOGIE. Ce graphique illustre le fait que le management des ressources technologiques de l’en- treprise est celui d’un stock de compétences et de connaissances qu’elles maîtrise ainsi que d’un réseau lui permettant d’accéder à des compétences externes lorsque c’est judicieux. Le stock est constitué en fonction des besoins anticipés des projets de déve- loppement de l’entreprise. Son évolution résulte de la surveillance et de l’analyse de l’évolution des technologies, des marchés et de l’environnement concurrentiel et des choix stratégiques de l’entreprise (que par ailleurs il conditionne). L’augmentation de ce stock se fait grâce aux programmes de recherche de l’entreprise, grâce à l’absorp- tion ou à l’intégration de technologies mises au point ailleurs et grâce à la capitalisa- tion des savoirs développés lors des projets. Son exploitation se fait à travers l’offre uploads/Management/management-de-l-x27-innovation 8 .pdf

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  • Publié le Mai 25, 2021
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